Japon : crise politique et sociale
Depuis plusieurs décennies, le Japon est présenté au public mondial par de nombreux économistes et politiques comme un pays riche, puissant et stable, sans mouvements sociaux, heureux et insouciant. Il semble bien que, dorénavant, les admirateurs inconditionnels du système japonais doivent réviser leurs discours et leurs positions, face à une réalité vivante, dynamique et publique qui dément avec force leurs croyances.
Faits et sondages le confirment : les citoyens japonais sont très mécontents de leurs dirigeants et leur préoccupation prioritaire est leur situation sociale qui se détériore.
La conjonction explosive des quatre fléaux nationaux
Cela fait déjà plusieurs années que des processus de fond problématiques touchent le Japon, mais il était « convenable » de ne pas en parler afin de ne pas ternir l’image du pays.
Parmi les difficultés identifiées de longue date, citons les quatre principales :
- le ralentissement de sa croissance économique ;
- le vieillissement accéléré de sa population qui pose maintenant un vrai problème social ;
- la hausse du chômage qui, pour rester relativement bas encore, a généré des poches de pauvreté qui commencent à apparaître au grand jour ;
- et enfin, le fléau récurrent de la corruption des dirigeants politiques et des partis traditionnels.
Depuis quelques semaines, personne ne peut plus ignorer que le Japon traverse une crise bien plus grave que les précédentes, une crise dont les racines sont profondes dans la société nippone et les conséquences possibles multiples.
En effet, les citoyens japonais sont « habitués » aux scandales politico-financiers qui ont, si l’on peut dire ainsi, scandé la vie politique nationale depuis des décennies. On aurait donc pu penser que les récents scandales qui frappent le gouvernement Abe ne porteraient pas plus à conséquence que tous les précédents. C’était compter sans la conjonction de plusieurs problèmes importants qui ont généré une véritable colère populaire contre le gouvernement et toute sa politique.
Aujourd’hui, au-delà de ces ennuis liés à la corruption, et en sus de l’affaire incroyable des déclarations du ministre de la Défense Fumio Kyuma, soutenant ou justifiant, selon ses critiques, les attaques atomiques américaines d’Horoshima et Nagasaki, le gouvernement est accusé par la population de ne pas avoir su gérer le problèmes des pensions de retraite, un dossier qui pèse lourd dans un pays en vieillissement rapide, et de pratiquer une politique qui dégrade le niveau de vie général.
Et le ton monte vite sur les questions sociales au Japon !
Sondages, élections et commentaires : les signaux de la crise
Tetsuro Kato est professeur de sciences politiques à l’université Hitotsubashi de Tokyo et son analyse est partagée largement parmi les connaisseurs et observateurs de la vie politique japonaise.
Ainsi, évoquant les élections législatives du 29 juillet prochain, il affirme : « L’attention générale se tourne dorénavant vers l’ampleur de la défaite de coalition au pouvoir et cela peut avoir des conséquences graves sur la stabilité du pays. Le gouvernement Abe est dans une situation difficile, car il a perdu la confiance de la population, notamment en devant reconnaître sa mauvaise gestion des retraites ».
De fait, l’agence gouvernementale en charge des retraites personnelles a dû reconnaître, sous la pression de la presse, des syndicats et de l’opinion publique, qu’elle avait mal géré, voire égaré(!), plusieurs millions de dossiers de retraite personnels. Le choc de cette révélation a été violent dans le pays et a provoqué un effondrement des intentions de vote pour le parti au pouvoir.
Selon Takashi Kato, un autre professeur de sciences politiques de l’université Senkei à Tokyo, le gouvernement a mésestimé gravement les préoccupations essentielles des citoyens : « Alors que le Premier ministre s’occupe en priorité de réécrire la Constitution pacifiste du Japon, les gens sont intéressés d’abord par le dossier de la gestion désastreuse des retraites personnelles ».
Et ce n’est pas tout : dans l’affaire du ministre de la Défense Kyuma, l’opinion reproche à Abe d’avoir défendu son ministre jusqu’à la démission de ce dernier, ceci afin d’éviter des tensions avec les autorités américaines. De nombreux observateurs notent que cette « affaire » a révélé un profond mouvement de l’opinion publique qui tend à s’écarter du cadre de l’amitié américano-japonaise qui existe depuis la fin du conflit en août 1945. C’est là une tendance récente, mais qui s’affirme ici avec force.
Les sondages donnent tous, de leur côté, une tonalité générale très claire : le gouvernement Abe aurait 28 % des sondés qui ont plus ou moins confiance en lui, face à 50 % qui ne lui font plus du tout confiance. Le différentiel considérable laisse augurer une sanction électorale puissante contre le parti du gouvernement, qui pourrait conduire à la démission du Premier ministre.
Un changement politique majeur est en cours au Japon
Tous les indicateurs d’opinion, comme les analystes, indiquent qu’un changement politique majeur est en cours au Japon et que la période de stabilité relative, politique et sociale, touche à sa fin.
Les problèmes sociaux urgents sont maintenant au premier rang, la critique anti-gouvernementale est générale, la confiance dans les autorités publiques et les partis traditionnels est profondément ébréchée. Par ailleurs, le repère habituel de la proximité ancienne entre les Etats-Unis et le Japon est en voie de contestation intense dans l’opinion. Ce sont là les signes forts des processus en cours de maturation au sein de la société japonaise.
Si on ne peut pas prévoir la suite précise des événements, les tendances lourdes de l’opinion japonaise se dessinent clairement.
Dans l’avenir immédiat, c’est la question des retraites personnelles, décentes et payées à terme, qui sera le noeud de la situation dans le pays, avec en arrière-plan, les problèmes sociaux de niveau de vie, d’emploi et de salaire.
11 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON