Tandis que les manifestants (et surtout les manifestantes) se font tuer dans les rues de Téhéran, au sommet des pouvoirs on avance masqué, avec prudence et phrases assassines. Les protagonistes majeurs de la révolution islamique se sont engouffrés dans le piège subtil du président Obama, celui qui prive en quelque sorte la révolution de l’incarnation du diable si nécessaire à la préservation du pouvoir par les ultras. Ces derniers, jusque là pouvaient toujours mener une diplomatie d’Etat rationnelle vis à vis du reste du monde et plus particulièrement la Chine, la Russie ou la Turquie, jouer leur rôle de puissance régionale conséquente et timorée (vis à vis du problème Afghan par exemple) tout en gardant un langage maximaliste sur les Etats unis et leur politique. Ils avaient ainsi réussi à créer des brèches au sein de la communauté internationale (sur le nucléaire, l’Iraq, le Liban, l’énergie, l’embargo, etc.,), et misé sur la solidarité indéfectible et inamovible des Etats Unis avec Israël pour, en écho, rester ultras mais « sereins ».
Les mollahs milliardaires pouvaient ainsi perpétuer leur pouvoir en étant rationnels en affaires et maximalistes en discours. La fin de la politique de diabolisation menée par l’administration Bush a crée une nouvelle course au pouvoir entre les divers prétendants et centres de pouvoir. Khamenei, le guide suprême a toujours dû se défendre d’accusations d’opportunisme.
Essentiellement à cause de son grade initial dans un hiérarchie religieuse dont, comme dans l’armée rouge maoïste d’entant, les grades ne sont peut-être pas ostensiblement affichés mais sont bien connus par tous. Ce jeune homme pressé qui accéda à son poste pour des raisons obscures à la place du prétendant officiel Montazeri a toujours craint de se faire ôter son pouvoir par plus gradé, plus riche et plus compétant (au sens iranien) que lui. Et voilà que le conseil des gardiens de la révolution, dirigé par Rafsandjani qui l’avait fait roi (que tout le monde à Téhéran surnomme l’homme le plus riche de l’Iran) ce même conseil vient donc d’affirmer que concernant les bulletins de vote, il y en a trop. « Trois millions au moins », entre les votants et les inscrits. Bien sûr, « il faudra voir cela de plus près », et analyser « si ces irrégularités ont faussé le vote final ». Bref, au lendemain du prêche du vendredi qui se voulait menaçant en voulant mettre un point final aux manifestations, la plus haute instance religieuse et juridique se porte à faux aux déclarations du guide suprême.
Ce n‘est un secret pour personne que Rafsandjani (candidat malheureux face à Ahmadinejad au élections précédentes et intime ennemi du guide suprême ne s’est jamais déclaré vaincu, et que la vengeance est plat qui se mange froid. En réponse, « on » arrête pour quelques heures des membres de sa famille. Reste Motazedi, en résidence surveillée mais toujours reconnu comme une autorité religieuse incontestable : il exige de sa retraite forcée le deuil national pour les victimes de la répression, considérés par Khamenei comme des « terroristes ». Et bien, pour Motazedi, ce sont « des victimes », d’« authentiques musulmans » et « c’est un devoir religieux » fondamental de les « honorer ».
Si dans les sérails et les palais des pouvoirs on prend des libertés par rapport aux préceptes islamiques, il en va différemment pour les accusations pernicieuses qui sapent aujourd’hui l’autorité des uns et des autres. Ce n’est pas un hasard si les accusations de Moussavi ne portent pas sur le terme de fraude mais vol : voilà un pécher grave pour l’islam. Tout comme celui de verser du sang d’un fidèle. On ne peut verser du sang même de soi-même c’est bien pour cela qu’on ne se rase pas de près ou, si on se rase on fait appel à la modernité des rasoirs électriques. Pour la même raison on coupe sa viande au restaurant avec une cuiller, n’étant jamais assez prudent, question sang.
De ces hypocrisies, de ces rituels et ces professions de foie, quotidiennement corrompus par la manne pétrolière et de la gestion du pouvoir les classes moyennes, la bazar, en ont marre. Contrairement à ce que l’on croit, ce n’est pas tellement le désir de modernité qui pousse les iraniens dans la rue. C’est plutôt le hiatus grandissant entre les discours religieux pompeux et les pratiques mercantiles et gestionnaires de ceux qui les profèrent. Moussavi l’a bien compris qui a déclaré que « la république islamique doit se purger des mensonges et des forfaitures ».
Tandis que les enfants de la révolution s’entredéchirent par déclarations assassines et sous entendus et que le peuple se sacrifie, outil volontaire de ce jeu de pouvoir, l’armée gronde. Khathami, l’ex président dit réformiste prévient : « le pays se dirige vers la mise en pace d’une loi martiale, la police et l’armée, progressivement prennent les reines du pays ». Ahamadinejad pense que les forces de sécurité roulent pour lui. Rien n’est moins certain.