Grande-Bretagne : le Foreign Office a trompé le Parlement
Des documents internes révèlent que des responsables britanniques ont trompé le Parlement sur le génocide arménien
De Harut Sassounian
Édité par The California Courier
Éditorial de Sassounian du 5 novembre 2009
Un éminent expert juridique, M. Geoffrey Robertson, a dévoilé cette semaine les déclarations erronées et inexactes faites sur le génocide arménien par le British Foreign and Commonwealth Office (FCO). Le juriste international a révélé que pendant des années le FCO (Ministère des Affaires étrangères) avait trompé le Parlement britannique sur les faits concernant le génocide arménien afin de s’attirer les bonnes grâces du gouvernement turc.
Le méticuleux rapport de recherches, long de 40 pages, commissionné par le Centre Arménien de Londres, se base sur des documents classés secrets jusqu’à présent, obtenus du Foreign Office grâce au Freedom of Information Act (Liberté d’Information). M. Robertson, l’auteur d’un rapport intitulé : "Il y a-t-il eu un génocide arménien ?" a tenu le poste de premier Président de la Cour des Crimes de Guerre des Nations Unies au Sierra Leone.
M. Robertson a dû déposer des requêtes répétées pendant plusieurs mois auprès du gouvernement britannique, afin d’obtenir les documents internes que le Foreign Office était légalement obligé de communiquer. Selon le FCO, certains de ces documents n’ont pas été communiqués du tout, tandis que d’autres, qui ont éventuellement été rendus public, ont été en partie mis à l’index, afin de ne pas endommager les relations de la Grande-Bretagne avec la Turquie.
Dans son rapport, M. Robertson explique que le Centre Arménien lui a demandé de "Prendre en considération l’attitude du gouvernement britannique qui refuse d’accepter que les massacres des Arméniens en 1915-16 constituent un génocide, et si ses raisons pour adopter cette position sont valables et soutenables selon le droit international."
Malheureusement, les responsables britanniques d’aujourd’hui ont oublié la déclaration de leur gouvernement, issue conjointement avec la France et la Russie le 28 mai 1915, avertissant que "Au regard des crimes commis par la Turquie contre l’humanité et la civilisation", les trois grandes puissances tiendront pour responsables "Tous les membres du gouvernement ottoman" impliqués dans les massacres des Arméniens.
Les documents internes récemment obtenus exposent l’intention trompeuse et sinistre du Foreign Office. Dans une circulaire de 1999, adressée à la ministre d’État pour l’Europe, Joyce Quin, et à d’autres, le FCO déclare que ce n’est pas une obligation pour le gouvernement britannique de décider de ce qui constitue un génocide : "Enquêter, analyser et interpréter l’histoire est un sujet pour les historiens." Par opposition, l’avocat Robertson souligne "l’erreur basique" du gouvernement qui se fie "Aux historiens pour décider d’une question juridique." Il explique que "Décider de ce qui constitue un génocide est un sujet juridique selon le droit international, et pas du tout un sujet pour les historiens.
Les historiens établissent des faits : aux avocats de juger si ces faits constituent une violation de la loi internationale."
Dans cette même circulaire, le Foreign Office déclare qu’il n’y a pas de preuves écrites prouvant que les massacres des Arméniens ont été le résultat d’une politique intentionnelle de l’État. M. Robertson qualifie cette déclaration "D’autre bobard - qui apparaît systématiquement et à de nombreuses reprises" dans les communications internes du FCO - "La notion selon laquelle il faudrait qu’il y ait des documents écrits qui enregistrent la décision d’un gouvernement ou d’un leadership d’exterminer le peuple arménien."
M. Robertson souligne le fait "Qu’un tel document n’existe pas, bien sûr, en ce qui concerne le génocide commis par les nazis."
Manifestement, le Foreign Office s’inquiète davantage des répercussions nationales et outre-mer de la reconnaissance du génocide arménien que du crime de génocide en lui-même. M. Robertson fait remarquer que : "La circulaire continue avec cynisme à parler de l’influence de la campagne de reconnaissance et du génocide et note que ‘la campagne ne semble pas avoir, à ce stade, suffisamment de soutien ou de directives pour sérieusement embarrasser le HMG [Le Gouvernement de Sa Majesté].’"
Le Foreign Office accorde également plus de prix au fait d’apaiser la Turquie qu’aux questions morales soulevées par la tentative d’extermination d’une nation entière. "Le Gouvernement de Sa Majesté est ouvert aux critiques en termes de dimension éthique", admet sans hésiter le FCO. "Mais étant donné l’importance de nos relations (politiques, stratégiques et commerciales) avec la Turquie, et étant donné que la reconnaissance du génocide n’apporterait aucun bénéfice pratique à la Grande-Bretagne ou aux quelques survivants des massacres encore en vie aujourd’hui, pas plus qu’elle n’aiderait à un rapprochement entre l’Arménie et la Turquie, la ligne actuelle adoptée est la seule option plausible." M. Robertson a fait ce commentaire sarcastique et pourtant triste : "Ce génocide en particulier n’a pas été reconnu — non pas parce qu’il n’a pas eu lieu, mais parce qu’il était politiquement et commercialement inopportun de le faire."
Un autre argument incorrect avancé par le Foreign Office dans plusieurs circulaires est l’assertion que la Convention pour la Prévention et la Répression du Crime de Génocide des Nations Unies, de 1948, n’a pas d’effet rétroactif et par conséquent, ne s’applique pas au génocide arménien. M. Robertson, un expert en droit international, rejette rapidement ce "mauvais point", car : "La règle contre l’effet rétroactif s’applique aux inculpations criminelles, à l’encontre d’individus, pour des délits qui n’étaient pas contre la loi à l’époque où ils ont été supposément été commis. Personne ne suggère que des accusations pour crime devraient être aujourd’hui portées contre des individus morts depuis longtemps — la question est de savoir si le massacre des Arméniens est correctement décrit en tant que ‘génocide’, selon la définition adoptée par la Convention pour la Prévention et la Répression du Crime de Génocide des Nations Unies en 1948."
La ministre d’État britannique pour l’Europe, Joyce Quin, a été tellement outrée par l’attitude extrémiste de son gouvernement dans "la négation du génocide" et son allégation qu’il n’y avait pas de preuves de l’intention turque de commettre un génocide, que dans une circulaire en date du 13 avril 1999 adressée au Foreign Office, elle a fait remarquer que la question de l’intention n’avait jamais été examinée par les responsables gouvernementaux.
Le rapport de M. Robertson relate le scandale diplomatique impliquant Thorda Abott-Watt, l’Ambassadrice britannique en Arménie, qui a honteusement remis en cause la véracité du génocide arménien lors d’une interview donnée en 2004 à Erevan. Elle a déclaré que les preuves concernant le génocide arménien "n’étaient pas suffisamment explicites" pour que l’on puisse appliquer le terme de génocide selon la Convention du Génocide des Nations Unies. En réponse à plusieurs articles que j’avais écrits à l’époque, des milliers de lecteurs du monde entier avaient inondé le British Foreign Office et le Ministère arménien des Affaires étrangères de lettres de plaintes.
Le gouvernement arménien avait finalement adressé une "Note verbale" (note de protestation) au gouvernement britannique. M. Robertson a découvert un mémorandum interne du FCO écrit pendant cette controverse, suggérant que le gouvernement britannique maintienne sa politique négationniste, puisque la Turquie "Consacre de vastes ressources diplomatiques pour empêcher toute reconnaissance possible. La Turquie réagirait fortement à toute suggestion de reconnaissance émise par la Grande-Bretagne."
En examinant les centaines de pages des documents récemment communiqués, M. Robertson est tombé sur "une seule référence obscure et méprisante" du Foreign Office sur "une enquête internationale crédible" qui a classé les massacres des Arméniens comme étant un génocide. Cette étude unique a été menée en 1985 par le Rapporteur britannique, Benjamin Whitaker, à la demande de la Sous-commission pour la Prévention de la Discrimination et la Protection des Minorités de l’ONU. À son grand chagrin, M. Robertson a découvert que le Foreign Office avait émis une circulaire conseillant d’ignorer le rapport des Nations Unies de 1985 en déclarant que "Jusqu’à présent, nous ne sommes pas au courant de la mention de ce rapport dans tout document ou forum des Nations Unies."
Même après la reconnaissance du génocide arménien par divers pays européens, le Foreign Office a continué obstinément à s’accrocher à sa politique négationniste en indiquant au ministre d’État pour l’Europe, Geoff Hoon, que : "La Turquie est névrosée et sur la défensive quant à l’accusation de génocide, en dépit du fait que les événements ont eu lieu à l’époque de l’Empire ottoman et non à l’époque de la Turquie moderne d’aujourd’hui. De nombreux Turcs ont perdu la vie pendant la guerre et il existe également un élément d’inquiétude sur des demandes de compensations si la Turquie accepte l’accusation de génocide. Cette attitude défensive signifie que la Turquie a historiquement étouffé le débat dans le pays et a consacré de grands efforts diplomatiques pour dissuader tout autre pays de reconnaître le génocide."
Finalement, en octobre 2007, lorsque le Comité des Affaires étrangères de la Chambre des États-Unis a adopté la résolution reconnaissant le génocide arménien, le Foreign Office a écrit une circulaire alarmiste, exprimant son inquiétude :"La machine à lobbying de la diaspora arménienne du monde entier" va à présent "passer en suractivité !"
M. Robertson, sur la base de son étude des documents internes obtenus, et qui couvrent une période de plus de 10 ans, conclut que les conseils donnés par le British Foreign Office aux ministres du gouvernement "Ne reflètent ni le droit sur le génocide ni les faits démontrables des massacres de 1915-16, et qu’ils découlent d’un calcul destiné à induire en erreur le Parlement, lui faisant croire qu’il y avait eu une évaluation des preuves et l’exercice d’un jugement de ces preuves."
M. Robertson établit en outre que le "Parlement a été régulièrement mal informé par des ministres qui ont ânonné les lettres du FCO sans même remettre en question leur exactitude. L’unique et véritable politique du Gouvernement de sa Majesté a été d’esquiver les réponses honnêtes aux questions sur le génocide arménien, parce que la vérité aurait incommodé le gouvernement turc !“
Au regard des révélations sur de telles fautes de conduite et de telles fausses déclarations, le Parlement britannique devrait tenir des audiences formelles et enquêter sur le comportement de tous les responsables officiels qui ont fourni des informations fausses et déformées aux membres du Parlement pendant plus d’une bonne décennie. Ceux qui seront déclarés coupables de négligence dans l’accomplissement de leurs fonctions ou complices d’avoir fourni des informations totalement trompeuses, devraient être inculpés ou renvoyés de leurs postes au gouvernement.
De plus, on devrait demander à M. Robertson, éminent juriste international, d’intenter un procès au gouvernement turc auprès des Cours britanniques, et plus important encore, auprès de la Cour européenne des Droits de l’Homme.
Ce rapport extrêmement précieux devrait être traduit dans les principales langues et distribué dans le monde entier.
©Traduction de l’anglais : C. Gardon pour le Collectif VAN
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