Irak : 10 ans d’horreur, et personne ne demande pardon
Dix ans après, le plus frappant est que personne ne s’excuse.
paru sur Mazzetta.com, le 21 mars 2013
L’ÉCHEC – Il ne fait aucun doute que l’invasion de l’Irak a été un désastre. Il ne fait aucun doute non plus qu’elle s’est basée sur des suppositions erronées et sur une volonté qui avait bien peu à voir avec les justifications officielles de cette intervention. Mais n’allez pas imaginer que ce 10e anniversaire sera l’occasion de réfléchir sur le rôle des États-Unis, ou du moins, sur les processus décisionnels et législatifs qui permettent d’aller faire la guerre à de nombreux pays sur la base de prétextes inconsistants, quand ils ne sont pas entièrement fabriqués.
LES RESPONSABLES – Même si en théorie on peut écarter l’hypothèse de la mauvaise foi, l’intervention américaine conserve malgré tout l’image d’un énorme échec du Renseignement, empressé qu’il fut de fournir à l‘administration Bush des prétextes à une volonté pourtant tout à fait claire.
Mais c’est aussi l’échec d’institutions comme l’armée de terre, l’aviation, et la marine américaine, une communauté vaste et influente qui aurait dû stopper l’émergence de rapports du renseignement parfaitement inconsistants et invraisemblables, comme ceux attribuant à Saddam la possession d’armes de destruction massive, et même la capacité de les utiliser pour déclencher des attaques dévastatrices contre des pays aussi éloignés que les États-Unis. Au premier rang de ce tableau, on trouve les personnages tragiques de Bush, Cheney, Rumsfeld et de tout ce cirque néoconservateur, auquel il faut ajouter, au même niveau, Blair, Aznar et Berlusconi, qui leur apportèrent leur appui, et toute une palanquée de chefs d’État qui y trouvèrent aussi leur compte. On trouve aussi, en bonne place, les médias, qui firent la promotion de cette propagande invraisemblable, et qui à la longue s’abandonnèrent à un véritable terrorisme psychologique aux dépens des opinions publiques occidentales.
LES FOUTAISES – Des mensonges incroyables ; l’Irak était de fait occupé depuis 1991 : au nord, le Kurdistan irakien était en réalité un territoire off limits pour Saddam ; son espace aérien était traversé de deux no-fly-zone qui ne permettaient aux hélicoptères de Saddam que de survoler la partie centrale du pays ; il n’avait plus d’avions de chasse, les ayant expédiés en Iran avant l’opération Desert Storm, d’où ils n’étaient pas revenus, même chose pour les chars d’assaut, carbonisés dans les environs du Koweït en même temps que les rêves du dictateur et quelques centaines de milliers de soldats irakiens envoyés au massacre contre les Américains.
UN SADDAM SANS DÉFENSE – De plus, le pays était sous embargo et pour cette raison, ce fut encore plus ridicule quand on chercha à faire passer avec succès quelques tubes d’aluminium bloqués à la frontière pour des morceaux essentiels d’une usine de fabrication d’armes chimiques. Mais les Irakiens n’ont jamais fabriqué d’armes chimiques, ils les achetaient en Occident, et après 1991, ils n’en avaient plus aucune, mais surtout, ils étaient incapables d’en fabriquer. Pour remédier à l’absence d’usines chimiques à incriminer, les Américains inventèrent alors la fantastique histoire des laboratoires mobiles dans lesquels les hommes aux ordres d’ « Ali le chimique » préparaient les terribles armes de destruction massive à bord de camions qui parcouraient le pays. Une immense plaisanterie et pas seulement à cause de l’énorme danger et la grande difficulté technique que représentait la réalisation d’une telle idée.
DES DÉPENSES EFFARANTES – Le dictateur irakien n’avait guère plus que sa suffisance, l’issue de l’invasion le montra bien, et même les Américains durent le reconnaitre, qu’en effet, sorry guys, il n’y avait pas d’Armes de Destruction Massive et qu’al-Qaïda y est arrivée seulement quand, à la suite des Américains, les Saoudiens et ensuite tous les autres étaient entrés dans le pays. L’exécution ne fut pas moins saugrenue que la décision d’entrer en guerre, sans regarder à la dépense, aux cris de Shock and Awe, et après dix ans, on peut dire qu’au citoyen américain il en coutera presque 6000 milliards de dollars, la moitié ayant déjà été dépensée, tandis que l’autre le sera sous forme d’assistance aux vétérans, intérêts des emprunts, etc. pendant les trente prochaines années.
LA TRAGÉDIE – Le conflit a fait un nombre de victimes proche du million, dont presque un tiers frappées directement par la violence et les autres par la dureté de la situation de guerre qui s’est créée dans le pays. Presque un million d’Irakiens blessés et quatre millions (sur environ 33) qui ont dû quitter leurs habitations pour échapper à la violence, dont deux à l’intérieur de l’Irak et les deux autres vers l’étranger, principalement en Syrie, où ils sont presque un million et demi, la plupart ne pouvant pas revenir en Irak.
LE NOUVEL IRAK – Le nouvel Irak a aujourd’hui un gouvernement à majorité chiite certainement plus représentatif que celui de Saddam, mais qui continue d’abriter plusieurs bases américaines, même si en théorie les Américains sont partis, et qui pour le reste gère le pouvoir d’une manière décidément plus dure, bien plus que nécessaire pour répondre à la présence d’al-Qaida et aux actions de différents groupes armés sunnites possédant des racines dans et en dehors du pays. En Irak, on n’a pas apporté la démocratie, et encore aujourd’hui, dix ans après une invasion menée presque sans coup férir, ce pays qui devait renaitre grâce à l’intervention américaine est au contraire devenu un amas de ruines et un paradis de la corruption. Les Américains eux-mêmes ont été les premiers à montrer l’exemple en dilapidant les milliards de dollars de leurs contribuables pour n’obtenir en échange absolument rien, aucun nouvel hôpital, aucune infrastructure, seulement de gigantesques dépenses dans le domaine de la « sécurité », au point que l’opinion commune veut que le pays est aujourd’hui dans un état pire qu’avant l’invasion.
LE BON EXEMPLE – Le nouvel Irak nait avec un homme fort, imposé par les Américains, avant de passer à un autre homme fort choisi plus ou moins par la majorité chiite. Ce dernier s’inspire de l’exemple des tuteurs de Washington qui montrent aux Irakiens une corruption qui fait s’évaporer des sommes jamais vues auparavant, et une usine de la torture pour laquelle ne paieront que les larbins qui ont fait circuler les photos où on les voit abuser des prisonniers irakiens, et qui témoignent à la population de l’Irak occupé le plus total mépris. Une population à laquelle aucun Américain n’a jamais demandé pardon. Ce n’est pas pour rien que le journaliste irakien qui avait lancé sa chaussure vers Bush est devenu un héros national, et même ceux qui haïssaient Saddam ne parviennent pas à remercier les Américains, sauf les Kurdes et quelques personnes fortunées.
Par exemple, personne n’oublie que l’Irak, en plus d’avoir perdu quelques puits de pétrole et des terres agricoles au profit du Koweït, doit encore à l’Émirat plusieurs milliards de dollars de dommages et intérêts, et tous savent que les États-Unis quant à eux ne paieront pas pour les dégâts qu’ils ont occasionnés à leur pays. Mais surtout, personne n’oublie les trahisons, les deuils, les blessés, les invalides, les humiliations, Bagdad transformé en Beyrouth.
LA VIOLENCE CONTINUELLE – Aujourd’hui le pays exporte du pétrole comme jamais, et cherche seulement à tenir le coup dans une situation où le 10e anniversaire de l’invasion a été précédé d’une terrible série d’attentats à la bombe, qui n’ont d’ailleurs jamais cessé de martyriser le pays. Février a été un peu moins meurtrier que janvier, avec « seulement » 220 morts et 571 blessés, contre respectivement 246 et 735 en janvier, soit près de mille au total. Des chiffres impressionnants et toujours en augmentation par rapport au dernier trimestre 2012, avec ses 136, 160 et 144 victimes d’octobre à décembre.
SILENCIEUX ET MUETS – En Occident, l’anniversaire se déroulera dans la plus grande discrétion, les responsabilités et le bilan sont connus depuis longtemps et personne ne les remet en question, mais personne non plus n’a demandé pardon aux Irakiens, ni à tous les militaires et civils d’autres pays qu’on a envoyés mourir en Irak. Seul le New York Times s’est excusé auprès de ses lecteurs pour leur avoir menti, mais dans notre pays, pas un pour penser à faire la même chose. On a même assisté à la revendication de Renato Farina, journaliste à la solde des services secrets, qui s’est dit patriote pour avoir menti en étant payé.
On ne verra pas de profondes réflexions sur la guerre, sinon dans les rangs des théoriciens du militarisme anglo-saxon, ou parmi ceux préoccupés par l’apparition d’un « syndrome de l’Irak » analogue à celui du Vietnam. Le problème du côté de Washington n’est pas celui d’empêcher que ne se répète un autre Irak, mais d’éviter que l’exécrable expérience commune à l’Irak et à l’Afghanistan n’empêche Washington de s’embarquer avec la même facilité dans une autre guerre justifiée par des prétextes risibles. Une option sans laquelle le complexe militaro-industriel américain risque à l’avenir une réduction drastique de ses profits qui n’ont jamais été aussi élevés que duant la dernière décennie, réduction qui serait accompagnée d’une baisse significative du potentiel d’intimidation de la machine de guerre américaine, laquelle deviendrait moins utile si elle ne montre pas qu’elle est capable de s’activer pour défendre les intérêts des États-Unis, avec la traditionnelle et vaste exception que l’on accorde habituellement à ce terme à Washington.
Traduction assurée par IlFattoQuotidiano.fr
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