Iran : guerre ou paix ?
Le 19 juin à 23h35 GMT, l’Iran abattait un drone américain qui était entré dans son espace aérien.
Le pays doit-il être considérée comme un agresseur ou un agresseur potentiel contre lequel il faut prendre des mesures, y compris des mesures violentes ? Pour Ron Paul, homme politique américain célèbre, ancien membre de la chambre des représentants et candidat à l’élection présidentielle en 1988, la réponse est claire : « Quand vous sortez unilatéralement d’un accord qui participait à réduire les tensions et à favoriser les échanges commerciaux, quand vous mettez en place des sanctions dont l’objectif est de détruire complètement l’économie d’un pays, quand vous déployez des forces navales près de ce pays, quand vous menacez continuellement de détruire ce pays en appelant cela « mettre un maximum de pression » il me semble un peu difficile de prétendre être une victime si ce pays réplique en abattant un drone qui, vraisemblablement, recueillait des données en vue d’une attaque ».
Lundi 24 juin 2019, le président américain Donald Trump annonçait de nouvelles sanctions contre l’Iran. Ce sont des sanctions financières contre ses principaux dirigeants. Il est vrai qu’il n’y a plus beaucoup de possibilité « d’augmenter la pression économique » quand on en est déjà à un embargo quasi total.
Réaction des autorités iraniennes : « Imposer des sanctions inutiles contre le Guide Suprême (Ayatollah Ali Khamenei) et le chef de la diplomatie (Mohammas Javad Zarif), c’est fermer de façon permanente le chemin de la diplomatie ».
L’Iran apparaît ainsi en position d’attente, forçant les Etats-Unis à faire un mouvement. Pour une certaine période de temps en tout cas, car au-delà de cette période difficile à évaluer précisément aujourd’hui, les conséquences sur l’économie iranienne du blocus américain sur les exportations de pétrole iranien vont effectivement créer une situation économique difficilement supportable dans le pays.
A ce moment, l’Iran sera en grande majorité rassemblé autour de son chef et le pire sera possible. Les Etats-Unis ne semblent pas pouvoir comprendre que les sanctions économiques, loin de semer la zizanie dans un pays, ont presque toujours pour résultat de renforcer le gouvernement en place.
La semaine dernière, Mike Pompéo admettait dans un podcast de Michael J. Morell, un ancien dirigeant de la CIA, que les sanctions ne feraient pas changer les autorités iraniennes d’avis, mais que « Ce qui peut changer, c’est que le peuple change de gouvernement » !
Que peut-il donc se passer maintenant. Du côté américain c’est l’attente. Tout ou presque a été fait dans le domaine des sanctions économiques. La tentative d’attribuer à l’Iran l’attaque de deux pétroliers a fait long feu. Les puissances occidentales ont demandé des preuves et n’ont évidemment pas été satisfaites par quelques vidéos floues que les USA ont essayé de faire passer pour la preuve de la culpabilité iranienne. Mais, plus important, les professionnels internationaux du pétrole n’y ont pas cru non plus, il n’y a qu’à voir la réaction des marchés. En cas d’attaque iranienne, prélude à une fermeture du détroit d’Ormuz, les prix auraient dû s’envoler. Il n’en a rien été.
Les Etats-Unis devraient donc attendre le résultat de leurs sanctions. Le feront-ils ? Les va-t-en-guerre dont Donald Trump s’est entouré réussiront-ils à le pousser à attaquer ? On se souvient que la directrice de la CIA, Gina Haspel, était parvenu à lui faire expulser soixante diplomates russes en lui montrant une photo de canards morts soi-disant victimes du « novitchok » que des espions russes auraient utilisé en Angleterre. Le désir de destruction de l’Iran de John Bolton semble tourner à l’obsession. Le lobby israélien est aussi à l’œuvre. Il n’est un secret pour personne que Benyamin Netanyahou aimerait que les USA fassent le sale travail à la place d’Israël. L’Arabie Saoudite, sunnite, rêve également d’en découdre avec l’Iran chiite et on sait l’attachement du président américain à l’allié saoudien, même quand celui-ci fait tuer un journaliste en Turquie (les Nations Unies ont publié le 23 juin un rapport mettant en cause les dirigeants saoudiens au plus haut niveau).
Face à eux tous, l’Iran n’est pas l’Irak ou l’Afghanistan. C’est un grand pays de 80 millions d’habitants riche d’une longue histoire et d’une culture raffinée. On oublie souvent également que, depuis des générations, le pays envoie ses meilleurs étudiants dans les plus grandes universités américaines apprendre à comprendre l’ennemi américain, celui qui est intervenu en 1953 pour renverser Mohammad Mossadegh. Certains d’entre eux sont maintenant aux commandes du pays. La partie va être difficile pour un agresseur.
Mais il faut nous garder de considérer cela comme une « partie » que nous pourrions regarder de loin, en spectateurs cyniques. Quoi qu’il arrive, si la guerre éclate, nous aurons aussi à subir des conséquences dramatiques.
On parle partout de la fermeture du détroit d’Ormuz par où transite de 25 à 30% du pétrole mondial. Les Etats-Unis n’importent pas de ce pétrole ce qui leur fait penser au moins officiellement qu’un blocage n’aurait pas de conséquences sur l’économie américaine.
L’Iran peut bloquer le détroit, il n’y a qu’à regarder une carte pour s’en convaincre. Et comme l’a expliqué le général Qasem Soleimani, les Etats-Unis n’ont pas la capacité militaire de maintenir le détroit ouvert. Le général Hossein Salami, chef des « Gardiens de la Révolution » de son côté a expliqué que l’Iran avait « des missiles capables de toucher des porte-avions en mer avec une précision redoutable ». Mais il y a pire, la guerre ne restera pas circonscrite à l’Iran. Une attaque américaine va déclencher un embrasement de toute la région. L’Iran y dispose d’un grand nombre d’unités régulières et d’alliés. Ils sont souvent, d’ailleurs, positionnés dans les mêmes zones que les troupes américaines.
Dans un article publié sur son blog et repris par « Check point Asia », John Elmer mentionne des déclarations de hauts dirigeants militaires iraniens qui préviennent qu’en cas d’attaque américaine, il opteront pour une réponse massive visant à la fois les plateformes de lancement des missiles mais aussi des objectifs dans les pays arabes voisins.
Dans cette ambiance particulièrement tendue, on apprenait quasiment simultanément, le 23 juin, que les Etats-Unis avaient décidé une frappe de réponse sur trois cibles iraniennes et que le président avait annulé son ordre quelques dix minutes avant son exécution. La question se pose donc de savoir pourquoi cet ordre a été annulé. Donald Trump a expliqué lui-même qu’après avoir appris de ses généraux que les frappes feraient vraisemblablement 150 victimes il avait décidé que la réponse était disproportionnée. C’est surprenant, il n’avait pas eu ce genre d’hésitation en Syrie quand il avait ordonné une frappe de missiles de croisières pour punir le gouvernement syrien d’une attaque à l’arme chimique qui s’était avérée ensuite avoir été montée de toutes pièces par des terroristes. Le « New York Times » de son côté explique que c’est Tucker Carlson, le présentateur préféré du Président sur « Fox News » qui l’a dissuadé, lui expliquant que s’il attaquait, il pouvait dire adieu à ses chances de réélection en 2020.
Ces éléments peuvent avoir joué un rôle dans la décision, mais on peut aussi imaginer que des considérations militaro économiques sont à l’origine de cette volte-face. Sur le plan militaire, nous l’avons vu, une attaque de l’Iran provoquerait une riposte totalement disproportionnée du pays qui déclencherait un embrasement de la région, soit directement, soit par alliés interposés. Le secrétaire général du Hezbollah, Hasan Nasrallah a répété dans ses discours que « la guerre contre l’Iran ne serait pas circonscrite aux frontières de ce pays mais qu’elle mettrait l’ensemble de la région à feu et à sang. Les forces américaines et les intérêts américains dans la région seraient anéantis et avec eux les conspirateurs au premier rang desquels Israël et la famille royale Soudienne ». Le Hezbollah déclencherait un déluge de feu sur Israël (n’oublions pas que le Hezbollah a gagné sa dernière confrontation avec Tsahal) et les minorités chiites d’Arabie Saoudite porteraient certainement le fer au sein du royaume saoudien. Au passage, la flotte américaine imprudemment positionnée près des côtes iraniennes subirait des pertes importantes. Outre le prix d’une telle unité, la perte d’un porte avion serait une catastrophe symbolique pour la Navy.
Mais il y pire. L’éclatement du conflit accompagné par la fermeture du Détroit d’Ormuz provoquerait une flambée des prix du pétrole. Certains analystes prévoient des cours de 100 puis 200 dollars le baril et jusque 500 si le conflit se prolongeait ce qui est probable. Goldman Sachs a même lancé une estimation à 1.000 dollars ce qui paraît tout de même exagéré. De toute façon, le système financier mondial se serait écroulé bien avant cela. Car ce système porte en lui une faiblesse, une faille qui pourrait provoquer son écroulement. Cette faille a un nom : les « produits financiers dérivés ». Pepe Escobar, célèbre journaliste d’origine brésilienne et correspondant de l’« Asia Times » qui connaît parfaitement le Moyen Orient, a été un des premiers à parler de ce problème que les médias dominants préfèrent ne pas aborder tant il est sensible.
Dans la « finance de casino » mise en place par les grandes banques, depuis une trentaine d’année, ces dernières ont créé des produits financiers dont la valeur repose sur la valeur ou l’évolution du cours d’autres produits financiers. Les options d’achat ou de vente étaient les premiers et les moins sophistiqués de ces produits dérivés. Il s’en est créé beaucoup d’autres. Le risque énorme que font courir ces dérivés sur le bilan des banques et des grandes entreprises tient au fait qu’ils sont comptabilisés à leur prix d’achat (ou de vente) sans tenir compte de la perte énorme qu’ils provoqueraient en cas d’effondrement du cours de l’actif sur lequel ils reposent. Souvenons-nous de la crise des « sub-primes ».
D’autre part, la grande majorité de ces produits ne sont pas traités sur des marchés organisés mais au moyen de contrats de gré à gré entre banques. Il est donc très difficile d’évaluer la quantité de produits dérivés en circulation. Les évaluations sont très variables mais tous les chiffres sont d’une importance qui donne le vertige. Dans son article daté du 5 juin dernier, publié par l’« Asia Times », Pepe Escobar mentionnait une évaluation de la Banque des Règlements Internationaux qui parlait de 542 milliards de milliards (trillions) de dollars. D’autres sources mentionnent des montant près de deux fois supérieurs.
De tels chiffres ont un côté totalement irréel aussi Escobar donne un ordre de grandeur dans un article plus récent du 24 juin publié par la « Strategic Culture Foundation ». Il revient en détails sur le problème posé par les produits financiers dérivés et compare leur montant au Produit Intérieur Brut (PIB) mondial qui est de 80 milliards de milliards de dollars… Une très grande partie de ces produits dérivés repose sur des anticipations d’évolution de taux d’intérêts. Donc au-delà de la hausse prévisible des prix du pétrole en cas de conflit, une évolution de ces taux de quelques points serait fatale aux banques les plus engagées sur ce marché.
Le rapport de la BRI a été communiqué à la Maison Blanche.
Donald Trump se trouve donc coincé dans un piège qu’il a largement contribué à construire. Comment pourrait-il s’en sortir ? Dans son article mentionné plus haut, Ron Paul lui propose trois mesures de première urgence : tout d’abord rétablir les exemptions accordées à la Chine, l’Inde et la Turquie leur permettant d’acheter du pétrole iranien, ensuite proposer aux dirigeants iraniens une rencontre sans conditions en terrain neutre et enfin de renvoyer John Bolton et Mike Pompeo…
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