Kadhafi, la fin d’un monstre et un rapace dans son sillon
A Noël, on m’a offert Les Proies d’Annick Cojean, une enquête dédiée aux femmes violées par Kadhafi durant ses quatre décennies de règne. Voici un petit commentaire de lecture.

Au terme de la lecture de cet ouvrage, il ressort qu’en effet, à côté du défunt, DSK ou Bill Clinton sont des hommes fidèles et moraux.
Les récits relatées des femmes violées est accablant pour cet homme qui semble avoir été le champion toute catégorie en terme de pervers abus de pouvoir. L’homme faisait tout simplement du sexe son arme de prédilection violant tour à tour les femmes de ses généraux ainsi que toutes les femmes d’influence susceptible de tomber sous sa coupe (quitte à les payer avec des valises de billets). En parallèle, il consacrait une bonne partie de son temps à faire la tournée des lycées et des universités pour aller trouver sans cesse de nouvelles victimes (une garçonnière SM avait été aménagé sous l’amphithéâtre de l’université de Tripoli où il venait donner des conférences). Selon les estimations assez vagues données par l’auteure (elle-même ne se livre à aucun calcul), Kadhafi durant ton son règne pourrait avoir violé jusqu’à quarante milles femmes.
L’utilisation du viol en règle ne se limitait pas à sa seule personne puisqu’on a retrouvé des stocks considérables de viagra dans les entrepôts de l’armée pour les donner aux soldats.
D’un point de vue plus médiatique, tout son délire avec ses amazones n’avait que pour seul but de lui fournir des femmes pour combler sa voracité déviante.
Complétons le portrait en signalant qu’il semblait prendre d’énormes quantités de drogues (en particulier lors de ses allocutions) en plus du viagra et qu’il lui arrivait également de violer des garçons.
Je connais très mal la société libyenne, mais dans une société où une femme non vierge et non mariée est une paria au regard de sa famille ou de la société (un propriétaire ne louera pas un appartement à une femme seule), on entrevoit le saccage commis pour ces femmes cantonnées à rejoindre les ténèbres de la misère.
Certains points annexes me paraissent sinon donner lieu à discussion.
Outre l’emprise matérielle que pouvait facilement avoir Kadhafi sur ses proies (d’après WP, on estime sa fortune à plus de 150 milliards), on constate également ici ou là la domination psychologique qu’il avait sur ses victimes (la principale dont l’histoire occupe la moitié de l’ouvrage réussit à s’évader et même à rejoindre Paris pour lui échapper, mais elle finira presque par elle-même par revenir au sérail). Si je relate cet asservissement c’est parce que je trouve risible que vous soyez en train de vous vanter de votre force morale car sans nul doute vous pourriez vous échapper d’une telle situation mais vous allez gentiment et bien sagement (tout comme moi d’ailleurs) accomplir vos devoirs d’esclaves capitalistes demain. Cette forme d’asservissement nos parait éculée, mais elle pourtant toujours bien présente sous différentes formes dans le monde.
Il me parait aussi important de s’arrêter sur un autre point : si la conduite de Kadhafi est clairement coupable, celle de l’auteure est très discutable, en effet, lorsqu’on m’a offert ce livre, j’ai eu peur d’avoir une nouvelle fois à faire à de la propagande occidentale, je ne me trompais guère. Il est évident qu’une première lecture en plus de mettre mal à l’aise ne peut que conduire à nourrir un discours réactionnaire raciste et impérialiste prompt à mobiliser tous les petits esprits étriqués et intolérants.
Faire des victimes de Kadhafi l’objet premier d’un ouvrage est un procédé très populiste et cela permet de négliger d’autres thèmes importants de la Libye ou même de son seul despote. L’amitié entre Sarkozy et Kadhafi autour de l’union pour la Méditerranée ou d’un probable financement de campagne ? Pas un mot. Les actions détenues par Kadhafi au sein du groupe Total ? Pas utile, il faut croire. La contestation du Guide Suprême sur la scène internationale et son rêve d’un Afrique unifiée ? A peine évoquée. Les probables possessions de Kadhafi dans l’hexagone ou ses milliards sans doute verouillés dans des paradis fiscaux. Là aussi, pas un mot. L’Otan et la France attaquant la Libye et pas les autres pays limitrophes ? Pas nécessaire sans doute. Les conditions exactes de sa mort et la nature des meurtriers ? On nous rapporte que des vidéos circulent où on le voit se faire violer avant sa mort, une grande rigueur d’investigation donc.
Bref, tout ce qui était susceptible d’aller contre le portrait diabolique ne méritait semble-t-il pas d’être mentionné, mais encore une fois la couleur était annoncée dès le titre.
Se payer le luxe de citer A Londres en évitant soigneusement tout sujet qui pourrait déranger le français moyen en dehors de ce portrait sordide et abject que le lecteur prendra soin d’étendre à l’ensemble de la communauté musulmane (une distinction n’est jamais clairement établie), c’est faire preuve d’une superficialité presque dangereuse pour une grande reporter du Monde.
A ce niveau, il me parait plus sain d’avoir la posture docte d’un Noam Chomsky qui encore aujourd’hui continue d’attaquer sans cesse son gouvernement car attaquer tout gouvernement extérieur revient généralement à encenser le sien de manière indirecte et ça notre grande journaliste du Monde (financé en partie par les deniers publics) semble l’avoir bien compris et avoir pris son parti, celui de la lâcheté et de la couardise, celui des chiens de garde de l’état français. On pourrait peut-être même accuser Mme Cojean d’avoir saisi un sujet vendeur, la dépravation sexuel d’un dirigeant, pour nourrir sa cupidité.
Kadhafi était un malade dégénéré, coupable, priapique, bref fou ? Sans aucun doute, mais ce n’est pas à Mme Cojean d’en juger, ni à moi, ni à vous, mais aux seuls libyens. Son livre est-il à mettre entre toutes les mains ? A mon sens pas dans des françaises, en revanche, si vous connaissez des libyens, là oui, il devra trouver son intérêt. A Tripoli donc et pas ailleurs. Emettre une opinion depuis l’extérieur est une ingérence dangereuse qui peut justifier de bien maladroits mépris à l’égard d’un peuple victime, hier d’un tyran fou, aujourd’hui de pays à l’expansionnisme intéressée.
Même ce bouffon de Sacha Baron Cohen fait preuve de davantage de doigté dans son dernier film the Dictaror en réussissant dans le film à remettre les USA à leur juste place, une dictature impérialiste donc.
Outre donc le fait de nourrir le mépris ethnocentriste de la nation sur le dos d’un despote défunt et surtout sur l’ensemble de ses victimes déchirées, il convient peut-être d’en profiter pour nourrir un discours assez facile : celui de la folie inhérente sur un excès de détention de pouvoir, il est surprenant que l’opinion publique ait encore à s’émouvoir des déviances des hommes détenteurs d’un trop grand pouvoir, il est de même surprenant que bon nombre de journalistes ne sache pas avoir une approche moins superficielle, comprenez aller plus loin que l’incompétence de leurs dirigeants. Peut-être nos dirigeants ne veulent-ils qu’on s’aperçoive de leur discutable utilité…
Enfin et ce sera le plus inconfortable, il serait inconvenant de parler de ce bouquin sans évoquer le féminisme saccagé par ce tyran car incontestablement, le premier noble but de cet ouvrage est de faire avancer la cause des femmes au moins en Libye, là encore, la démarche me parait maladroite, si je devais connaitre des libyens, le texte inspire plus à la défiance qu’à la concertation sur un sujet qui parait extrêmement tabou sur place. Vu que l’ouvrage ne sera, je pense, pas vendu sur place, il ne va pas faire beaucoup progresser les choses là-bas.
En revanche, il aurait pu être intéressant (et c’est un fait qu’on sent à la lecture de l’ouvrage) de se pencher sur l’émancipation présumée des femmes du régime libyen pour retomber avec une tout aussi grande célérité dans une société de consommation au sexisme avéré. Et là par contre ce sont des combats locaux où nos intrépides journalistes pourraient sans doute plus briller.
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