Francophonie : le sommet des polémiques
On peut sérieusement se demander ce qu’il faudra retenir, côté France, du XIVème sommet de la francophonie organisé cette année au Congo-Kinshasa. Il y a d’abord eu la polémique autour d’un déplacement présidentiel perçu par les ONG et l’opposition congolaise comme une caution de l’Hexagone au régime contesté de Joseph Kabila, responsable d’un hold-up électoral en novembre 2011 et de violations massives des droits de l’Homme. Ce qui a justifié l’hésitation du Président Hollande, qui s’est finalement décidé à effectuer le déplacement à certaines conditions, dont on apprend qu’aucune n’a été respectée par les autorités sur place. Et avant même de décoller pour Kinshasa, le Président doit faire face à une énième polémique, cette fois-ci concernant sa Ministre déléguée à la francophonie. La « présidence normale » est en train de se fissurer sur cette affaire de la francophonie, a priori périphérique.

Le Canard Enchaîné s’est ainsi invité à ce sommet de manière remarquée, et on en parlera sûrement longtemps. L’hebdomadaire satirique révèle une affaire qui pourrait entraîner le départ de Madame Benguigui de l’équipe gouvernementale. Dans sa livraison de jeudi 11 octobre, on apprend que la ministre déléguée à la francophonie a demandé à voyager mardi 09 octobre de Paris à Kinshasa à bord d’un avion de la République, plutôt que sur un vol régulier. Coût estimé du vol : 140.000 euros.
Elle serait passée outre les consignes de l’Elysée qui recommandait « d'utiliser un avion de ligne ». Il revenait à Matignon de lui dire « non », mais rien de tout cela n’a été fait.
Madame Benguigui a été l’artisane de la tenue du sommet de la francophonie à Kinshasa, malgré l’hostilité de l’opposition congolaise et des ONG, qui percevait l’arrivée du Chef de l’Etat français comme une caution à un régime qui viole massivement les droits de l’homme et qui a orchestré un sanglant hold-up électorale en novembre 2011. Depuis, le pays vit dans une crise politique aiguë, avec deux hommes se revendiquant tous les deux « Président élu » : l’opposant historique Etienne Tshisekedi et le Président « officiel » Joseph Kabila.
Yamina Benguigui compte également utiliser le Falcon 900 de la République pour se rendre à Goma, Capitale de la Province meurtrie du Nord-Kivu. Cette ville de l’Est du pays est pourtant menacée par les rebelles du M23 soutenus par le Rwanda voisin. La ministre dit vouloir y remettre une enveloppe de 2 millions d’euros au profit des réfugiés. Une mission inutile sauf pour la seule image de l’intéressée.
Si la France veut vraiment aider la population du Kivu, elle sait exactement ce qu’elle a à faire. La société civile du Nord-Kivu demande depuis des mois l’envoi des troupes françaises à Goma sur l’exemple de l’opération Artemis, seule force capable d’obliger le dictateur rwandais Paul Kagamé à cesser de martyriser les populations de l’Est du Congo par des guerres à répétition ayant causé la mort de six millions de congolais. Le déplacement éclair d’une « ministre déléguée » dont le poids et les chances de « survie » au gouvernement sont aussi faibles, relève d’une pure opération d’autopromotion.
Pour autant, il y a peu de chance que la gauche monte sur ses grands chevaux pour tancer la « camarade » bling-bling du gouvernement. Quant à la droite, elle est enfermée dans la bataille pour la présidence de l’UMP et peut difficilement monter au créneau compte tenu de ses propres « casseroles »[1]. Seul le « Président normal » pourrait se sentir embarrassé par cette affaire dont il n’avait vraiment pas besoin.
Déjà que les conditions qu’il avait posées pour se rendre à Kinshasa, à savoir des réformes en matière de démocratie, ont tout bonnement été ignorées par les dirigeants congolais. Il aurait pourtant obtenu de sa Ministre déléguée, qui avait rencontré le Président Kabila, l’assurance que ces réformes seraient réalisées. Même le procès des assassins présumés du militant des droits de l’Homme Floribert Chebeya a été reporté.
François Hollande se rend donc à Kinshasa dépité. Un voyage perdant-perdant. En posant des conditions pour son déplacement, il tenait à atténuer les critiques de l’opposition sur place et des ONG qui lui reprochent d’aller cautionner un régime anti-démocratique. Les critiques continueront tandis que les réformes annoncées ne seront pas réalisées.
En gros, un voyage pour rien.
Dans un tel contexte, il n’avait sûrement pas besoin de se coltiner une polémique sur le gaspillage des deniers publics en ce temps de crise.
Et puisqu’il ne restera que quelques heures à Kinshasa avant de s’envoler, sûrement avec une partie des journalistes, la communication autour du sommet est annoncée pour être minimaliste.
On ne retiendra pas grand-chose de ce sommet.
Boniface MUSAVULI
[1] Sur l’utilisation dispendieuse des moyens de la République, elle n’est pas la seule dans sa situation. En juin 2010, l’ancienne Secrétaire d’Etat aux sports, Rama Yade, avait été épinglé par la presse pour son « luxueux » voyage en Afrique du Sud. Coût : 45 mille euros. Elle avait pourtant auparavant critiqué le « clinquant » de l'hôtel occupé par les joueurs de l’Equipe de France. Un autre ancien membre du gouvernement, Alain Joyandet, Ministre en charge de la Coopération, a dû quitter ses fonctions ministérielles suite au scandale autour de la location d’un jet-privé pour 116.500 euros en mars 2010. En janvier 2008, Christian Estrosi, alors Secrétaire d'Etat à l'Outre-mer, avait, lui aussi, été épinglé pour avoir loué un jet-privé à 138.000 euros pour assister en urgence à un pot à l'Elysée entre fidèles du Président. Sans oublier l’affaire des cigares pour 12.000 euros qui avait poussé au départ l’ancien Secrétaire d'Etat au Grand Paris, Christian Blanc, en juillet 2010.
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