Initiatives et intérêts français envers Téhéran
La France, en envoyant un diplomate à Téhéran la semaine dernière au sujet de la crise au Liban, s’est lancée dans une action unilatérale avec la République islamique d’Iran. Cette initiative met en lumière les contradictions de la position française au Moyen-Orient, et en Iran en particulier. Derrière le règlement de la crise au Liban, quels sont les intérêts de la France envers l’Iran ?
Les initiatives unilatérales françaises reprennent envers Téhéran,
avec la visite de Jean-Claude Cousseran, un diplomate chevronné du Quai
d’Orsay, le mercredi 20 juin. M. Cousseran s’est entretenu avec
Manouchehr Mottaki, ministre des Affaires ètrangères de l’Iran, au
sujet de la situation au Liban. A cette occasion, M. Mottaki a déclaré
que « la stabilité et la sécurité du Liban sont d’une importance
essentielle pour l’Iran 1 ». Le 26 juin, le porte-parole du ministère
des Affaires étrangères iranien, Mohammad-Ali Hosseini, déclare que «
la poursuite de discussions [entre la France et l’Iran] créent un
terrain approprié pour l’établissement de la stabilité régionale et la
prévention des crises 2 ».
Une telle initiative unilatérale de la France avait déjà été prévue
et avait suscité une polémique en janvier de cette année. Alors que
Bernard Kouchner déclarait dimanche dernier à l’occasion de la visite de
Condoleezza Rice : « Plus nous travaillerons ensemble, mieux ce sera », cette initiative unilatérale du Quai d’Orsay à Téhéran permet de pointer une fois de plus les incohérences françaises au Moyen-Orient.
Alain Gresh, au mois de janvier 2007, soulignait déjà ces incohérences
: Paris engage un dialogue avec Téhéran et refuse le contact avec Damas
; le Quai d’Orsay utilise le nucléaire iranien pour se rapprocher de
Washington et fait ensuite cavalier seul ; enfin, la stratégie
américaine en Irak, qui pousse à l’affrontement avec l’Iran, est
contraire aux intérêts de la France.
Le ministère des Affaires étrangères iranien a approuvé l’initiative
française concernant la crise au Liban. Derrière le règlement de la
crise au Liban se profile la protection des intérêts français en Iran.
En effet, les entreprises européennes, et françaises en particulier,
profitant de l’absence des entreprises américaines depuis 1980, ont
signé de nombreux contrats en Iran depuis les années 1990. Depuis cette
époque, 20 à 25 milliards d’euros auraient été investis par des
entreprises françaises en Iran3.
Les banques françaises, BNP et Société Générale en tête,
représentent un quart de tous les crédits consentis au gouvernement de
Téhéran jusqu’en mars 2006. Total a investi 1,65 milliards d’euros sur
quatre projets d’exploration et de production en Iran. Peugeot fournit
les pièces détachées des 206 et 405 produites en Iran par Iran Khodro
(275 véhicules produit en 2005). Citroën livre des Xantia assemblées
localement par Saipa depuis 2001. Renault est aussi présent en Iran, et
vend depuis mars 2007 la Tondar-90, version locale de la Logan,
produite en partenariat avec Pars Khodro, une filiale de la Saipa.
Enfin, Alcatel a signé un contrat en 2004 portant sur l’installation de
100 000 connections internet à haut débit.
Les intérêts français en Iran portent sur des montants importants, et
l’initiative diplomatique unilatérale du Quai d’Orsay envers Téhéran
pose plusieurs questions. La préparation de la conférence à Paris est
destinée à régler la crise libanaise, dans laquelle Téhéran peut peser
sur son allié, le Hezbollah libanais. Mais que pourrait offrir Paris en
échange d’une coopération des Iraniens au Liban ? Les options sont peu
nombreuses. La France pourrait reconnaitre l’Iran en tant que puissance
régionale. L’autre possibilité serait que la France reconnaisse à
Téhéran le droit de poursuivre son programme nucléaire ou puisse même
l’aider à le faire (comme cela avait été proposé début octobre 2006,
lorsque l’Iran avait proposé à la France qu’elle contrôle
l’enrichissement de l’uranium, en créant un consortium avec Eurodif et
Areva pour enrichir de l’uranium sur le sol iranien. Paris avait rejeté
la proposition4). Cette option semblerait être celle qui a la
préférence des dirigeants iraniens, à en juger par leur insistance
depuis plusieurs années à se voir reconnaitre leur droit à développer
un secteur nucléaire civil.
La France, en prenant cette initiative diplomatique envers Téhéran,
pourrait se retrouver dans une position bien délicate vis-à-vis de
l’Iran. Comment participer à une politique de sanctions internationales
alors que cette position menace l’intérêt économique français en Iran ?
Cette question pourrait devenir épineuse dans la poursuite des
objectifs de messieurs Sarkozy et Kouchner au Moyen-Orient.
Notes :
[1] : Manouchehr Mottaki : la stabilité du Liban constitue une sécurité importante pour l’Iran, Islamic Republic News Agency, Tehran, 21 juin 2007.
[2] : Iran, France enjoy potential to settle regional crises, Islamic Republic News Agency, Tehran, 26 juin 2007.
[3] : « Les bonnes affaires de la france en Iran », Yves Mamou, Le Monde, 3 novembre 2006.
[4] : Téhéran propose à la France d’enrichir de l’uranium en Iran, Paris écarte l’offre, RFI Actualités, 3 octobre 2006.
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