Agé de 32 ans, consultant dans un cabinet de conseil en stratégie, vivant à New York, Guy-Philippe Goldstein est diplômé d’HEC et du MBA de Kellogg à Northwestern University (Chicago).
Il a participé à la création du magazine « Tohu-Bohu », un magazine de débat ouvert à toutes les opinions créé par l’UEJF, qui lui a permis d’interviewer tant des personnalités israéliennes que palestiniennes. Il a également contribué à quelques reprises au website Newropeans.
Enfin, il est l’auteur de « Babel Minute Zéro » (Ed. Denoël), un premier aboutissement de plus de dix ans d’écriture et de documentation...
Luc
Mandret :
Dans quelques jours, les Français choisiront leur prochain président de la
République. Quels sujets internationaux devraient être abordés pour un
candidat souhaitant représenter la voix de la France dans le monde ? Guy-Philippe
Goldstein : En Chine, les élites du Parti communiste ont
une vision à très long terme du développement de leur pays. Aux Etats-Unis, on
a vu des think tank
pousser la perspective à l’ensemble du XXIe siècle - ou encore le
Pentagone se poser la question de ce que seront les dangers du monde dans vingt ans,
lorsque le réchauffement climatique commencera à bouleverser les grands
équilibres de la planète. Qu’en est-il en France ? Qu’a-t-on entendu durant
la campagne ? Un candidat a-t-il dressé une vision du monde dans dix ans,
de façon à savoir dans quel environnement international le pays va atterrir au
bout de deux mandats ? Evidemment, cette discussion existe en France mais
il est hallucinant qu’elle ne soit pas entrée dans le débat public durant la
campagne. Il y aurait pourtant des sujets importants à évoquer pour la France,
qui est tout de même encore une puissance nucléaire disposant d’un droit de
veto au Conseil de sécurité de l’ONU.
Nous connaissons nos menaces directes : c’est le risque
d’une Russie à la dérive, qui possède encore des milliers de têtes nucléaires
en ‘hair trigger’ et
qui pourrait demain nous contraindre à un chantage énergétique. C’est le
problème d’un ensemble méditerranéen qui reprend les frontières larges de
l’Empire ottoman, aux régimes instables, fragilisés par le terrorisme
islamiste, peut-être tentés par la prolifération nucléaire, mais dont on ne
peut fermer la porte. Au-delà, ce sont les menaces en Extrême-Orient, la question
de la prolifération nucléaire et le changement climatique qui constitueront les
grands sujets mondiaux. Dieu merci, le retour au pouvoir de la gauche démocrate
aux Etats-Unis, qui est déjà en cours, devrait nous aider à
« retrouver » notre ami américain - car seul l’allié atlantique a
assez de poids pour entraîner le reste de la planète. Le défi du président ou
de la présidente de la France consistera à comprendre que les frontières du
monde se rétrécissent à vue d’œil et que, seuls, nous serons nus face au réveil
des vieux géants...
Luc
Mandret : A
lire votre ouvrage "Babel minute zéro", le danger de guerres
nucléaires semble réel et omniprésent, dans de nombreuses régions
mondiales. Est-ce pour vous inéluctable ? Quel est l’état des lieux de
l’armement nucléaire ? Avons-nous une idée de ce que pourrait être
l’élément déclencheur ?
Guy-Philippe
Goldstein : C’est la grande surprise que l’on peut se
faire tous les jours. La guerre froide est terminée depuis plus de quinze ans.
Et pourtant Américains et Russes détiennent encore chacun de 7 à 8.000 ogives
nucléaires dont une grande part en alerte « hair trigger ». Ces armes de la guerre froide
n’ont pas disparu, et ne sont pas près de disparaître. La Chine a son propre
programme de développement de forces stratégiques. La prolifération nucléaire,
on le voit bien avec l’exemple iranien, pakistanais ou nord-coréen, est une
menace qui ne cesse de croître - c’est d’ailleurs pour cela que le président Chirac a modifié la doctrine nucléaire de la France en incluant la
riposte au terrorisme. Nul ne sait si la guerre nucléaire est inéluctable. Mais
l’arme nucléaire a déjà été utilisée contre des populations civiles ; cela
ne fait après tout que soixante ans que nous vivons avec cette technologie, ce
qui ne constitue pas grand-chose à l’échelle plurimillénaire de la civilisation
humaine ; et enfin rien ne montre que l’on essaie de détruire non
seulement les armes, mais la technologie elle-même. Pour ma part, je ne connais
pas de systèmes fiables à 100% : il y a toujours une erreur, même
improbable, même de 0.01%. Mais dans le système militaro-diplomatique qui
dirige le monde, piloté par des hommes qui doivent parfois réagir à des menaces
en quelques minutes, la faille pourrait un jour se traduire en souffle
nucléaire. Avec le temps, nous atteindrons le risque 0.01%. Nous semblons
aujourd’hui condamnés à vivre avec la Bombe jusqu’à la fin de nos jours.
Luc
Mandret :
La second menace terrible menaçant l’ordre mondial, et pouvant entraîner un
chaos mondial, est la guerre informatique. Peut-on réellement penser que le
black-out total menacera la civilisation moderne ? Au même titre que la
prolifération nucléaire se veut maîtrisée par les accords internationaux,
devient-il nécessaire de réfléchir à des accords internationaux de
non-agression informatique ?
Guy-Philippe
Goldstein : Ce qui est clair aujourd’hui, c’est qu’un
dispositif s’est mis en place aux Etats-Unis : la dénonciation du traité Anti-Ballistic Missile par le
gouvernement Bush Jr. dès juin 2002 a ouvert la porte à la militarisation de
l’espace, qui constitue l’un des piliers de la guerre informatique car c’est à
travers les satellites que transite l’information ; l’intégration en
octobre 2002 de l’US Space Command
à l’US Strategic Command
a permis le développement d’un commandement unifié espace-cyber espace ;
la directive présidentielle de juillet 2002 signée dans le cadre de la
préparation de la guerre en Irak autorise pour la première fois l’utilisation
offensive d’armes cybernétiques contre des réseaux informatiques.
Ce qui est également clair, c’est que de l’autre côté du
Pacifique, la Chine n’est pas en reste : depuis 1994, elle a développé un
programme d’armes cybernétiques reposant sur une doctrine originale qui
reconnaît les avantages de « l’attaque de première frappe ». Et elle
a prouvé en janvier de cette année qu’elle pouvait détruire des satellites
ennemis. Là encore, tout comme le nucléaire, on ne voit pas comment
mettre fin à ces nouveaux types d’armes - d’autant que, par définition, ces
armes sont encore mieux dissimulées que leurs consœurs nucléaires. Elles sont
d’autant plus dangereuses que leur objectif est de créer l’erreur chez
l’adversaire. Et ce faisant, elles vont faire exploser le risque 0.01%.
Luc
Mandret :
La Chine apparaît, de par sa technologie, son économie et sa démographie, être
le plus important contrepoids de la suprématie américaine. Les Etats-Unis
doivent-ils s’attendre à perdre leur hégémonie en matière de diplomatie ?
L’accepteront-ils et quelle peut être leur stratégie pour retarder cette
probable échéance ?
Guy-Philippe
Goldstein : Les néoconservateurs du Project for New American Century
ne l’avaient pas accepté - toute la philosophie de leur document devenu base de
travail de Bush Jr., « Rebuilding
America’s Defense », consistait à maintenir une nouvelle
thalassocratie impériale mais pacifique à l’image de la couronne britannique du
XIXe siècle afin de contrecarrer l’émergence de l’autre empire - celui du
Milieu. Cette approche semble aujourd’hui redevenue marginale. Il va falloir
bien sûr compter avec la Chine, mais rien ne dit d’ailleurs que le reste des
Occidentaux en profiteront, comme on le voit avec le nucléaire iranien ou le
Darfour. Et puis les attributs de la puissance américaine n’ont pas
disparu : la capacité à attirer les hommes (le pays est passé de 100 à 300
millions d’habitants en un siècle) ; les idées (car la presse est libre et
le code de la propriété intellectuelle respecté) et les capitaux (grâce à un
système de financement privé de l’innovation bien plus développé qu’en Europe
ou en Asie, qui accepte l’échec et fonctionne main dans la main avec les
Universités). Là-dessus, il reste encore un formidable outil militaire hérité
de la guerre froide : il représente à lui seul en termes de dépenses
l’équivalent de presque tout l’ensemble des autres grands pays réunis !
Tout cela ne va pas disparaître du jour au lendemain.
Par contre, ce qui a manqué au cours des six dernières
années, c’est un leader compétent qui réinvente une manière de travailler avec
les Alliés et la Chine. Vous savez, dirigé par un fratboy ex-alcoolo, même le philharmonique de Berlin
finirait par produire de la merde...
Luc
Mandret :
Les exemples historiques et les détails des arcanes du milieu des
renseignements américains, russes, français et chinois sont nombreux dans votre
ouvrage. Pouvez-vous nous dévoiler une partie de vos sources
d’informations ?
Guy-Philippe
Goldstein : La beauté de l’affaire, c’est que, pour peu que
l’on ait la patience de creuser un peu, l’essentiel de l’information est
disponible via des sources ouvertes, en particulier lorsque l’on traite
d’information non tactique. Et pour le reste, il est toujours amusant de se
poser la question « en creux »... Pour ce qui est des sources
historiques, deux ouvrages m’ont frappé : The Tiananmen Papers, édité par Andrew J. Nathan ; et Les Causes de la Première Guerre mondiale,
un essai d’historiographie de Jacques Droz, qui cite le « Griff nach der Weltmacht »
de Fischer.
Luc
Mandret :
L’Iran apparaît après l’Irak comme le nouveau mouton noir des faucons des
Etats-Unis. Une guerre entre ces deux pays est-elle à craindre ? Quel rôle
la France pourrait-elle jouer pour désamorcer ce risque de conflit armé ?
Guy-Philippe
Goldstein : L’Iran est en crise : le président
Ahmedinejad est ouvertement contesté après s’être lancé dans une longue
suite de promesses budgétaires impossibles à tenir ; l’inflation n’est pas
maîtrisée ; le pays est obligé d’importer du pétrole raffiné en raison
d’une politique inconsidérée d’essence bon marché !... Et derrière,
Rafsandjani attend au tournant. Si j’étais les Américains, je continuerais les
pressions militaires afin de continuer à affoler le système bancaire iranien.
Et j’attendrais que le fruit soit mûr, afin de le cueillir et de le déposer
délicatement dans les mains reconnaissantes de Rafsandjani.
Luc
Mandret :
Il est beaucoup question dans votre livre des tensions entre Taiwan et la
Chine. Pouvez-vous nous retracer l’historique de ces tensions, leurs causes, et
les différentes probabilités d’évolutions ?
Guy-Philippe
Goldstein : Sans faire un cours d’Histoire, je rappellerai
simplement que tout cela date de la guerre civile de 1945-1949, quand les
forces nationalistes du général Tchang Kai-Chek se sont enfuies dans l’île de
Formose pour échapper aux communistes. S’en est suivie une longue guerre froide
dans le détroit de Taïwan, ponctuée de deux crises militaires majeures en 1954
et 1958 où l’on a envisagé l’escalade nucléaire du côté américain. Dans les
années 70, renversement d’alliance : la présidence américaine reconnaît le
principe d’une seule Chine, mais le Congrès US impose en 1979 un traité avec
Taïwan qui force l’Amérique à protéger Taiwan si elle est attaquée. Depuis, il
y a eu de nombreux flux d’échanges commerciaux et humains. Mais la question
demeure taboue en Chine : officiellement, le pays fera la guerre le jour où
Taiwan, entre autres, déclarera son indépendance ou réalisera un essai
nucléaire. Et d’ailleurs, en 1996, elle a failli dégénérer lors de tests de
missiles chinois au moment où Taïwan organisait des élections démocratiques. Il
a fallu l’intervention de la VIIe flotte américaine dans le détroit de Taïwan
pour calmer le jeu. Il y a une part d’irrationnel dans cette affaire :
pour la Chine, Taïwan fait partie du territoire chinois, point barre. Le gouvernement taïwanais ne pourrait faire sécession - même si dans les faits, c’est le cas
depuis soixante ans !
Luc
Mandret :
Vous parlez très peu de l’Amérique du Sud. Pourtant cette région est très
convoitée par les Américains, notamment en raison de la richesse de son sol. Et
depuis quelques années, des gouvernements de gauche, refusant clairement le
joug des Américains, ont fleuri sur ce continent. Comment les USA feront-ils
pour retrouver une influence dans ces Etats ? Peut-on craindre le retour
de dictateurs installés par le Pentagone ?
Guy-Philippe
Goldstein : Là encore, la (courte) époque d’Otto Reich, le
sous-secrétaire d’Etat en charge des basses œuvres de l’administration Bush en
Amérique Latine en général et au Venezuela en particulier, semble totalement
révolue. Je n’ai d’ailleurs pas beaucoup de sympathie pour un Chavez qui
cherche l’amitié d’Ahmedinejad ou de Loukachenko, ce qui en dit long sur son
respect de la démocratie : voilà encore un leader d’Amérique du Sud prêt à
sacrifier tout principe sur l’autel de la haine anti-américaine. Je suis
beaucoup plus intéressé par un Lula ou une Bachelet. Eux préparent l’avenir.
Car les Etats-Unis retrouveront leur influence naturelle en Amérique du Sud -
le jour où un politicien compétent reprendra les rênes du pays, tout
simplement. Il y a aujourd’hui plus d’hispanophones aux USA qu’en Espagne
(41 millions) et l’exemple de l’Etat de Californie montre que les destins
de l’Amérique du Nord et du Sud vont continuer de naturellement se rapprocher.
Luc Mandret : L’Afrique ne se réveille toujours pas, les
dictatures plus ou moins soutenues par l’Occident ne donnent aucun avenir à leurs
populations. A-t-on raison de rester pessimiste ?
Guy-Philippe
Goldstein : Depuis le processus de la Baule, la propagation
des radios libres (pour citer Tom Friedman du New York Times) et la multiplication d’exemples
intéressants (‘turnaround’
de l’Ouganda, des taux de croissance économique entre 5% et 15% dans certains
pays), il se passe quelque chose en Afrique. Mais les malédictions conjointes
du SIDA et des économies de la rente forcent la prudence. Tant que ne viendront
fleurir dans la corne de l’Afrique cent petits ateliers de confection de jupes
en coton que l’on retrouverait dans les sections « mode » des magazines
du groupe Prisma Presse,
il faudra encore espérer en des jours meilleurs pour ce continent oublié.
Luc
Mandret :
Quel avenir pour la diplomatie européenne ? Alors que le gouvernement
britannique de Tony Blair a été l’allié de celui de George W. Bush tout au long
de la guerre en Irak, s’opposant clairement à la France principalement, comment
envisager la possibilité d’une diplomatie commune à l’Union européenne ? Comment l’entrée des pays de l’Est fera-t-elle évoluer
l’axe franco-allemand ? Que devra être le travail de Ségolène Royal ou de
Nicolas Sarkozy pour permettre à l’Europe de parler d’une seule voix ?
Guy-Philippe
Goldstein : On l’a bien vu tant sur l’Irak que sur le
dossier du nucléaire iranien et auparavant sur celui du Kosovo et de la
Bosnie : il existe un groupe de tête en Europe constitué des trois plus
grandes puissances militaires de l’Europe de l’Ouest, la France, la
Grande-Bretagne et l’Allemagne. Ce sont aussi les seuls pays (en particulier
les deux premiers) qui possèdent porte-avions et capacités fortes de
projections.
Pour que l’Europe parle « d’une seule voix », il
faut donc d’abord que ce groupe de tête agisse de concert. Et en particulier
que la Grande-Bretagne résiste aux sirènes de la special relationship avec les Etats-Unis (si bien sûr,
cette autre puissance européenne que constituent les Etats-Unis s’opposait à la
France et l’Allemagne). Or, de ce point de vue, la guerre en Irak marque peut-être
un tournant. Cet alignement aveugle sur les positions américaines, sur le
modèle de la diplomatie britannique depuis l’épisode de Suez de 1956, est peut-être
révolu. C’est tant mieux, car cela ne pourra rendre le dialogue
USA/G.-B./France/Allemagne, vital pour l’OTAN, que plus mature et constructif.
L’action du président français devrait donc se concentrer à
créer un dialogue renforcé avec ces pays-là, auxquels pourraient se joindre par
la suite l’Espagne et l’Italie. Sans jamais oublier de continuer à pratiquer la
langue de Goethe ! Nous avons aussi notre propre special relationship, avec l’Allemagne...
Ce n’est pas parce que ce concept fondamental de notre système stratégique a
plus de cinquante ans qu’il faudrait en changer ! Au contraire :
l’avenir de l’Europe passe dans le renforcement plus avant de cette alliance
fondamentale. Et si la Grande-Bretagne voulait se mettre également au franzodeutsche, ne serait-ce que
sur les questions de défense, ce serait carrément le nirvana...
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Il faut lire une seule pharse de cette interview pour comprendre le système de pensée de G-Ph Goldstein :
« les Etats-Unis retrouveront leur influence naturelle en Amérique du Sud - le jour où un politicien compétent reprendra les rênes du pays, tout simplement ».
Exactement Courouve, c’est une erreur de stratégie de la part des occidentaux et une méconnaissance totale des cultures musulmanes, ou le temps est d’une autre dimension.
« une méconnaissance totale des cultures musulmanes, ou le temps est d’une autre dimension. »
Dans les sociétés où la religion domine, le temps s’arrête, la fixité des dogmes religieux faisant barrage à tout progrès.
Qui peut aujourd’hui, en lisant les anciens et nouveaux Testaments, ou le Coran, leur attribuer sérieusement une pertinence pour notre culture.
La source de la civilisation est chez les Grecs, inventeurs de l’histoire, de la littérature, des mathématiques, de l’esprit scientifique, et chez les Latins, dont le droit romain est encore d’actualité.