Guerre d’Irak : La mère de tous les désaveux
On l’annonçait apocalyptique, le sort du Moyen-Orient à cause de la guerre contre Saddam Hussein. De par son obstination, George W. Bush allait mettre le feu à toute la région. Non content d’avoir déjà embarqué le monde entier ou presque dans une guerre en Afghanistan, le voilà parti, cette fois sans même l’aval explicite des Nations unies, dans une aventure en Irak qui allait, on en était certain, produire un « clash des civilisations ». Les peuples du Moyen-Orient se détourneraient à jamais du système politique que l’Amérique de Bush prétendait promouvoir : la démocratie représentative. L’Irak, ajoutait-on, allait devenir un nouveau Vietnam. On prévenait en outre que, n’ayant plus Saddam Hussein à ses portes, l’Iran deviendrait le maître du jeu dans la région moyen-orientale. La guerre d’Irak serait donc un gâchis absolu.
Les événements récents semblent cependant assener un quadruple désaveu à cette argumentation.
1 - Le « clash des civilisations » n’a pas eu lieu au Moyen-Orient. Bien au contraire. Jamais la démocratie représentative – système de gouvernement conçu dans, et promu par, l’Occident – n’a-t-elle éveillé au Moyen-Orient autant de confiance et d’espoir qu’elle ne le fait aujourd’hui.
En effet, depuis les élections iraniennes de juin dernier, des centaines de milliers de manifestants investissent quand ils le peuvent les rues de Téhéran pour dénoncer, non pas le Grand Satan (c’est-à-dire l’Amérique), mais l’appareil répressif des ayatollahs. Ces manifestants ont de surcroît lancé des appels au nouveau président américain pour qu’il soutienne leur lutte au lieu de tendre la main au régime qui les opprime.
Idem au Liban. Lors des élections de l’an passé, le Hezbollah y vit sa base électorale s’effriter, au bénéfice de partis modérés hostiles, non pas à l’Occident en général ou aux Etats-Unis en particulier, mais à la mainmise syrienne sur leur pays.
L’an passé aussi, au Koweït, des femmes ont pour la première fois gagné des sièges au parlement – un pas non négligeable envers un objectif, l’égalité des sexes, qui trouve son socle culturel et politique dans la société occidentale contemporaine.
2 – L’Irak n’est pas devenu un nouveau Vietnam. A n’en pas douter, le début de l’après-Saddam fut une période chaotique, fruit de l’époustouflante impréparation de l’administration Bush en matière de nation building, c’est-à-dire de reconstruction politique et institutionnelle d’un pays dévasté par une guerre ou autre phénomène comparable. Mais la violence sectaire et l’anarchie, consécutives à la chute du régime de Saddam Hussein, se trouvent en flagrant recul depuis la mise en place de la stratégie de la « contre-insurgence » (le « Surge ») du général américain David Petraeus. Rien à voir avec le cas du Vietnam.
3 – La démocratie est en train de se frayer un chemin en Irak. En dépit des menaces et des attentats terroristes, visant à dissuader la population irakienne de se rendre aux urnes pour élire un nouveau parlement, le taux de participation élevé des Irakiens aux élections de février dernier constitue un signe fort des progrès de la démocratie dans ce pays – ainsi que de la détermination des Irakiens à la préserver et à la consolider. Qui plus est, les formations islamistes sont en recul depuis les élections provinciales de février 2009.
4 – Le renversement de Saddam Hussein n’a pas conduit à un renforcement du poids géopolitique de l’Iran. En histoire, bien sûr, les relations causales sont toujours difficiles à établir. Mais, tout de même, il convient de soulever une question : la lutte ouverte que l’on observe à présent à la tête du pouvoir iranien, lutte qui affaiblit le régime théocratique de ce pays, se serait-elle produite si à côté, en Iraq, Saddam Hussein avait encore été au poste de commande ? Les ayatollahs iraniens se seraient-ils livrés ouvertement à des luttes intestines s’ils avaient eu en face un ennemi commun, Saddam Hussein, prêt à tirer profit de leurs rivalités ? Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, dans un Moyen-Orient sans Saddam Hussein, ce que l’on remarque, c’est une fragilisation sans précédent du régime de Téhéran.
Face à la nouvelle donne, les avis s’ajustent. Trois exemples. Un : Thomas E. Ricks, le journaliste du Washington Post qui en 2006 avait publié Fiasco, livre dénonçant la guerre d’Irak comme un échec absolu, sort trois années plus tard un nouveau livre, The Gamble (« Le Pari »), pour montrer et expliquer toute son admiration envers les succès enregistrés par le Surge. Deux : dans un discours prononcé en février 2009 sur l’Irak, le président Obama – qui en tant que sénateur avait voté contre le Surge – déclare que les forces américaines en Irak ont "réussi au-delà de toute attente", renouvelant ces éloges lors de sa visite surprise en Irak en avril 2009. Trois : en février de cette année, l’actuel vice-président américain, Joe Biden, voulant s’approprier les progrès enregistrés en Irak, déclare sur CNN que l’Irak pourrait bien être « l’une des grandes réussites de cette administration [celle d’Obama] ».
En tout état de cause, Obama se trouve aujourd’hui contraint d’assurer le succès de l’expérience irakienne, sans pourtant pouvoir encaisser un quelconque dividende politique sur cette affaire. Si le succès se confirme, le crédit ne manquera pas de revenir à son prédécesseur à la Maison Blanche. Par contre, un échec serait attribué au président Obama pour avoir décidé une sortie – jugée dans ce cas « précipitée » – des troupes américaines stationnées en Irak. Pile tu gagnes, face je perds.
Le jugement que l’Histoire réserve aux grands événements géopolitiques s’avère souvent différent de celui que l’on porte à chaud sur eux. Dans les années 80, les pacifistes – qui en Europe s’opposaient à l’installation des missiles Pershing – se sont vus finalement désavoués par la chute du Mur de Berlin. De la même façon, dans le cas de la guerre d’Irak, il n’est plus certain que l’Histoire rendra un verdict élogieux sur les « guerriers de la paix », à la tête desquels gigotait un certain Jacques Chirac.
· Ecrivain et ancien fonctionnaire international. Son dernier ouvrage, Ternes Eclats – Dans les coulisses de la Genève internationale (L’Harmattan), présente une critique de la diplomatie multilatérale.
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