Iran-Etats-Unis : vers la détente ?
En souhaitant de bonnes fêtes au peuple iranien et à ses dirigenats à l’occasion du nouvel an perse, Barack Obama a effectué un geste historique. Il a clairement appelé à une détente dans les relations entre les deux puissances. Pourtant la réponse de l’Iran a été plutôt défiante à l’égard du nouveau président américain. Mais Iran et Etats-Unis seront bien présents ensemble mardi, à l’occasion de la conférence sur l’Afghanistan. Alors pouvons-nous espérer une détente dans les relations irano-occidentales ?
Vendredi 19 mars, le président américain Barack Obama a effectué un geste historique. Par l’intermédiaire d’une vidéo publiée sur le site Youtube, il s’est adressé directement au peuple iranien et à ses dirigeants, à l’occasion du nouvel an perse, le norouz.
M. Obama a tendu la main, comme promis lors de son discours d’investiture du 20 janvier, à l’Iran. En même temps qu’il a souhaité ses meilleurs vœux au peuple iranien, il invite ses dirigeants à faire table rase du passé, et à aller de l’avant vers un futur sans tension entre les deux puissances, dans le respect mutuel. Les Etats-Unis engagent donc un réel dialogue avec l’Iran, plutôt que de proférer des menaces. Il a aussi indiqué que les Etats-Unis espéraient que l’Iran prendrait la place qui lui revient dans la communauté internationale, en insistant sur le fait que cette place ne pouvait être gagnée par la voie de la terreur ou des armes. La semaine dernière, les USA ont d’ailleurs invité l’Iran à participer mardi à La Haye à une conférence internationale sur l’Afghanistan. Ce que l’Iran a accepté.
Les Etats-Unis avaient interrompu leurs relations diplomatiques avec l’Iran après que du personnel diplomatique américain ait été pris en otage à l’ambassade américaine de Téhéran par un groupe de révolutionnaires iraniens en 1979. Depuis lors, Washington impose des sanctions à l’encontre de Téhéran, accusant la république islamique de développer secrètement des armes nucléaires et d’être impliquée dans des activités terroristes.
Alors que le monde entier a salué le geste d’ouverture et de dialogue du nouveau président américain, le discours d’Obama a été accueilli avec beaucoup de défiance de la part du Guide suprême de la Révolution, l’ayatollah Khamenei. Ce dernier a même été menaçant dans certains propos.
Pourquoi un tel comportement ? Comment analyser la réponse de Khamenei ? Et les deux pays parviendront-ils à une relation bi-latérale normale ?
Après la proposition d’Obama d’une relation apaisée, l’Iran n’a pas donné de réponse positive au message de M. Obama. C’est le Guide suprême Ali Khamenei, premier personnage de l’Etat, qui a répondu à Obama.
Une partie de son discours est compréhensible quand il dit : "Nous observerons et jugerons par conséquent. Si vous modifiez votre attitude, nous modifierons la nôtre", a-t-il déclaré, avant d’ajouter : "Il est insuffisant d’évoquer des modifications dans les déclarations, on doit voir un véritable changement". On ne peut pas en vouloir à l’Iran d’être méfiant envers les Etats-Unis après les années Bush. En effet, on sait que l’administration de l’ancien président avait très sérieusement envisagée une opération militaire contre l’Iran ; et ce sous l’influence du vice président d’alors, Dick Cheney. Bush avait placé le pays dans son fameux « Axe du mal » lors de son discours de 2002.
Pourtant, l’Ayatollah Khamenei a indiqué que pour lui, il n’y avait aucun changement. Il est très étonnant de l’entendre indiquer qu’aucun changement ne distinguait le discours de l’administration et celle de Bush.
Avouant les "sérieux différends" qui ont jalonné les rapports entre Washington et Téhéran, M. Obama a appelé les deux pays à faire en sorte de résoudre les différends de longue date.
Lors de son discours, Khamenei a utilisé très souvent « peuple », « notre peuple », « le peuple iranien », comme pour justifier et légitimer ses dires. Il a prononcé donc un discours populiste et souhaite ainsi parler au nom des iraniens. Pourtant il n’est pas vraiment légitime pour le faire ! En effet, il n’a pas été élu directement par le peuple, à l’inverse du président du pays. En Iran, le Guide suprême, lui, est nommé à vie par l’Assemblée des Experts qui est elle, élue par le peuple. Il parle comme si tout le peuple iranien était d’accord avec lui.
Nous pouvons supposer qu’une bonne partie du peuple en a marre d’être « guidé » par un homme qui dicte le mode de vie de tout un chacun dans ce pays. Le peuple aurait sûrement envie de davantage de libertés et d’ouverture au monde. Prenons un exemple : la série culte Friends : elle remporte un franc succès en Iran. Et pour ceux qui n’ont pas accès à Internet, un vaste marché noir s’est développé où l’on peut trouver l’intégrale des 10 saisons pour 40 dollars. Il faut savoir que la plupart des films et séries américaines sont interdits en Iran depuis la révolution islamique de 1979, les autorités dénonçant régulièrement l’"offensive culturelle" que mènerait par ce biais l’Occident contre le régime, faisant preuve ici de parano. Nous reviendrons sur la paranoïa plus loin. Depuis la généralisation d’Internet et des antennes satellites (pourtant interdites), les téléspectateurs iraniens peuvent découvrir les séries américaines dans lesquels ils se reconnaissent, malgré le fossé culturel.
Dans sa réponse à Obama, Khamenei dit aussi que son pays s’est renforcé, signifiant qu’il ne craint pas les Etats-Unis. Mais après, il cite en exemple la mise en orbite d’un satellite, des progrès dans le domaine nucléaire et balistique pour expliquer ce renforcement. On ne voit donc pas en quoi le peuple est renforcé si ce sont les seuls progrès qu’a effectué le pays. En effet, ce n’est en tout cas pas le pouvoir d’achat des citoyens qui s’est renforcé.
L’Iran est un pays en développement marqué par une forte intervention de l’État et subissant des sanctions commerciales handicapantes, faisant écho à la marginalisation du pays au sein de la communauté internationale. Son économie est fortement marquée par la prédominance du secteur pétrolier et gazier, mais bénéficie aussi de certains atouts agricoles et maritimes.
Pendant du niveau de pauvreté, un taux de croissance de 6,9% (2005) fait apparaître l’économie iranienne sous un jour dynamique. Cette croissance est toutefois accompagnée d’une inflation à deux chiffres et n’empêche pas le niveau de vie iranien actuel d’être inférieur à celui des années 1970, du fait du doublement de la population. Trois Iraniens sur dix vivent en dessous du seuil de pauvreté. Un peu plus de 11% d’une population active de 24 millions de personnes est au chômage (environ 25 % selon certaines sources), et 90 % de la population occupée est payée par l’État. En 2006, les revenus du gaz et du pétrole ont été le moteur principal de l’économie et de la stabilité sociale précaire du pays. Dans cette période où le pétrole, qui constitue une bouée de sauvetage pour l’économie iranienne, est bas, les prévisions de croissance ne sont pas bonnes.
Cela fait donc une belle jambe aux iraniens de savoir que leur pays se renforce quand tout l’argent va dans le militaire et ne profite pas à tout le monde.
Nous pouvons aussi dénoncer le fait qu’au moment du discours, des fidèles du Guide qui l’écoutaient, ont scandé des « A mort l’Amérique » !
Tout cela renvoit à une rhétorique militaire, et donc menaçante, alors qu’Obama voudrait sortir de cette logique de menace permanente entre les deux puissances.
L’invitation à la conférence internationale sur l’avenir de l’Afghanistan de mardi 31 mars est une première main tendue. Bien que nous puissions regretter que la secrétaire d’Etat Hillary Clinton, à l’origine de cette conférence, n’ait pas prévu d’entretien bilatéral avec des représentants iraniens, à cette occasion. "Cette conférence a pour objet de parvenir à un consensus au sujet de l’Afghanistan. Il ne s’agit pas d’une conférence sur les relations américano-iraniennes", a souligné un porte-parole du département d’Etat.
Quand on écoute Khamenei, on a l’impression que les Etats-Unis ont tous les torts. Le régime iranien n’a-t-il pas sa part de responsabilité quand une bonne partie de la planète le critique et le sanctionne économiquement ?
Pour que les choses avancent, les Etats-Unis ont donc fait le premier pas ; et quel pas ! Ce n’est pas demain la veille que Mahmoud Ahmadinejad ou Ali Khamenei enverra un message vidéo plein de compliments et de bons vœux à l’adresse du peuple américain à l’occasion de Thanksgiving !!
Il appartiendrait donc maintenant à l’Iran de faire à leur tour un pas dans la bonne direction : c’est-à-dire la direction de la détente des relations irano-occidentales, très tendues depuis 30 ans. Et ce, en arrêtant de soutenir des mouvements terroristes comme le Hamas ou le Hezbollah, en arrêtant de menacer de « rayer de la carte » Israël, qui a autant le droit d’exister que la Palestine le doit, et l’Iran doit aussi être plus transparent quant à ses ambitions nucléaires.
Saluons l’acceptation de l’invitation américaine pour participer à la conférence sur l’Afghanistan.
Nous disions précédemment que l’Iran était parano. Ceci traduit une méfiance à l’égard de l’Occident qui se retrouve dans le comportement général de l’Iran depuis des décennies. Une méfiance qui trouve des explications historiques.
Une certaine humiliation et un esprit de revanche rythment l’Histoire récente de l’Iran. Depuis le 19è siècle, de nombreux évènements à leur désavantage ont jalonné l’histoire du pays. A l’occasion des guerres russie-Iran, de1804 à 1828, l’Iran a été trahi ou laissé tombé par la Grande Bretagne et la France de Napoléon Ier. Si bien que les iraniens perdent face aux russes et des traités humiliants sont signés avec des pertes de territoire comme la Géorgie et de lourds tribus à verser. Suite à cela l’Iran se retrouve sous tutelle britannique jusqu’au milieu du XXè siècle.
Depuis le milieu du XXè siècle, l’Iran essaye donc de s’affirmer face aux puissances occidentales, et le pétrole est un outil diplomatique inestimable pour faire valoir son rôle. Les ambitions nucléaires datent de la monarchie du Shah d’Iran. Le but est d’être une puissance incontournable, au moins au niveau régional.
La démarche d’Obama marque une vraie rupture avec la diplomatie de ses prédécesseurs. Ce geste d’ouverture et de dialogue a été salué partout dans le monde, et même en Iran de la part de Ali Akbar Javanfekr, le conseiller de presse du président Mahmoud Ahmadinejad. Mais le vieux Guide Khamenei a pourtant déclaré qu’il n’y avait rien de neuf dans l’attitude des USA !
En réalité, l’Iran se retrouve dans une position délicate car il pourrait difficilement refuser de serrer cette main potentiellement de fer mais dans un gant de velours que lui tend Barack Obama. C’est pour ça que la réponse négative de Khamenei n’est pas définitive et que ce dernier s’est laissé une porte de sortie en disant : "Nous n’avons aucune expérience des nouveaux gouvernement et président américains. Nous observerons et jugerons. Changez, et notre attitude changera ».
Malgré cette première réaction très froide de Khamenei, les futures relations irano-américaines et occidentales ne peuvent que s’améliorer. En tout cas, souhaitons le. La présence de l’Iran à la conférence sur l’avenir de l’Afghanistan, conférence à l’initiative des Etats-Unis, est déjà positive dans l’optique d’un futur dialogue entre les deux puissances. Une amélioration nette est nécessaire car elle sera facteur de stabilisation dans cette région du globe. Nous pouvons penser que des émissaires des deux pays se rencontreront pour améliorer les choses avant, pourquoi pas, une rencontre au sommet Iran-Etats-Unis. Mais il est probable qu’une telle issue n’est pas encore pour tout de suite. L’élection présidentielle de juin prochain en Iran pourrait amener des éléments nouveaux et montrer les orientations futures que souhaitera prendre le pays.
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