Il faut savoir raison garder
La position d’Eunice Barber sur les J.O. nous interpelle...
Dans son édition d’hier, le journal l’Equipe faisait une large place aux propos tenus par l’ancienne championne du monde de l’heptathlon et de la longueur, Eunice Barber, concernant sa position sur les Jeux Olympiques de Pékin. Le moins que l’on puisse dire est que ses idées sont à la fois bien affirmées et assez contradictoires. Cela n’a rien d’étonnant quand on sait qu’elle a apporté son soutien à Ségolène Royal pendant l’élection présidentielle de 2007, mais aussi à la candidate UMP à la mairie de Reims. A sa décharge, nous dirons qu’elle n’est pas la seule à changer d’avis au gré des circonstances.
En revanche, elle a tenu des propos qui interpellent quant à la démocratie en France et en Chine. Manifestement elle a encore sur le cœur les problèmes qui l’ont opposée à la police lors de son interpellation il y a deux ans, ce qui a entraîné pour elle une mise en examen pour outrage à agents et refus d’obtempérer. Nul ne sait exactement ce qui s’est passé ce jour-là en dehors des protagonistes eux-mêmes, mais Eunice Barber a semble-t-il la rancune tenace ce qui explique ses propos quand elle dit : « En matière d’humanitaire, la France n’a pas de leçons à donner à la Chine. »
Cela étant, si la France est loin d’être un modèle d’intégration pour les étrangers arrivant sur son sol, si la France a une politique que je qualifierais d’honteuse pour les immigrés sans-papiers et sans doute très souvent pour ceux qui en ont, je pense que cette dame, pour qui j’ai beaucoup d’admiration sur le plan sportif, va quand même un peu loin quand elle compare la situation des droits de l’Homme en France et en Chine. La Chine est une dictature et les opposants n’y ont pas droit de cité. Si elle vivait en Chine, Eunice Barber ne pourrait pas tenir dans le Quotidien du Peuple, les propos qu’elle tient dans l’Equipe. Il faut savoir raison garder.
Cela ne l’empêche pas d’être dans le vrai quand elle stigmatise le traitement qui est infligé dans notre pays à ce que l’on appelle « les minorités visibles ». Pour beaucoup et pour ne parler que des sportifs, ces gens-là sont français quand ils remportent une médaille aux Jeux Olympiques ou aux championnats du monde, mais ils ne le sont plus quand ils ne peuvent plus porter haut nos couleurs. D’ailleurs, je déteste entendre parler de discrimination sous toutes ses formes, y compris positive. Il faut s’appeler Nicolas Sarkozy ou être UMP pour apprécier ce concept.
Il est même inadmissible d’entendre dire qu’une personne occupe un poste au nom de la diversité. Pour rester dans le sport, cela me fait penser aux quotas imposés par la RFU (fédération sud-africaine de rugby) dans son équipe nationale pour que celle-ci apparaisse multiraciale, ce qu’elle n’est pas vraiment. Si l’on en est encore à ce stade en Afrique du Sud, c’est qu’il y a beaucoup de progrès à faire dans ce pays sur l’égalité raciale. Cela dit, le phénomène ne se cantonne pas seulement à l’Afrique du Sud, hélas, trois fois hélas.
Pour en revenir à Eunice Barber je dirais qu’elle a aussi raison, quand elle pose la question de savoir pourquoi les Jeux Olympiques de 2008 ont été attribués à la Chine. N’oublions pas que Toronto et Paris notamment étaient parmi les villes candidates, et que tout le monde reconnaissait que techniquement ces villes disposaient d’atouts supérieurs à Pékin. De plus, à Toronto ou à Paris, le risque de voir les Jeux perturbés ou menacés de boycott était inexistant, contrairement à Pékin. A ce propos je voudrais rappeler que les Tibétains n’ont jamais accepté la désignation de la capitale chinoise, furieux à l’idée de voir la Chine bénéficier de l’exposition planétaire que procurent les Jeux Olympiques.
Si le monde l’avait oublié, le Tibet a été envahi par l’Armée populaire de libération chinoise (c’est son nom) en 1950, et la désignation de Pékin en 2001 pour l’organisation des Jeux de 2008 rendait encore plus amer cet anniversaire. Mais de cela l’omnipotent président du CIO, Juan Antonio Samaranch, n’avait cure. Lui était d’abord intéressé par les milliards de dollars qu’était prête à investir la Chine pour les Jeux Olympiques de 2008, dont nombre d’entreprises occidentales allaient profiter. Alors que pouvaient peser 5 millions de Tibétains pour un Samaranch… ou pour les gouvernements des grands pays de la planète. Là est toute l’hypocrisie de ce que nous entendons aujourd’hui : tout le monde ou presque condamne la politique chinoise au Tibet, mais personne ne veut faire de peine à ses dirigeants, Nicolas Sarkozy le premier.
D’ailleurs, la quasi-totalité des responsables politiques des grands pays, donc ceux qui ont des intérêts considérables en République populaire de Chine, se disent satisfaits de voir le gouvernement chinois renouer le contact avec les autorités tibétaines. L’honneur paraît sauf, et peu importe le déshonneur que procure une telle attitude à la Ponce Pilate. Quelques achats d’Airbus ou de centrales nucléaires sont aux yeux de nos gouvernants beaucoup plus importants que le sort réservé à moins de 0,5% de la population chinoise, en oubliant que le non-respect des droits de l’Homme concerne aussi toutes les provinces chinoises.
Michel Escatafal
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