Guerre froide 2 : le retour ?
Les manoeuvres russes autour d’EADS nous renvoient aux heures sombres de l’affrontement Est-Ouest. Ne serait-il pas temps d’admettre que les choses ont changé ?
J’ai travaillé pendant des années pour les militaires, et je comprends donc tout à fait la méfiance instinctive que génère une situation pareille. Toutefois, je pense qu’il est utile de rappeler, une fois de plus, quelques évidences.
La parenthèse communiste est maintenant refermée et l’URSS n’existe plus. La Russie est en revanche un pays d’Europe, même si les relations avec ses voisins ont été parfois tumultueuses. Toute l’histoire de la Russie montre sa volonté de s’ancrer à l’Ouest, et notre pays y a d’ailleurs largement contribué, et pas uniquement en y envoyant Voltaire ou en finançant les chemins de fer. Il est probablement temps d’admettre que la question de l’entrée de la Russie dans l’Europe va se poser bientôt. On me dira que la situation y est potentiellement instable et que le risque d’apparition d’une dictature est réel. C’est vrai, mais ce ne serait pas la première fois qu’on ferait des affaires avec une dictature, et rien ne permet de penser que les nouveaux maîtres du pays ne rêveraient que de nous chercher noise.
La Russie est un pays d’avenir aux richesses naturelles gigantesques et en grande partie inexploitées (en même temps d’ailleurs qu’un grand marché potentiel dans l’aéronautique, vu sa taille). Nous en avons besoin, et pourrons difficilement nous en passer. Il est donc idiot de froisser les élites du pays. Ceci ne fera le jeu que de la Chine, qui rêve déjà de faire main basse sur ces richesses.
La Russie est historiquement un pays fortement scientifique, et qui dispose d’une industrie aéronautique de premier plan. Le fait que cette dernière soit la fille de la Guerre froide ne change rien. Il n’est pas du tout certain qu’une alliance entre EADS et l’industrie russe soit aussi déséquilibrée qu’on se plaît à le penser dans le microcosme français.
La Russie a su accueillir l’Europe dans son industrie aérospatiale. Plusieurs cosmonautes français sont partis grâce à des lanceurs russes (Jean-Loup Chrétien est parti à l’époque des communistes), et personne à l’époque ne se demandait si cela posait problème. On pourrait au moins avoir un peu de mémoire, à défaut de reconnaissance.
Une éventuelle participation minoritaire des Russes dans EADS m’inquiète infiniment moins que les transferts massifs de technologie qui se font tous les jours vers la Chine à travers les délocalisations. La Chine qui, je me permets de le rappeler, est toujours une dictature communiste ayant des contentieux sérieux avec au moins un de ses voisins (Taïwan), et qui a des liens d’amitié avec des gens qui ne sont pas de nos amis.
EADS n’est pas allé en Bourse par hasard. Si on ne voulait pas assumer les risques d’un changement de contrôle, il ne fallait pas le faire.
Certes, EADS n’est pas un fabricant d’acier, et le commerce des armes est plus sensible que celui des yaourts. Il n’en reste pas moins que les réactions actuelles me semblent plus viscérales que réfléchies. Comme d’habitude, les politiques risquent de prendre une veste si les marchés financiers trouvent que le projet fait sens.
Je ne vois guère que deux solutions : soit on accepte de discuter avec les Russes d’une éventuelle coopération en respectant les règles du jeu capitalistique, soit, si les gouvernements sont trop inquiets, il leur revient la responsabilité de trouver un chevalier blanc acceptable. En dernier recours, il est toujours possible de renationaliser EADS en lançant une OPA sur le flottant. Le problème disparaîtra aussitôt.
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