Kadhafi ou la controverse inutile
La visite du président lybien à Paris provoque des passions inexplicables parmi nos concitoyens, parlementaires et ministres. Pourtant, il serait bon de se souvenir de la leçon de pragmatisme prodiguée par de Gaulle selon laquelle les nations n’ont pas d’amis, mais que des intérêts et reconnaissons pour commencer les retombées économiques et financières évidentes d’un tel déplacement à Paris.
La France, pays par excellence des valeurs démocratiques, est également un pays qui compte trois millions de chômeurs, un pays que le Premier ministre qualifiait d’ « en faillite » il y a quelques semaines, un pays aux déficits tels qu’il pourrait voir sa notation internationale AAA dégradée prochainement. J’irai même plus loin : sans l’Europe et sans cet amortisseur de chocs que constitue l’Euro, notre pays serait dans l’obligation de dévaluer sa monnaie ! Or l’accroissement de nos exportations est une des solutions permettant de réduire à court terme notre balance commerciale lourdement déficitaire car toutes les autres mesures visant à assainir nos finances publiques et notre économie dérouleront leurs effets à plus long terme car structurelles. Le président de la République devait donc saisir cette opportunité de signer ces contrats avec la Lybie, promouvoir les fleurons de notre industrie exportatrice, même au prix de la réception de Kadhafi en France.
Du reste, le dialogue et la communication sont des facteurs majeurs dès lors qu’il s’agit de rapprochement, dès lors qu’il s’agit de modération. Il y a ainsi plusieurs manières d’oeuvrer en faveur des droits de l’homme, l’une d’entre elles étant d’avoir une influence auprès de certains chefs d’Etats jugés « peu fréquentables »...Comment prétendre ramener certaines nations dans le groupement des nations démocratiques sans dialogue et sans communication ? La rapprochement est donc la clé si l’on souhaite amener ces dirigeants à adopter des attitudes équilibrées et justes envers leurs populations. Il serait en effet foncièrement hypocrite - comme beaucoup le suggèrent - de commercer avec la Lybie sans avoir à contribuer à redonner une « crédibilité internationale » à son leader. La politique est l’art du compromis et, s’il est tout à fait compréhensible que l’accueil de Kadhafi en grande pompe scandalise beaucoup de Français, il est en revanche inacceptable que des hommes et femmes professionnels de la politique de tous bords s’en émeuvent... sauf à les taxer d’hypocrites et d’opportunistes ! Le président de la République devrait-il opérer une sélection savante et rompre toute relation avec les pays ne correspondant pas à notre grille de valeurs ? La France est-elle suffisamment forte pour se permettre de sacrifier ses intérêts en mettant au ban des nations certains dirigeants qui ont fait leur amende honorable ? Le sentimentalisme n’ayant jamais prévalu dans l’action politique, il est pour le moins étonnant que certains politiques candides soient effarouchés de cette visite de Kadhafi. Quid sinon de l’accueil sur le perron de l’Elysée de Fidel Castro par le président Mitterrand ? Quid des nombreuses visites de l’ex-terroriste Arafat - Prix Nobel de la Paix - auprès de Jacques Chirac ? Quid de la visite de l’ex-candidate Ségolène Royal en Chine, pays aussi « démocratique » que la Lybie ? Quid du Parti communiste français qui approuvait implicitement les crimes perpétrés en Union soviétique ? Devons-nous cesser d’acheter une partie de notre pétrole à l’Arabie saoudite, pays où il est strictement interdit de pénétrer avec un emblème religieux n’appartenant pas à l’islam, pays où les droits de la femme sont foulés aux pieds, pays qui pratique la flagellation ? Devons-nous boycotter les jeux Olympiques de Pékin sous prétexte que la Chine doit encore accomplir d’immenses progrès en matière de droits de l’homme, mieux répartir ses richesses parmi une majorité de sa population vivant sous le seuil de pauvreté, interrompre ses simulacres de procès aboutissant à des exécutions capitales ? Notre démocratie, généreuse et humaine, ne peut-elle offrir à un dirigeant comme Kadhafi une chance d’entrer dans le rang ?
Ostraciser un pays ne peut que retarder sa transition démocratique et la Lybie a besoin de nous autant - sinon plus - que nous avons besoin d’elle. La France peut servir de source d’inspiration à un peuple isolé et meurtri depuis de trop longues années et le développement économique peut être une voie vers l’émancipation des peuples. Cette main tendue à Kadhafi et cette coopération économique avec le peuple lybien contribuera à coup sûr à faire reculer un peu le spectre du conflit des civilisations en gestation. Ne répétons pas avec la Lybie les mêmes erreurs que celles commises avec l’Irak de Saddam Hussein, erreurs ayant abouti à la déstabilisation de l’ensemble du Proche-Orient. Du reste, doit-on rappeler que la Lybie a signé le Traité de non-prolifération nucléaire ? Que ceux parmi nos politiques qui se répandent contre Nicolas Sarkozy n’oublient pas que c’est la Lybie qui avait lancé en 1998 le premier mandat d’arrêt international contre un membre d’Al Qaida, à une époque où ce groupe terroriste ne préoccupait pas encore la communauté occidentale... Rappelons que la Lybie est un allié déterminé dans la lutte contre le terrorisme et que Kadhafi cherche par tous les moyens à empêcher l’implantation de ce réseau dans son pays. Si l’Occident refuse de discuter avec ceux qui lui font des appels du pied, si la France choisit de se draper de pudibonderie, elle ouvrira alors une voie royale aux poseurs de bombes. Au lendemain d’attentats terroristes sanglants en Algérie, ne nous aliénons pas un allié à la dimension géostratégique déterminante. Car la collaboration méditerranéenne ne se fera sans la Lybie et il n’y aura pas de lutte efficace contre le terrorisme, et les peuples ne connaîtront pas la paix sans cette union méditerranéenne prônée par le président de la République. Enfin, ne minimisons pas l’impact de cette visite du dirigeant lybien sur un pays comme l’Iran. En effet, le message à l’Iran, nation respectable depuis plusieurs millénaire, est on ne peut plus limpide : la France va redevenir une nation qui compte dans la région et est disposée à jouer un rôle de modérateur pour peu que vous reveniez au droit international...
L’accélération de l’activité politique est spectaculaire en France depuis sept mois et la rupture est une partition qui se joue tous les jours de manière plus ou moins harmonieuse. Nous, Français, réputés pour notre inertie et notre vision franco-française des relations internationales et de la mondialisation, ne pouvons rester insensible face à un homme présent quasi simultanément sur tous les fronts : la libération des infirmières bulgares, les tractations pour la libération d’Ingrid Betancourt, les visites répétitives de Bernard Kouchner au Liban, l’Union méditerranéenne, la signature de contrats substantiels avec la Chine hier, aujourd’hui la Lybie, demain l’Arabie saoudite...
A une époque où bien des nations cherchent à se distancer des Etats-Unis et où l’Europe ne peut encore parler d’une seule voix, la France peut et doit prétendre à un rôle majeur dans le monde et nous nous devons de soutenir notre président fraîchement élu dans cette entreprise.
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