Hongrie-Slovaquie : aux origines de la discorde
La diaspora hongroise pourra désormais obtenir un passeport hongrois. Scandale en Slovaquie, où la minorité magyare joue un rôle particulier. Retour sur les origines de la discorde hongroise-slovaque...
Le parlement hongrois a approuvé à une écrasante majorité (344 voix pour contre 3 contre) une des promesses phares du Fidesz (le parti de droite hongrois) qui avait triomphé aux dernières élections législatives, au printemps 2010, remportant 2/3 des sièges. Cette mesure accorde aux 3,5 millions magyars de la diaspora un passeport hongrois, à condition de justifier une ascendance hongroise et d’être en mesure de parler la langue. Parmi eux, 2,5 millions vivent dans un pays voisin, principalement en Roumanie (1 448 000) et en Slovaquie (569 000), où la minorité hongroise constitue 10% de la population. La Hongrie espère ainsi cultiver les relations avec sa diaspora, que le Traité du Trianon a repoussé hors des frontières magyares (voir carte Le Figaro). Le Fidesz satisfait par la même occasion le parti nationaliste du Jobbik, qui a réalisé une poussée surprenante aux européennes puis aux législatives (16,77% des suffrages).
A l’annonce de la création du "passeport Trianon", tous les états abritant une minorité magyare l’ont accueilli favorablement, à l’exception notable de la Slovaquie du très conservateur Robert Fico, qui s’est empressé de réagir via un projet de loi instituant que tout citoyen de Slovaquie qui demandera une autre citoyenneté perdra automatiquement la première. Cette loi entrera en vigueur le 17 juillet, jour de la souveraineté slovaque. Dans un entretien au Figaro, Robert Fico estime que le passeport Trianon fait parti de la stratégie officielle du Fidesz qui veut revenir à la Grande Hongrie d’avant Trianon, être responsable non pas seulement des 10 millions de Hongrois, mais de tous les Hongrois des pays voisins. Elle présente un risque pour la sécurité de la Slovaquie. Imaginez que des milliers de citoyens prennent la nationalité hongroise : les hommes politiques hongrois se comporteraient comme si le sud de la Slovaquie était partie intégrante de leur territoire ! En Slovaquie, le sort des minorités hongroises est particulier, résultant de discordes viscérales entre les deux états.
Montée du nationalisme en Slovaquie
Ces cinq dernières années ont contribué à exacerber les tensions. La montée des partis nationalistes en Hongrie comme en Slovaquie n’est pas étranger à la situation. En 2006, les élections législatives conduisent à la victoire du parti de gauche-nationaliste de Robert Fico (le Chevènement local) qui doit former une coalition avec l’extrême droite anti-magyare de Jan Slota (voir photo) : ce dernier a récemment considéré qu’un conflit entre la Slovaquie et la Hongrie était probable et qu’il vaut mieux être en coalition avec le diable qu’avec les Hongrois.
En juillet 2009, la Slovaquie avait interdit l’usage du hongrois dans l’administration et dans tous les espaces publics : les minorités hongroises était ainsi visées. Robert Fico s’est récemment justifié au Figaro, arguant que cette loi vise à protéger le slovaque, elle n’est pas dirigée contre les Hongrois. Il y a des villages ici où le maire est hongrois et sur les panneaux d’affichage de la mairie, tout est écrit en hongrois ! On veut que les Slovaques puissent les lire. On est encore en Slovaquie, tout de même ! A l’époque, un politologue slovaque avait déclaré au Monde que cette loi relève de la provocation et crée un climat de surenchère nationaliste. Elle alimente le discours des extrémistes de droite du parti Jobbik en Hongrie et du SNS (le parti de Jan Slota) en Slovaquie.
Quelques semaines après, en août, le président hongrois Laszlo Solyom s’était vu refuser l’entrée dans le territoire slovaque, où il devait assister à l’inauguration d’une statue du roi de Hongrie St Etienne Ier, qui évangélisa les magyars au onzième siècle. Robert Fico avait fait savoir à M.Solyom que sa venue en Slovaquie dénoterait une arrogance brutale, et surtout un manque de respect pour la République slovaque puisque le jour de sa venue, le 21 août, coïncidait avec l’anniversaire de la répression du Printemps de Prague en Tchécoslovaquie par l’armée rouge, avec laquelle l’armée hongroise s’était associée. Un prétexte plus qu’un argument.
La Grande Hongrie, le rêve du Jobbik
Les élections législatives du printemps dernier en Hongrie ont consacré la victoire des conservateurs du Fidesz...et la montée en puissance du Jobbik. Le Jobbik, fondé en 2003, dirigé par le jeune trentenaire charismatique Gabor Vona, est très clairement à droite de l’échiquier politique et ne rêve que de reconstituer la Grande Hongrie d’avant le Traité du Trianon. Dans le cadre d’un reportage diffusé sur TV5Monde, Gabor Vona déclarait au lendemain des échéances européennes 2009 si dieu nous a donné la grande hongrie, il nous la donnera encore.
De quoi effrayer la Slovaquie, même si le Jobbik tente de polir son image, déjà bien entamée par la "Garda" (voir photo), cette milice paramilitaire liée au mouvement de Gabor Vona fondée en 2007, accusée de violenter la communauté rom. Le Jobbik avait déposé un amendement, rejeté, permettant non seulement à la diaspora magyare de disposer d’un passeport hongrois, mais également d’obtenir le droit de vote aux élections nationales. On n’ose imaginer la réaction de Jan Slota et Robert Fico si pareil amendement avait été adopté...
Une problématique démographique, historique et culturelle
Mais les tensions entre slovaques et hongrois ne sont pas seulement dues à la montée des courants nationalistes des deux côtés du Danube. Et ce n’est pas un hasard non plus si la difficile gestion des minorités hongroises est une spécificité slovaque. Tout d’abord, les magyars sont démographiquement parlant prépondérant : ils représentent plus de 10% de la population contre 6% en Roumanie, 3% en Serbie et un tiers de pour cent en Autriche et en Ukraine. Ce n’est donc pas un sujet anodin et il n’est pas étonnant que la minorité hongroise réclame une certaine forme d’autonomie, ce qui ne peut qu’irriter les slovaques.
Ensuite, ces derniers nourrissent une crainte permanente de perdre de leur indépendance récemment et difficilement acquise : Robert Fico (voir photo) assoit sa popularité sur ses diatribes antimagyares, accusés de vouloir entamer la reconquête de la Slovaquie et d’en vouloir à son indépendance. D’ailleurs, cette conception du premier ministre slovaque, la peur de perdre l’indépendance, transpire dans l’interview qu’il a accordé cette semaine au Figaro : le premier ministre, Viktor Orban, fait comme si la Slovaquie n’existait pas. Pourquoi a-t-il choisi la Pologne pour sa première visite officielle ? Juste pour montrer que la Slovaquie, située entre la Hongrie et la Pologne, n’est pas un pays, mais que la Pologne, elle, est limitrophe de la Hongrie a-t-il ainsi déclaré.
Au XIXème siècle, les slovaques, (la Slovaquie faisait alors partie intégrante de la Hongrie) étaient assimilés et l’usage du Slovaque était réprimandé : Robert Fico agirait-il par pure vengeance ? L’affaire du barrage Gabcikovo-Nagymaros avait également mis le feu aux poudres entre les deux pays : ce barrage, commandé sous l’ère soviétique, devait détourner le Danube en Slovaquie et en Hongrie. Mais du côté magyar, des manifestations prétendument écologiques (un prétexte, elles étaient en réalité dirigées contre le pouvoir communiste en place) avaient suspendues la construction...mais pas chez les Slovaques. En conséquence, le Danube s’est retrouvé totalement asséché en Hongrie et l’affaire fut portée devant la Cour Internationale de Justice. En outre, un fait divers en 2007 avait fait grand bruit : une hongroise de Slovaquie avait été battu pour avoir parlé hongrois en pleine rue, puis, la police et Robert Fico l’avait accusé de mentir pour nuire à la Slovaquie et attirer l’attention sur la minorité magyare. Un exemple parmi tant d’autres qui témoignent des tensions viscérales entre hongrois et slovaques. Au coeur même de l’Union Européenne...
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