• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Actualités > International > Gouverner par la peur, une histoire américaine

Gouverner par la peur, une histoire américaine

 En 1947, le sénateur Arthur H. Vanderberg conseillait le président Truman que « s’il voulait que le peuple américain le suive, il fallait lui foutre une sacrée trouille » (… scare to hell out of the American people).

De la guerre froide à la guerre à la drogue en passant par le Vietnam, le diable, les ovni, Saddam et ses armes de destruction massive, quel que soit le sujet, celui-ci se doit hyperbolique et n’est concevable que comme une menace absolue pour l’existence même des Etats-Unis. Cette politique de la peur, que seuls quelques présidents démocrates (en particulier Carter et Clinton) ont discrètement essayé de combattre en « hiérarchisant les menaces », est la matrice qui a permis toutes les dérives américaines depuis la chasse aux sorcières, jusqu’à Abu Graib, en passant par l’intervention au Panama (guerre contre la drogue) et que l’on retrouve aujourd’hui dans la démesure des campagnes américaines contre le plan de santé du Président Obama. Lutter contre la peur, ayant acquis désormais une force métaphysique conditionnée qui balaie toute résistance éthique (pourtant bien ancrée chez le citoyen américain), c’est introduire de la rationalité au sein d’une attitude collective hystérique. 

Pourtant, il s’agit bien d’une politique, rationnelle dans sa perception, et il serait utile d’en montrer comment elle a été orchestrée dans le temps. L’objectif de cette politique consistait à « perturber la hiérarchisation des priorités et des valeurs au nom de l’intérêt national », selon le même Vanderberg. 

Au tout début de l’après guerre et durant les procès et les commissions d’investigation maccarthystes, il s’agissait de débusquer l’ennemi intérieur, le cryptocommuniste qui, en toute conscience, agissait pour les intérêts de l’ennemi.

La fin de la guerre de Corée signifia un changement qualitatif de taille : l’opinion publique, avec stupeur, apprit que deux GI sur trois faits prisonniers avaient accusé leur propre pays de crimes et plus particulièrement de l’usage d’armes chimiques et biologiques. Ainsi fit irruption, pour contrecarrer cette réalité le concept redoutable de l’arme chinoise « chsi nao » ou « lavage de cerveau ». L’agent de la CIA et journaliste Edward Hunter expliqua par des multiples et longs articles que l’on pouvait devenir un ennemi de son propre pays « inconsciemment », le cerveau « lavé et reprogrammé par une force hostile ». Il y avait tant à faire avec les ennemis conscients, voilà qu’entraient en scène des ennemis inconscients ! On ne pouvait plus se fier à personne, la peur atteignit des sommets paroxystiques. 

La CIA elle même considéra que, concernant les armes psychologiques, elle était très en retard. En avril 1953 son chef, Alen Welsh Dulles, mit en place le programme MK-ULTRA et à sa tête le psychiatre militaire Sidney Gottlieb. Celui-ci, adepte d’une pharmacologie hallucinatoire croyait à la « fabrication chez l’individu de personnalités multiples » et à la mise en place chimique « d’une mémoire artificielle ». Des dizaines de militaires américains et probablement des prisonniers chinois, allemands et vietnamiens ont fait les frais des expériences mises en place par le MK-ULTRA. En effet, cette structure a continué ses activités jusqu’en 1974, connaissant de multiples dérapages, comme celui du « suicide » en Novembre 1953 du spécialiste en armes biologiques Franc Olsen juste après les « doutes » qu’il avait émis à Richard Helms (alors directeur de la CIA) et à Gottlieb. 

Au lendemain du scandale de Watergate, comme par hasard, les programmes MK-ULTRA et SEARCH ont été brutalement interrompus. En démissionnant après le coup d’Etat au Chili, Richard Helms a ordonné la destruction totale de tous les documents concernant ces programmes.

« Paradoxalement » la vieille garde de la CIA, impliquée dans le scandale Olsen-MK-SEARCH révélé plus tard par le Washington Post, a été poussée gentiment à la porte, sur les conseils de Dick Cheney et de Donald Rumsfeld qui proposèrent Bush père au poste de directeur de la CIA, tandis que Cheney devenait le secrétaire général de la Maison Blanche et Rumsfeld accédait au poste très convoité de ministre de la défense. 

Plus de soixante ans après la fin de la deuxième guerre mondiale, l’utilisation de psychotropes à Guantanamo, prenant souvent la forme d’une « prison chimique » par l’usage de l’halopéridol et analogues, le tortures et les arrestations abusives dans le cadre du Patriot Act de Bush fils, ont toujours été défendus par Rumsfeld et Cheney qui par ailleurs, fidèles à la politique de la peur « prévoient l’apocalypse » due à la politique Obama concernant l’Iraq. C’est Rumsfeld aussi, qui, pour la première fois dans l’histoire des Etats-Unis, insistait à dire que « la Convention de Genève n’était pas toujours applicable ».

Le lavage de cerveau, la guerre à la drogue, les armes de destruction massive et autres alertes aux armes biologiques et chimiques font partie de l’obsession américaine de l’ennemi inconscient, du terroriste fou, de l’acte irrationnel, mais parallèlement ont stimulé l’industrie de ces pratiques et de ces armes, et la manipulation sans vergogne du citoyen. Tout comme la prépondérance du concept prométhéen « qu’une superpuissance se doit d’assumer que le but justifie les moyens ».

Enfin, cela pousse à la démesure, tout débat (aujourd’hui celui de la couverture de la sécurité sociale) se devant prendre les allures d’une croisade apocalyptique.
 
 

Moyenne des avis sur cet article :  4.05/5   (21 votes)




Réagissez à l'article

15 réactions à cet article    


  • LE CHAT LE CHAT 13 août 2009 09:53

    avec notre président atlantiste , l’hystérie est arrivée chez nous avec la peur du H1N1 comme leurre pour lobotomiser les masses .....


    • colza 13 août 2009 17:19

      Absolument, en plus de les neutraliser, au cas où les masses manifesteraient leur mécontentement.


    • ZEN ZEN 13 août 2009 10:03

      Une histoire américaine, mais pas seulement..

      Corey Robin, politologue américain, nous en apprend beaucoup sur l’instrumentalisation de la peur

      Naomi Klein entre aussi dans des analyses trés informées sur ces questions dans la « Stratégie du choc »


      • Philou017 Philou017 13 août 2009 15:31

        Curieusement, le Faucon Brzezinski avait fait une critique de la politique de Bush qui instrumentalisait la peur :

        L’ancien conseiller du Président Carter dénonce la « culture de la peur » qui a gagné les USA depuis le 11 septembre, largement alimentée par l’administration Bush et son slogan omniprésent de « guerre contre la terreur. » La peur qui s’est installée dans ce pays obscurcit les esprits et pervertit ses valeurs, observe-il.

        http://contreinfo.info/article.php3?id_article=742&var_recherche=Brzezinski


      • c.d.g. 13 août 2009 10:35

        "Des dizaines de militaires américains et probablement des prisonniers chinois, allemands et vietnamiens ont fait les frais des expériences mises en place par le MK-ULTRA".
        le programme est d apres vous demarre en 1953. la deuxieme guerre modiale est finie depuis 7 ans ! il n y a plus de prisonniers de guerre allemand autre que des criminels de guerre condamne a Nuremberg aux USA, en France ou GB

        Quand a l utislisation de psychotrope, c etait une methode standard dans l ex URSS pour traiter les gens qui n etaient pas dans la ligne ...


        • Michel Koutouzis Michel Koutouzis 13 août 2009 11:05

          Vous avez raison, le texte n’est pas clair. Cela dit, et je cite le fils de Franc Olsen, son père, lors d’un séjour en Europe, il a été  bouleversé par ce qu’il avait vu en Allemagne en : il affirma « avoir vu un soldat mourir sous l’emprise de psychotropes. Il a assisté à des scènes qui dépassent l’imagination »… En 1953, le psychiatre W. Sargant, pionnier de la « mémoire artificielle » et directeur de l’hôpital St Thomas de Londres aurait dit : Si le Christ suivait mes programmes, il arrêterait tout et redeviendrait charpentier ». Olsen a en premier lieu émis des doutes sur l’utilisation de ses travaux à Sargant en concluant : « les scientifiques américains aurait été jugés pour crimes de guerre si les allemands l’avaient gagné ». Suite à ces remarques faites à Sargant, il a été convoqué par Gottlieb, et un peu plus tard il a été trouvé mort devant son hôtel à New York. Si MK ULTRA a été créé en 1953, ses protagonistes ont été actifs bien avant cette date.

          Le sujet ne traite pas de l’utilisation, bien connue par ailleurs, des hôpitaux psychiatriques en URSS. Mais Soljenitsyne en fait une description époustouflante…


        • Philou017 Philou017 13 août 2009 11:17

          Excellente présentation.

          Effectivement, aux USA, le politique (et derrière lui le financier) se sert de la peur peut-être plus qu’ailleurs pour faire avancer ses pions. Là-bas, ca touche facilement à l’hystérie.

          D’une manière générale, les Etats-Unis ont fait beaucoup ces soixante derniers années pour contrôler le monde. Par la propagande, par le mensonge, par la guerre, par l’espionnage (voir Echelon, écoutes de la NSA, etc), par l’argent et le chantage, par la déstabilisation d’état et le crime.

          Je comprend pas les gens qui critiquent l’anti-américanisme. C’est une attitude naturelle pour un citoyen qui veut qu’on le respecte.


          • taktak 13 août 2009 11:18

            Effectivement, le choc, la désorientation est une des stratégie de prédation du capitalisme.
            Voir l’excellent livre de Naomie Klein, la thérapie du choc, qui analyse comment ce fonctionnement politique a été théorisé puis mis en place par les USA, notamment avec l’école de Chicago.


            • morice morice 13 août 2009 11:52

              excellent rappel, on va y revenir bientôt également en détail je pense !


              • LE CHAT LE CHAT 13 août 2009 12:51

                @MOMO

                tu comptes en faire une saga en 27 episodes ?


              • italiasempre 13 août 2009 12:20

                Bonjour Mr. Koutouzis,


                Article très interessant même si à la lecture on peut avoir l’impression - confirmée par les commentaires de quelques intervenants- que seul le gouvernement US s’est rendu coupable de tels agissements.
                Or vous dites :
                La CIA elle même considéra que, concernant les armes psychologiques, elle était très en retard.
                Elle était donc très en rétard. Mais par rapport à qui ? Par rapport à quoi ? 
                Cordialement.


                • Michel Koutouzis Michel Koutouzis 13 août 2009 13:25

                  En effet, ces pratiques n’ont jamais été l’exclusivité d’un pays et encore moins des Etats Unis. Ce que cet article essaie de raconter il faut le chercher dans la conclusion. Certains dirigeants américains ont très tôt été fascinés par le double usage fait de la peur. Gouverner un peuple effrayé et copier ces pratiques banalisées ailleurs. J’aurais pu commencer cet article par le fait que l’opération Paperclip consistait en 1945 à octroyer l’amnistie à un nombre important de scientifiques allemands qui avaient pratiqué des expériences aux camps de concentration. Et je pourrais le conclure par l’image d’un secrétaire d’Etat qui, en connaissance de cause et malgré lui exhibe à l’assemblée générale de l’ONU un mini flacon, sensé contenir une arme de destruction massive. L’article lui même parle de « chsi nao », invention chinoise en Corée, qui se banalisera avec les séances d’autocritique et autres camps de redressement pendant la révolution culturelle. Le sujet est vaste. N’oublions pas la fascination américaine pour les pratiques et le savoir faire français lors de la bataille d’Alger, ni encore que le colonel Trinquier et son opération X en Indochine sont encore aujourd’hui une référence pour l’armée américaine.

                  Cependant, et c’est peut-être ma faute, le sujet n’est pas exclusivement là.  Aux Etats Unis il n’y a jamais eu un usage massif (comme arme de dissuasion sociale) des hôpitaux psychiatriques, comme ce fut le cas en URSS et plusieurs pays communistes. Le but était ailleurs : créer aux Etats Unis une psychose de la peur basée sur l’irrationnel et la manipulation psychologique qui peut transformer un citoyen en ennemi de la patrie. Et parallèlement considérer comme « possédé », comme « psychologiquement manipulé » toute personne qui mettait en doute le consensus sur la politique américaine.  Le fait qu’aujourd’hui on ose, sans vergogne et publiquement, comparer Obama à Hitler ou Staline et le système de santé qu’il propose en machine d’euthanasie totalitaire et démoniaque, en sont la conséquence.


                • franck2010 13 août 2009 13:43

                  « Le sujet est vaste. N’oublions pas la fascination américaine pour les pratiques et le savoir faire français lors de la bataille d’Alger, ni encore que le colonel Trinquier et son opération X en Indochine sont encore aujourd’hui une référence pour l’armée américaine. »

                  C’est bien de se souvenir que la France a largement régné sur le monde par la terreur. Le savoir faire français de la torture exporter en amérique du sud à la belle époque des dictatures argentine et chiliennes...Alors que publiquement elle protestait contre la politique du coup d’état. Quand se décidera-t-on à juger nos anciens gouvernants ?


                • Pyrathome pyralene 13 août 2009 22:24

                  Bonnes réflexions ! mais je ne vois vraiment pas ce que les OVNI viennent faire ici...........totalement indépendant des pouvoirs en place !! On pourrait même dire qu’ils en ont la trouille.....


                  • Avalon_Girl 31 août 2009 22:51

                    Je considère les amalgames commis par l’auteur de cet article tout-à-fait manipulateurs, mais bien dans la lignée de la désinformation et du brouillage de pistes permanents de l’ONU & de ses « consultants ».

                    Il semblerait k les Casques Bleus de l’ONU sont + préoccupés de protéger les épurations ethniQ k leurs victimes,
                    sans parler de l’ingérence politico-économiQ sous couvert de programmes humanitaires,
                    et sans compter les abus sexuels en nombre, y compris sur des mineurs, perpétrés par les « armées de la Paix », dans une impunité totale garantie par leur statut ...

                    Assimiler le programme MK ULTRA à un programme d’intimidation fantasmatiQ est lamentable, car il n’a pas reposé sur une théorisation de la peur mais sur des pratiques réelles de création d’agents secrets presQ parfaits, puisQ s’ignorant comme tels.

                    Et sa clôture officielle n’a jamais empêché sa perpétuation à ce jour, sous d’autres dénominations.

                    Je dirais même k le Mind Control est l’arme la + puissante du N.O.M (Nouvel Ordre Mondial), car silencieuse, invisible, pratiquement intraçable et léthale.

                    On peut aussi citer HAARP, susceptible d’agir sur l’état d’esprit de populations entières.

                    On sait également k les armes psychotroniQ (ondes électromagnétiQ et autres dispositifs à plasma ou accoustiQ) ont nettement contribué à l’invasion en un temps record de l’Irak par l’armée US..

                    Mais bien sûr, il est connu qu’en Irak comme dans tous les pays terrorisés et éventrés par les défenseurs de la Liberté du Marché (aussi mondialisé k totalitaire dans son essence),
                    les gens se contentent de mourir de peur, et non de mourir tout court.

                    Les USA ne gouvernent pas par la peur mais par le carnage, qui est camouflé par des institutions fondamentalement illégales comme l’ONU.

                    Amen ...

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON







Palmarès