Gouverner par la peur, une histoire américaine

De la guerre froide à la guerre à la drogue en passant par le Vietnam, le diable, les ovni, Saddam et ses armes de destruction massive, quel que soit le sujet, celui-ci se doit hyperbolique et n’est concevable que comme une menace absolue pour l’existence même des Etats-Unis. Cette politique de la peur, que seuls quelques présidents démocrates (en particulier Carter et Clinton) ont discrètement essayé de combattre en « hiérarchisant les menaces », est la matrice qui a permis toutes les dérives américaines depuis la chasse aux sorcières, jusqu’à Abu Graib, en passant par l’intervention au Panama (guerre contre la drogue) et que l’on retrouve aujourd’hui dans la démesure des campagnes américaines contre le plan de santé du Président Obama. Lutter contre la peur, ayant acquis désormais une force métaphysique conditionnée qui balaie toute résistance éthique (pourtant bien ancrée chez le citoyen américain), c’est introduire de la rationalité au sein d’une attitude collective hystérique.
Pourtant, il s’agit bien d’une politique, rationnelle dans sa perception, et il serait utile d’en montrer comment elle a été orchestrée dans le temps. L’objectif de cette politique consistait à « perturber la hiérarchisation des priorités et des valeurs au nom de l’intérêt national », selon le même Vanderberg.
Au tout début de l’après guerre et durant les procès et les commissions d’investigation maccarthystes, il s’agissait de débusquer l’ennemi intérieur, le cryptocommuniste qui, en toute conscience, agissait pour les intérêts de l’ennemi.
La fin de la guerre de Corée signifia un changement qualitatif de taille : l’opinion publique, avec stupeur, apprit que deux GI sur trois faits prisonniers avaient accusé leur propre pays de crimes et plus particulièrement de l’usage d’armes chimiques et biologiques. Ainsi fit irruption, pour contrecarrer cette réalité le concept redoutable de l’arme chinoise « chsi nao » ou « lavage de cerveau ». L’agent de la CIA et journaliste Edward Hunter expliqua par des multiples et longs articles que l’on pouvait devenir un ennemi de son propre pays « inconsciemment », le cerveau « lavé et reprogrammé par une force hostile ». Il y avait tant à faire avec les ennemis conscients, voilà qu’entraient en scène des ennemis inconscients ! On ne pouvait plus se fier à personne, la peur atteignit des sommets paroxystiques.
La CIA elle même considéra que, concernant les armes psychologiques, elle était très en retard. En avril 1953 son chef, Alen Welsh Dulles, mit en place le programme MK-ULTRA et à sa tête le psychiatre militaire Sidney Gottlieb. Celui-ci, adepte d’une pharmacologie hallucinatoire croyait à la « fabrication chez l’individu de personnalités multiples » et à la mise en place chimique « d’une mémoire artificielle ». Des dizaines de militaires américains et probablement des prisonniers chinois, allemands et vietnamiens ont fait les frais des expériences mises en place par le MK-ULTRA. En effet, cette structure a continué ses activités jusqu’en 1974, connaissant de multiples dérapages, comme celui du « suicide » en Novembre 1953 du spécialiste en armes biologiques Franc Olsen juste après les « doutes » qu’il avait émis à Richard Helms (alors directeur de la CIA) et à Gottlieb.
Au lendemain du scandale de Watergate, comme par hasard, les programmes MK-ULTRA et SEARCH ont été brutalement interrompus. En démissionnant après le coup d’Etat au Chili, Richard Helms a ordonné la destruction totale de tous les documents concernant ces programmes.
« Paradoxalement » la vieille garde de la CIA, impliquée dans le scandale Olsen-MK-SEARCH révélé plus tard par le Washington Post, a été poussée gentiment à la porte, sur les conseils de Dick Cheney et de Donald Rumsfeld qui proposèrent Bush père au poste de directeur de la CIA, tandis que Cheney devenait le secrétaire général de la Maison Blanche et Rumsfeld accédait au poste très convoité de ministre de la défense.
Plus de soixante ans après la fin de la deuxième guerre mondiale, l’utilisation de psychotropes à Guantanamo, prenant souvent la forme d’une « prison chimique » par l’usage de l’halopéridol et analogues, le tortures et les arrestations abusives dans le cadre du Patriot Act de Bush fils, ont toujours été défendus par Rumsfeld et Cheney qui par ailleurs, fidèles à la politique de la peur « prévoient l’apocalypse » due à la politique Obama concernant l’Iraq. C’est Rumsfeld aussi, qui, pour la première fois dans l’histoire des Etats-Unis, insistait à dire que « la Convention de Genève n’était pas toujours applicable ».
Le lavage de cerveau, la guerre à la drogue, les armes de destruction massive et autres alertes aux armes biologiques et chimiques font partie de l’obsession américaine de l’ennemi inconscient, du terroriste fou, de l’acte irrationnel, mais parallèlement ont stimulé l’industrie de ces pratiques et de ces armes, et la manipulation sans vergogne du citoyen. Tout comme la prépondérance du concept prométhéen « qu’une superpuissance se doit d’assumer que le but justifie les moyens ».
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