Jérusalem-Est – l’université sous pression
Etudier est un défi quotidien pour les étudiants de l’université de Jérusalem-Est en Palestine. Aux contrôles et aux restrictions d’accès imposées par l’occupation, ils doivent ajouter le risque des attaques sur le campus.
L’université Al Quds à Jérusalem-Est est l’objet de fréquentes agressions par l’armée israélienne depuis le début du semestre, au moyen de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc, qui causent des dégâts matériels et des dizaines de blessés. Ces attaques ont généralement lieu le matin pendant les heures de cours.
La dernière offensive sur l’université a eu lieu le dimanche 17 novembre vers 9h du matin. Une centaine de grenades lacrymogènes et de bombes assourdissantes ont été lancées sur le campus depuis la clôture d’enceinte de l’université. « Ces agressions sont devenues habituelles » explique Sameh Arekat, coordinateur des études, « cette fois 51 étudiants ont été blessés, dont 17 par des balles en caoutchouc. Ça fait 471 blessés au cours de ces attaques depuis septembre, dont 20% sont des employés de l’université . »
[Vidéo des soldats placés à la porte d’entrée lors de l’attaque sur l’université, publiée par l’université Al Quds - http://youtu.be/jEigFigUB6I diffusion autorisée par Sameh Arekat, responsable des médias d'Al Quds]
A l’intérieur de l’université, des volontaires du Croissant-Rouge distribuent des masques et des compresses d'alcool. Ils secourent les blessés et dirigent les élèves vers l’intérieur des bâtiments les plus éloignés, d’où ils pourront quitter l’université au besoin. Mahmoud était en cours lorsque l’attaque a commencé. « on est sortis et on a vu toute cette confusion, les étudiants avaient très peur, surtout les filles. Et il y avait des gens qui étaient tombés par terre, suffoqués par les gaz. » Certains professeurs refusent d’interrompre ou d’annuler leurs cours, « normalement les cours sont suspendus » explique Nadeen, « mais le professeur a insisté, comme une façon de protester puisque leur but, c’est de nous empêcher d’étudier ».
Des incidents importants avaient eu lieu quelques semaines plus tôt, entre le 21 et 23 octobre. Les forces de défense israéliennes, venues détruire une maison voisine jugée trop proche du mur et dont le permis de construire n'était pas à jour, avait interdit l'accès à l'université et investi le campus.
[Vidéo relatant ce fait, publiée par le média jordanien Royal News - http://youtu.be/tlvP1WcaKoQ]
L’université d’Al Quds est située dans la ville d’Abu Dis, dans le district de Jérusalem-Est ; c’est l’université arabe de Jérusalem, Al Quds étant le nom arabe de Jérusalem.
Bien que se trouvant à 5 Kms à peine de la vieille ville, accéder à l’université n’est pas facile car il faut contourner le mur de séparation construit en 2003. Le trajet qui autrefois prenait 20 minutes, emprunté par les étudiants venant des villages situés de l’autre côté du mur, comme Beit Hanina ou Beit Liqya, met une heure et demi, avec le risque de se retrouver bloqué au check-point. Un problème que les étudiants connaissent bien.
L’université a vu sa superficie réduite en août 2003 par la construction du mur de séparation, auquel elle est maintenant accolée. Ses terrains de sport et ses jardins ont été détruits pour laisser place au tracé du mur, malgré de nombreux mouvements de protestation. L’université se trouve à la fois en zones B et C selon le cadastre de contrôle militaire israélien, et dans une zone stratégique en raison de sa proximité avec la vieille ville.
Etudier pour espérer
Des dommages matériels sont régulièrement causés dans l’université, notamment des vitres brisées. Mais surtout, c’est l’accès aux études qui est mis en danger par ces incursions. L’établissement, réputé en Palestine et dans le monde arabe, accueille plus de 12.000 étudiants.
Les études ont une importance particulière dans la société palestinienne, minée par le manque d’opportunités et le désespoir chez les jeunes, et qui a besoin de croire en un avenir meilleur. En Cisjordanie, 70% de la population a moins de 30 ans et le taux de chômage est supérieur à 20%.
Dans une société sans stabilité où règne l’incertitude, « un diplôme est quelque chose qu’on ne pourra pas nous prendre » explique May, étudiante en médecine. Pour elle, le fait que ces attaques visent l'université témoigne d'une volonté d’« empêcher la formation d'une élite palestinienne susceptible de faire avancer le pays, ils ne veulent pas qu’on étudie. »
Pourquoi ?
Les élèves reçoivent souvent ces attaques comme des provocations gratuites. "Ils font ça pour s’entraîner, et puis aussi pour s'amuser", dit Ehab, étudiant en technologies de l’information. « Ils cherchent à provoquer des interactions pour qu’on réponde par des jets de pierres et qu’on se mette en tort. Ils veulent donner une mauvaise image de l’université pour que moins d’étudiants s’inscrivent. »
Pour Nasser Afandi, de l'administration d'Al Quds, la raison est politique. L’université aurait été intimée par les autorités israéliennes de changer le nom de l’université pour un nom hébreux -Yerushalaïm university -. Selon lui « ces pressions font partie d’un plan concerté pour réduire l’identité arabe de Jérusalem et rendre impossible l’ambition palestinienne de faire de Jérusalem la capitale de son futur Etat. » Il ajoute qu'en 2010, l'Etat israélien aurait menacé l'établissement de modifier le tracé du mur et de détruire l'université.
François Hollande en voyage en Palestine avait répété le 20 novembre le souhait de la France de voir Jérusalem devenir « capitale des deux Etats » et s’était vu assaillir de commentaires par des palestiniens inquiets de la situation culturelle de la ville qu’ils disent « colonisée ». Pour eux, c’est un rêve qui semble s’éloigner chaque jour un peu plus.
Par ailleurs, un groupe d’étudiants liés au Jihad Islamiste avait mené une manifestation contestée dans la cour de l’université début novembre. On y avait vu des visages masqués, un drapeau israélien piétiné… d’après un professeur américain à Al Quds, des photos de cette manifestation ont été récupérées et ont pu servir d’excuse à cette dernière attaque. Le porte-parole israélien, interrogé par téléphone, n’a pas retourné notre appel
Caillassage et résistance non violente
L’actuelle génération d’étudiants est encore fortement marquée par la seconde intifada et la violente répression qu'elle a engendré entre 2000 et 2002. Pour nombre de ces jeunes, la résistance armée n'a fait que causer plus de souffrances « en donnant des alibis à l'occupant israélien », et n'est plus une option envisageable. Alors, peu à peu ils apprennent des moyens de résistance non-violente, inspirés par les contestataires turcs et les mouvements Occupy. Les formes de protestation elles aussi se mondialisent.
Lors des attaques, cependant, la résistance non-violente est illusoire, et ne pas réagir n’est pas non plus une option envisageable, alors pour certains, la colère s’exprime encore par le traditionnel caillassage, parce qu’ « on ne peut pas accepter sans rien faire. »
Les bombes lacrymogènes reçues sont rassemblées dans des containers et parfois mises en scène par les élèves dans des installations artistiques. Des étudiants européens venus discuter de résistance non-violente ont été témoins de ces attaques. Lisa, militante allemande, fait remarquer que les gaz utilisés sont différents de ceux des polices européennes « que l'on peut généralement renvoyer ». « Ceux-ci, dit-elle, couvrent un périmètre très large et causent des irritations cutanées et des malaises respiratoires qui peuvent être graves. Ça n’est pas du jeu ! »
L'information n'a été relayée jusqu'ici que dans quelques médias européens, et les étudiants espèrent que l'écho de ces faits dans les médias internationaux permettra d'enrayer ces attaques pour pouvoir poursuivre leurs études en paix et envisager l'avenir avec espoir. En attendant, ils gardent dans leurs sacs des masques et des compresses alcoolisées. En Palestine, plus qu’ailleurs, il faut être prêt pour l’imprévu.
- la porte d’entrée principale de l’université, dont les vitres ont été cassées par des balles en caoutchouc - 17 novembre 2013
- des soldats tirent sur les élèves avec des balles en caoutchouc (rubber coated bullets*) depuis le portail d’entrée de l’université. (capture d’écran de la vidéo publiée par l’université)
*les ‘balles en caoutchouc’ sont des projectiles cylindriques d’acier pesant 20 grammes, recouverts de caoutchouc et normalement non-perforants. Il arrive que ces balles tuent lorsqu’elles sont tirées de près ou simplement au mauvais endroit.
24 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON