Israël ou l’auto victimation d’un Etat terroriste
Sur le conflit entre Israël et les « terroristes » du Hamas, les arguments se répondent inlassablement : droit à l’autodétermination du peuple palestinien – droit à l’autodéfense du peuple juif. Défendre le droit à l’autodétermination serait valider les tirs de roquette ; proclamer le droit à l’autodéfense serait acclamer l’assassinat d’enfants jouant sur la plage ou de gazaouis, sirotant un thé devant leurs téléviseurs, à l’heure de la coupe du monde de football …
Il est un argument qui efface cette rhétorique indigente, renvoyant dos à dos les protagonistes : le fait colonial. On a vu en Algérie certains membres du FLN commettre des atrocités pendant et après la colonisation. Les opérations militaires n’y ont jamais gagné en légitimité, outre les méthodes utilisées par l’Etat colonial, à bien plus grande échelle.
Il faut mettre en balance, ici, un argument majeur qui est le plus souvent occulté. Quand l’occupant réduit tout un peuple à des conditions de vie indignes, il se rend coupable deux fois : de la misère infligée à ce peuple ; de l’acculer ensuite, à l’usage de méthodes indignes pour se faire entendre : attentats, enlèvements … Autant d’actes « terroristes » dans l’acception coloniale, autant d’avatars d’une situation de guerre inégale dans le rapport de force. Le paradoxe, occulté par les médias, est dans ce délitement d’une cause légitime sous l’effet des moyens employés. Ils se justifient, du point de vue de l’opprimé, par l’indignité originelle de la condition qui lui est faite ; pour le chroniqueur, ils ne peuvent être que l’illustration d’une « incompréhension », d’un « refus de dialogue » et finalement, d’une « déraison » commune. Rien n’est plus raisonnable, en vérité, que cette débauche d’atrocités. Toute disproportion mise à part entre les moyens déployés par Israël et ceux du Hamas, moins efficient dans le carnage organisé.
Il s’agit là d’une dialectique ordinaire inaccessible à la cervelle journalistique : terrorisme d’Etat – terrorisme artisanal. Les roquettes du Hamas, ses attentats-suicide et autres enlèvements sporadiques ne donnent pas le change aux tenants d’une guerre conventionnelle, des frappes « chirurgicales » de bombardiers américains. Il n’empêche : même le Hamas ne donne pas caution aux chars israéliens ; ses actions « terroristes » ne rétablissent pas la justesse de la colonisation.
Les intellectuels de salons parisiens, les diplomates en politique, y vont de leurs « condamnations » unanimes. Leur « objectivité » est dans le refus officiel de tout parti pris entre les deux belligérants. Ils sont en paroles, les « modérateurs » des crimes de guerre joués sous leurs yeux. Ce neutralisme en façade n’ajoute rien à la compréhension de l’histoire. Le dire n’est pas un acte belliqueux - si ce n’est le procès en antisémitisme lancé invariablement aux opposants à la colonisation des territoires.
Le ressort principal de l’Etat juif, outre son arsenal militaire, le soutien des Etats-Unis et les « protestations » passives de la communauté internationale réside, au plan idéologique, dans une singularité historique hautement revendiquée. Fort de l’argument antisémite qui le crédite à jamais d’une posture victimaire, le gouvernement d’Israël peut investir deux rôles à la fois : celui de victime, issu de la tragédie d’un génocide et de bourreau du peuple palestinien. C’est là, sans doute, la plus haute originalité de la colonisation juive qui la distingue du fait colonial, dans d’autres parties du monde, à d’autres époques de l’Histoire. L’Etat juif peut ainsi faire porter la terreur sur un autre peuple en pleine conscience - conscient qu’il est, de sa condition singulière dans les annales historiques.
L’argument de l’ « autodéfense » revêt, de ce fait, une portée symbolique que l’on retrouve dans la lutte menée, notamment, contre le Hamas. Cette ambivalence identitaire : victime-oppresseur touche à l’acte de foi messianique : d’avoir tant souffert, le devoir d’affliction aux souffrances infligées à l’adversaire est non advenu. La lutte du « peuple élu » contre le Hamas trouve ainsi sa résonnance ultime dans sa tragédie propre.
Cette « terreur victimaire » est celle du bourreau auto victimisé (cf. les opérations
« préventives » ou « défensives » menées dans la bande de Gaza). Quoiqu’il en coûte au condamné, même au déficit de tout un peuple, l’Etat d’Israël refaçonne et perpétue sa condition victimaire ; quand bien même il organise la misère économique et sociale d’où naissent les vocations « terroristes », prises à témoin ensuite de la nécessité répressive.
Adrien
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