Guyane française : « ils poussent un peu ! »
La Guyane française est un petit morceau du continent sud-américain qui est tout ce qui reste des ambitions de la France du XVI ème siècle, engagée dans la compétition avec les Portugais, les Hollandais, et les Anglais pour la prise de possession de cette partie du continent. Portugais et Espagnols, premiers arrivés, s’étaient partagés par un traité* la totalité de la découverte. Les Portugais s’étaient vu attribuer sa moitié orientale. Les "autres", dont nous-mêmes, animés par la jalousie et le sentiment d’injustice, ont cherché à reprendre ce qu’ils pouvaient d’un espace trop grand pour être bien étreint. "Nous" étions allés leur faire la nique jusque dans la Baie de Rio de Janeiro, au sud du territoire portugais, et nous avions aussi pris pied dans l’actuel État du Maranhao, sur le saillant nord-est. En passant, nous avions pris possession, au nom du Roi, de l’île de Cayenne**, à l’écart des trajets des marines ennemies.
Pourquoi, cinq siècles après la découverte et la conquête des Amériques par les royaumes européens, la Guyane est elle restée française ? Parce que c’était le plus mauvais morceau. Parce que nous étions la plus faible puissance maritime.
Quelques occupations symboliques par nos rivaux anglais et hollandais ne durèrent que ce que durèrent les états de guerre. Notre établissement de Cayenne ne nous fut plus disputé. Les explorations ultérieures des environs élargirent notre souveraineté jusqu’au fleuve Maroni au Nord, jusqu’à l’Oyapock, au Sud. La Guyane française se présente comme un trapèze dont la partie étroite se perd dans les Monts Tumuc Humac, couverts d’une forêt équatoriale impénétrable. À l’heure qu’il est, je ne suis pas sûr que la délimitation avec le Brésil soit bien précise sur ce petit côté du trapèze. Mais c’est strictement sans importance. L’immigration clandestine ne passe pas par là !
Pourquoi la Guyane française fut elle le plus mauvais morceau ? Son climat équatorial favorise le développement anarchique de la vie végétale et celui des insectes prédateurs de toutes sortes, qui se servent avant les hommes. Un phénomène géologique de grande ampleur a réduit la surface utilisable de la bande côtière, formée par les alluvions des fleuves et des rivières : sous le poids des alluvions de l’Amazone, le plateau des Guyanes s’enfonce au sud et se relève au Nord. En Guyana et au Surinam , la surface et la hauteur des alluvions émergés sont plus grandes.
En raison du climat et des maladies qui lui sont propres, paludisme et fièvre jaune, les tentatives de peuplement par des français de France furent désastreuses (2000 morts en quelques mois à Kourou). Pour exploiter leurs terres, les planteurs importèrent des Caraïbes des esclaves (je ne pense pas qu’il y ait eu une traite directe). Et pour finir, la France du dix-neuvième siècle eut l’idée d’imiter l’Angleterre et d’y envoyer ses bagnards. Mais de la manière la plus française qui fut : l’exil n’était pas une peine de substitution, mais un complément. Les condamnés accomplissaient leur peine dans des bagnes construits sur place. Les survivants, brisés, à la santé ruinée, devaient rester sur place un temps égal à celui de la condamnation, et étaient à la merci des habitants libres du territoire. Qui en conçurent un double mépris, pour le travail et pour les "petits blancs", auquel il était réservé.
Cette plaie était encore ouverte et purulente dans les années d’après-guerre (39-45), qui vit la transformation de la Guyane française en Département d’Outre-Mer. Le premier Préfet nommé entreprit un ambitieux programme de développement des infrastructures et d’assainissement des zones peuplées. En quelques années, le paludisme fut éradiqué. Une très longue route fut percée vers l’intérieur. Le port et l’aéroport furent créés ou améliorés. Le coût de ces investissements essouffla la Métropole.
La phase suivante se limita à la bande côtière, en raison inverse de la distance de Cayenne, le chef-lieu. L’importance de Saint-Laurent du Maroni, qui avait été le siège du plus important établissement pénitentiaire, justifia l’entretien de la route qui reliait Cayenne à cette ville. Elle ne comportait pas de ponts. Les rivières qui la coupaient étaient franchies par des bacs. Quant à la "route" de pénétration vers les villages d’orpailleurs de l’intérieur, elle ne fut plus en peu de temps qu’une trace d’un vert plus tendre sur la forêt primaire (vue d’avion).
Pendant des siècles, la population de la Guyane française n’avait jamais dépassé 50.000 habitants, indiens Caraïbes, Oyanpis et Oyanas, compris. La départementalisation et ses avantages en matière de salaires et de niveau sanitaire commencèrent à attirer quelques immigrants brésiliens et surinamiens. La prospérité relative reposait sur les salaires des fonctionnaires et agents de l’état.
Le développement des techniques et des activités spatiales révéla un atout géographique, jusque là inutile, de la Guyane française : sa position proche de l’équateur lui attribuait l’effet de fronde que la rotation de la terre ajoute à la puissance propre des fusées (cet effet augmente en approchant de l’équateur). Le gouvernement du Général de Gaulle, ayant placé l’ambition spatiale au même niveau que toutes les autres, n’avait pas besoin de mendier à quiconque un droit d’utiliser cet avantage balistique pour sa propre recherche. La base de Kourou eut le statut d’une évidence. Son développement eut d’avantageuses retombées économiques . Les flux migratoires se firent plus intenses et problématiques.
Ce préambule plus géographique*** qu’historique était nécessaire pour l’éclairage du mouvement d’humeur d’une partie importante (en efficacité) de la population guyanaise, sur la question de la cherté des carburants. Les guyanais ne sont sûrement pas les plus malheureux habitants de cette région. Leur sort est suffisamment enviable pour qu’il attire les miséreux des territoires voisins, éveillant des sentiments xénophobes qui n’ont rien d’inattendu ou d’exceptionnel. La géographie, toujours, met à l’abri la Guyane française de toute concurrence sauvage. Mais, justement, la population de souche a d’abord considéré que les fonctionnaires métropolitains, envoyés là-bas pour y faire leurs premières armes, prenaient des postes qui devaient leur revenir. Puis,la prospérité née de la base de Kourou attira cette immigration dépassant les besoins de main d’oeuvre, et devenue socialement encombrante. Les guyanais et leurs représentants politiques se fit plus râleurs que jamais. L’indépendantisme contourne son irréalisme, et s’exprime nettement dans le mouvement actuel, qui attribue à la Métropole****des maux dont ne sont responsables que les autorités locales (l’origine du mal absolu est effectivement plus ancien). Lesquelles, avec une mauvaise foi très humaine, délèguent à l’ État la charge de compenser intégralement et directement le surcoût des carburants. "Cinquante centimes (d’euro), sinon rien !" Rien, quoi ?
Les poires (que nous sommes) deviennent vite, sous ce climat, déliquescentes. Mais le jus qu’ils peuvent en tirer n’est pas un bon carburant. Si le gouvernement double ou triple le tribut proposé, c’est du côté de ses propres électeurs qu’il va perdre des plumes, même si l’oubli dispose de trois ans pleins.
* Le traité de Tordesillas, sous l’arbitrage du Pape
** L’insularité de Cayenne n’est pas évidente, étant pour une bonne part formée par un entrelac de rivières.
***Les conditions géographiques me semblent les premières dans la constitution et l’évolution des peuples.
**** "Métropole", appellation commune de l’objet de tous les sentiments et ressentiments.
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