Hissène Habré mérite-t-il un “procès équitable” ?

Le meurtrier de masse et tortionnaire Hissène Habré, après deux décennies de farniente à Dakar, devait être réexpédié ce lundi 11 au Tchad, pays où il a exercé ses talents très spéciaux. Las, c’était sans compter sans le goût morbide de la Communauté internationale pour les assassins sanguinaires, laquelle, par le truchement de son Haut Commissaire aux Droits de l’homme, la Sud africaine Navanethem Pillay, est parvenue à faire annuler l’expulsion au motif qu’un jugement d’Habré par ses pairs et ex complices n’eût pas été « équitable » ? Nous eussions apprécié que la dite Communauté internationale eût manifesté les mêmes réserves et la même pudeur effarouchée lorsqu’il s’agît de livrer Saddam Hussein, grand protecteur de minorités chrétiennes, à ses ennemis jurés qui furent aussi ses bourreaux … ou encore de poursuivre sans répit les patriotes serbes envers lesquels la justice des Nations se montre d’une impitoyable rigueur. Mais quand il est question de certaines dictatures compradores, la soi-disant rigueur morale des puissants de ce monde s’efface d’un coup pour alors montrer le déplaisant visage d’une abjecte complaisante.
Chef de l'Etat tchadien de 1982 à 1990, Hissène Habré vivait depuis vingt ans en exil à Dakar. Faisant l’objet d’une plainte depuis septembre 2008 devant la Cour de justice internationale pour crime contre l'Humanité (et accessoirement la liquidation de quelque 40 000 personnes au cours de ses huit années de pouvoir), des exactions apparemment bien documentées et particulièrement irréfutables. Or comme tout a une fin, le gouvernement sénégalais venait de décider de l’expulser, en un mot de « le renvoyer chez lui » par avion spécial et pas plus tard que ce lundi 11 juillet. Évidemment les professionnels de la compassion - tels l’Ong américaine Human Right Watch - déploraient que l’ex dictateur ne devait pas bénéficier à Ndjamena d’un procès aussi équitable (lire moins indulgent) que celui auquel il aurait pu prétendre à Bruxelles où la justice le réclame depuis 2005. Il est vrai qu’Habré risquait au Tchad la peine capitale et a priori pas grand chose dans une Belgique en pleine décomposition.
C’était sans compter sans l’Organisation des Nations Unies et sans l’Union européenne qui se sont émues que l’on puisse juger un vrai coupable et éventuellement le condamner. Pour nous sa cause était entendue : plus vite exécuté, plus vite oublié. À ce propos le rappel de quelques faits méritent de retenir toute notre attention !
Retour sur images
Le 14 juillet 1989, à l’occasion du bicentenaire de la Révolution, Hissène Habré paradait à la tribune officielle aux côtés de M. François Mitterrand, et plaisantait gaillardement avec le bellâtre Jack Lang et Dame Ségolène ! L’armée française, décidément très docile, rendit en effet ce jour-là les honneurs à l’assassin sordide de l’un des siens...
Le 21 avril 1974 Giscard d’Estaing est en passe d’accéder à la présidence, l’archéologue Françoise Claustre et un Allemand, le Dr Christophe Staewen sont enlevés au Tibesti, au nord du Tchad, par des rebelles Toubous. Lâchés par le Colonel Kadhafi qui les soutenaient jusque là, les dissidents manquent d'armes et d’argent, ils exigent en conséquence de Bonn et de Paris une rançon et un boulevard d’accès aux grands médias. L’Allemagne cède, le Dr Staewen est bientôt libéré tandis que la Française moins chanceuse sera retenue pendant mille jours.
L’officier de renseignement Pierre Xavier Galopin, officier des troupes de marine né en 1931, membre du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE), méhariste et accessoirement conseiller de la Garde nationale tchadienne, est alors désigné par le nouveau président de la République pour négocier la libération de la Française. Mais le 4 août suivant celui-ci est à son tour pris en otage. Il périra martyrisé huit mois plus tard, le 4 avril 1975 sur ordre d'Hissène Habré en représailles au refus de Paris d’effectuer la livraisons des armes convoitées.
Le 2 avril, Habré avait envoyé un ultimatum au gouvernement français annonçant l'exécution imminente du commandant si Paris n’obtempérait pas. En fait la lente exécution de l’officier de renseignement avait commencé dès le 1er avril : pendant deux jours, le corps du Cdt Galopin est dilacéré au moyen de silex tranchants dans le but de lui faire dresser une liste d'armes livrées par la France à Ndjamena. Habré croyant avoir obtenu les bonnes réponses et Galopin en piteux état étant devenu fort encombrant, Habré le fait entraver entre les pattes antérieures d'un dromadaire. Le supplice commencé au cours de la journée du 3 avril se poursuivra la nuit du 4. Après avoir éviscéré l’officier français, son abdomen est rempli de caillasses qui se heurtent quand l’animal se déplace… À l’aube du 4 avril, son calvaire prend fin avec la pendaison de l’agonisant. Son squelette et ses derniers restes charnels abandonnés au souffle ardent du désert achèveront de se dessécher…
Ne laissons pas le culte des morts, ni le monopole de la mémoire à ceux qui en font un si détestable usage.
9 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON