Janadesh - Le peuple en marche
Du 2 au 28 octobre 2007, 25 000 ruraux indiens, paysans sans terres, ouvriers agricoles, ont effectué une marche non violente de 350 km, organisée par l’ONG indienne Ekta Parishad, reliant la ville de Gwalior à New Delhi. Ils y ont été rejoints par 100 000 personnes, pour le point d’orgue de cette manifestation : un sit-in devant le Parlement de l’Union indienne, pour un jeûne illimité. Dans le cortège se trouvent également deux Brésiliens, du Mouvement des Sans Terre et quatre Kenyans de la Kenya Land Alliance ainsi que 200 Occidentaux, membres d’ONG ou reporters.
Cette marche n’est quasiment pas rélayée en Occident, malgré la portée internationale de son action.
La durée du sit-in dépendra des engagements fermes pris par le gouvernement sur la base de revendications d’une part locales :
- Une distribution significative de terres aux paysans sans terres.
- Des compensations financières ou en nature pour les familles déplacées, par l’acquisition de terres par l’Etat, au nom de l’intérêt public.
- Des règlements juridiques de litiges sur l’accès à la terre. Le retour sur leurs
terres de détenteurs de titres, bafoués dans leurs droits. 100 000 plaintes sont déposées.
Et d’autre part nationales :
- Application de la réforme agraire existante et promise par le gouvernement de 2004.
- Mise en place d’un système d’accès et de gestion raisonnée des ressources naturelles.
- Création d’une « Autorité nationale pour la Terre », au niveau de l’Etat central, afin de lutter contre l’arbitraire qui régit le monde rural.
A la violence des situations qu’ils subissent au quotidien, ces milliers de citoyens indiens refusent de répondre par des actions agressives. Loin d’être passifs et silencieux, ils ont recours à des actes symboliques et créatifs pour obtenir gain de cause. Ils font partie des oubliés d’une croissance économique indienne qui frôle les 9% par an. Une situation qui n’empêche pas le gouvernement de réquisitionner leur seul moyen de subsistance, la terre, pour les projets industriels des zones économiques spéciales.
Janadesh, « la volonté du peuple », cette marche pour les droits, en est le point d’orgue. Dans la tradition gandhienne, ces millions d’exclus ont choisi de se mobiliser pacifiquement en s’informant sur leurs droits et en s’organisant pour les défendre. Les femmes allaitent en marchant et tous les marcheurs vont au bout de leurs forces pour atteindre ce but, trois sont morts d’épuisement, un quatrième d’une crise cardiaque ainsi que trois autres dans un accident de la route lors de ces 26 jours.
Le 28 octobre, les marcheurs ont effectués 17 km dans New Delhi et devaient parcourir les derniers 4 km qui les séparaient du Parlement aujourd’hui. Mais la police, en uniforme beige, a encerclé le camp, bloquant toute sortie. Le sit-in s’est donc installé devant les forces de l’ordre à 08h30, heure prévue pour la marche sur le Parlement.
Ramesh, un des dirigeant d’Ekta Parishad, est parti négocier avec le ministre du Développement durable.
A 15h00, une vague de joie soulève les satyagrahis (satyagraha, étreinte de la vérité, mode d’action initié par Gandhi). Le gouvernement accède aux demandes des marcheurs : une commission nationale, comptant la présidente de la Gandhi Peace Fondation parmi ses huit membres, est chargée de se pencher sur le problème de la terre.
Après cris et chants, un recueillement a été consacré aux personnes décédés lors de la marche.
Ce soir, la police a libéré les issues du camp, permettant à certains de repartir, pendant que d’autres dansent encore.
Ekta Parishad est un mouvement d’inspiration gandhienne qui s’est construit il y a plus de quinze ans sur la base d’une mobilisation populaire locale dans divers états de l’Inde pour atteindre une dimension nationale. Sous l’impulsion de son leader charismatique Rajagopal, l’action de cette organisation regroupe aujourd’hui 150 000 membres, et on estime à plus de 10 millions le nombre de personnes concernées par son activité. Elle est présente dans huit états et agit dans plus de 4 000 villages.
Ekta Parishad n’en est pas à son coup d’essai et a déjà montré sa capacité autant logistique que politique à organiser ce genre d’initiative. Quasiment tous les ans depuis 1991, Rajagopal et Ekta Parishad coordonnent des marches de ce type, en prenant soin de les ancrer dans une forte mobilisation locale et en s’appuyant sur des campagnes de solidarité menées au niveau international. A chaque fois, des résultats concrets ont été obtenus.
En Europe, diverses marches de soutien ont été organisées :
La marche des jeunes en Bretagne :
A l’automne 2006, des jeunes en quête de terres pour s’installer ont également marché en Bretagne pour alerter l’opinion et les responsables politiques sur la difficulté à exercer le métier de paysan, face à la hausse du prix du foncier, face à des choix politiques qui encouragent la concentration foncière et l’éviction des paysans.
Si la question foncière a une dimension différente en Europe et dans des pays comme l’Inde ou le Brésil, il n’en reste pas moins qu’elle met en cause le même système, le même choix politique et la même priorité donnée à un type de développement agricole et donc économique.
En France, la loi de 1999 a modifié le contrôle des structures pour le rendre, en principe, plus efficace en faveur de l’installation progressive et du renforcement des petites exploitations. Mais les règles mises en place, somme toute insuffisantes, ont en outre été détournées localement au profit de l’agrandissement des exploitations.
En Suisse, une marche de Berne à Genève a lieu du 25 septembre au 2 octobre pour annoncer la campagne Janadesh ; en France, des marches s’organisent en Bretagne, Touraine ou encore Rhône-Alpes pour sensibiliser le grand public et collecter des fonds pour les marcheurs.
Janadesh est aussi une formidable occasion de prendre conscience de la question de l’accès au foncier dans toute sa complexité, aussi bien en Inde que tout près de nous, en Europe et en France. En effet, la problématique de l’accès à la terre et plus largement de l’accès au foncier est une réalité tant au Sud qu’au Nord. Au Sud, l’accaparement des terres agricoles et le développement de l’agrobusiness se font au détriment de l’agriculture vivrière. Cela entraîne l’exode des ruraux et notamment des jeunes vers les bidonvilles des grands centres urbains. Au Nord, l’orientation choisie vers un modèle de développement agricole productiviste rend difficile l’installation des jeunes en agriculture et compromet le maintien des emplois agricoles et l’aménagement durable du territoire. En parallèle, la spéculation immobilière amplifie la crise du logement dans les villes dont les premières victimes sont les plus pauvres.
Dans les pays du Nord, cette action est soutenue par de multiples associations :
Peuples solidaires et son Réseau-Solidarité : www.peuples-solidaires.org
Frères des hommes : www.fdh.org
Solidarité : www.solidarite.asso.fr
CRIDEV 35 : www.ritimo.org
Confédération paysanne : www.confederationpaysanne.fr
Action Village India (Angleterre), CESCI (Suisse), Volens Mercy Home (Belgique), Concern (Irlande), Freunde von Ekta Parishad (Allemagne),
Satyagraha (Italie).
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