L’affaire Viruswaarheid : nouveau clou dans le cercueil de l’Etat de droit ?
Viruswaarheid (VW) est une fondation dont les deux porte-parole n’ont aucun engagement préalable connu. Willem Engel est un professeur de danse qui a abandonné des études de biopharmacie pour se consacrer à sa passion . A partir de mai 2020, il est apparu dans divers médias en ligne pour critiquer les mesures prises par le gouvernement afin de faire face à l’épidémie de Covid-19. Peu après, il s’est associé à Jeroen Poels, un avocat qui par le passé avait été le représentant légal de son père . Dès lors, à travers la fondation, ils ont intenté un grand nombre de recours en référé visant à contester non seulement des dispositions isolées mais l’ensemble du récit qui a légitimé auprès du personnel politique, des médias et d’une partie des citoyens les restrictions aux libertés publiques en cours depuis mars 2020. Jusqu’au 16 février, presque tous ces recours avaient été déboutés. Par ailleurs, ils ont appelé à diverses manifestations et actions sur les réseaux sociaux dans le but de réclamer un retour rapide aux libertés inscrites dans la Constitution.
Attachons-nous rapidement au traitement médiatique de cette fondation. Dès le départ, certains journaux ont attribué à ses porte-parole des liens avec l’extrême-droite ou la volonté de mettre en cause les fondements de la démocratie représentative. Ainsi, sur base d’un message partagé par Engel sur Whatsapp, des médias grand public ont-ils instillé l’idée d’un lien entre VW et QAnon. Ce traitement pose surtout une question : la défiance à l’égard des autorités est-elle devenue synonyme de fascisme ?
L’attitude des géants du Web interroge également. Ainsi, Facebook a décidé de mettre hors ligne une page de la fondation contestant la distanciation sociale, ce qu’un tribunal d’Amsterdam a jugé légal.
Venons-en à la procédure qui a abouti à la condamnation de l’Etat en première instance ce 16 février. Des éléments de contexte sont ici indispensables. Le gouvernement rassemblant droite libérale (VVD), chrétiens-démocrates (CDA) et libéraux de centre-gauche (D66) démissionne le 15 janvier. Le Premier ministre Mark Rutte (VVD), devant ce jour-là faire face à une motion de défiance déposée par la Gauche verte et apparemment soutenue par l’ensemble de l’opposition, avait préféré jeter l’éponge. Ce choix avait suscité beaucoup de débats. Rutte, en poste depuis 2010, agissait-il sous la contrainte ou par opportunisme, tablant sur la situation pour renforcer son parti lors des élections anticipées ? Quoi qu’il en soit, cette motion était la conséquence de l’affaire des allocations qui avait éclaté un mois plus tôt suite à la publication d’un rapport parlementaire. Celui-ci indiquait que depuis 2009 des dizaines de milliers de familles, souvent issues de l’immigration, avaient été sanctionnées à tort pour avoir reçu des allocations familiales, ce qui dans certains cas avait mené à des situations de grave surendettement et des drames. Cette chasse à la fraude sociale qui fait rarement dans la demi-mesure et conduit parfois à sanctionner des gens qui se sont en réalité conformés aux règles s’inscrit parfaitement dans le cadre de l’idéologie néo-libérale. La particularité ici est que, selon le rapport parlementaire, elle avait abouti à la violation répétée des principes fondamentaux de l’Etat de droit. De plus, pointait le rapport, elle avait impliqué de très nombreux acteurs, du Premier ministre lui-même à l’administration fiscale en passant par la Chambre, le Conseil d’Etat et les médias. Les travaillistes étaient également sur la sellette, puisque leur chef Lodewijk Asscher était à la tête du ministère des affaires sociales entre 2012 et 2017. Retenons que c’est suite à des accusations de violation des fondements de l’Etat de droit que ce gouvernement a démissionné.
Dès le lendemain, Rutte déclarait que, même en affaires courantes, son Cabinet continuerait à gérer la crise sanitaire comme avant ; l’urgence le nécessitait. Et en effet, le 21 janvier, il présenta devant la Chambre un projet de loi visant à instaurer un couvre-feu national, valable du 23 janvier au 10 février. Une telle mesure avait déjà été préconisée en septembre 2020 par l’Outbreak Managment Team (OMT), principal organe consultatif du gouvernement dans le cadre de cette pandémie, mais repoussée alors par Rutte pour qui elle aurait ravivé trop de mauvais souvenirs liés à la deuxième guerre mondiale. Le projet fut approuvé sans vote par les partis de l’ancienne majorité ainsi que par les principales formations de gauche. Pourquoi ce revirement, surtout dans de telles circonstances ? Le gouvernement le justifia par de nouvelles recommandations de l’OMT. Le couvre-feu fut prolongé jusqu’au 3 mars le 8 février.
Analysons à présent comment la juge des référés a perçu ces événements. La procédure introduite par VW contestait à la fois la manière dont avait été introduit ce dispositif que son caractère urgent.
La juge note que « la nécessité d'introduire d'urgence une mesure de grande portée, qui entraîne une restriction des droits fondamentaux élémentaires, doit être évidente et elle ne peut se justifier que si d'autres moyens de conjurer le danger actuel pour l'ordre et la sécurité publics ne sont plus suffisants ».
Le Cabinet avait le 21 janvier invoqué la Wbbbg, une loi d’urgence votée en 1996 pour 4 ans et jamais abrogée depuis. Par ce choix il était en mesure, sans le consentement préalable du Sénat et de la Chambre des représentants, d’instaurer avec effet immédiat par règlement ministériel. Interrogé par la juge, le gouvernement a déclaré à l'audience que cette voie avait été choisie en raison de l'urgence. En effet, selon l’OMT, et malgré la baisse des indicateurs censés apprécier le degré de gravité de l’épidémie, l’occupations des lits en particulier, l’inquiétude autour de la contagiosité potentiellement plus grande de ce que les autorités appellent le variant britannique légitimait le recours au couvre-feu. Celui-ci aurait le mérite d’instiller dans la population un sentiment accru d’urgence. De plus, déclare l’OMT, il a fait ses preuves dans d’autres pays, principalement la France. Reportons-nous aux mots de la juge (in extenso afin d’atténuer d’avance les quelles d’interprétation : « Quelle que soit mesure dans laquelle l’État agit pour éviter que la situation ne se détériore en instaurant le couvre-feu via la Wbbbg, parce qu’une situation d’urgence peut survenir dans un avenir pas trop lointain, il ne peut être certain de l’empêcher. Une mesure de grande envergure fondée sur une loi d'urgence ne peut être adoptée que si une situation d'urgence aiguë survient réellement, qui, de plus, ne peut pas être résolue par d'autres moyens moins ambitieux. Virus Waarheid et autres ont souligné à juste titre dans ce contexte qu'un couvre-feu ne peut raisonnablement pas être utilisé en vertu d'une loi d'urgence pour accroître le "sentiment d'urgence" parmi la population. L'affirmation selon laquelle le couvre-feu peut probablement apporter une "contribution significative" à la lutte contre le virus est également clairement insuffisante pour activer les pouvoirs d'urgence de la Wbbbg. »
La suite du jugement, le morceau de bravoure, mérite une citation extensive :
Le principe de base demeure que l’État a une grande latitude dans le choix des mesures qu’il souhaite prendre dans le cadre de la lutte contre la pandémie (à condition d’emprunter une voie acceptable). Cependant, il est important que l'État fournisse de bonnes raisons pour lesquelles une certaine mesure est inévitable. La juge de la première instance est d’avis qu’il existe, surtout, des doutes sérieux quant à la justification factuelle par l’État de la nécessité de la mesure de couvre-feu. Un autre facteur important est le fait que la pandémie dure déjà depuis près d'un an et il est reconnu que la pression sur les soins de santé est actuellement moindre qu'avant. Même lorsque les soins de santé fonctionnaient auparavant à leur capacité maximale, un couvre-feu n'était pas jugé nécessaire. En particulier, l’État a souligné que l’apparition de mutations dans le virus, qui semblent être plus contagieuses que le virus d’origine, est actuellement très préoccupante. La question est de savoir si cela suffit en soi pour imposer un remède de grande portée tel que le couvre-feu. Outre le fait que les informations sur la mesure dans laquelle les variants sont plus contagieux que le virus d'origine semblent avoir été revues à la baisse, il n'est actuellement pas certain qu‘ils conduiront à une situation intenable. Cela ne signifie pas que le gouvernement ne doit pas se préparer à de nouveaux développements, mais avant qu'une restriction de grande portée telle qu'un couvre-feu soit introduite, il doit être clair qu'il n'y a pas d'autres mesures de moins grande portée disponibles et que l'introduction du couvre-feu ait réellement un effet substantiel.
La juge ne se borne donc pas, comme l’ont affirmé la grande majorité des médias qui ont rapporté le procès, à considérer que le gouvernement a fait une erreur de procédure en recourant à la Wbbbg. Il met en doute les justifications apportées par le gouvernement et l’OMT à l’urgence de l’instauration du couvre-feu dans un tel contexte épidémiologique, au nom de la nécessité d’insuffler un sentiment général d’urgence préventive, conception assez nouvelle dans une « guerre » contre un virus. Ses mots entrent en résonance avec les révélations de Die Welt publiées une grosse semaine plus tôt. Les lecteurs y apprenaient que dès mars 2020 le ministre de l’intérieur Horst Seehofer avait pressé de hauts responsables scientifiques « d'élaborer un modèle sur la base duquel des « mesures préventives et répressives » peuvent être envisagées. Selon les échanges de mails, « les scientifiques ont travaillé en étroite coordination avec le ministère en seulement quatre jours pour développer le contenu d'un article qui avait été déclaré secret, et a été distribué à divers médias au cours des jours suivants. Un scénario du pire a été calculé selon lequel plus d'un million de personnes en Allemagne pourraient mourir du coronavirus si la vie sociale devait continuer comme avant la pandémie. » (Peut-être à ajouter, dans le même article : Le ministère fédéral de l'Intérieur a engagé des scientifiques de plusieurs instituts de recherche et universités à des fins politiques lors de la première vague de la pandémie corona en mars 2020. Il a chargé les chercheurs de l'Institut Robert Koch et d'autres institutions de créer un modèle de calcul sur la base duquel le ministère de l'Intérieur, Horst Seehofer (CSU), voulait justifier des mesures corona sévères. Cela ressort de plus de 200 pages de correspondance interne entre le niveau de gestion du ministère de l'Intérieur et les chercheurs, que WELT AM SONNTAG a reçu. Un groupe d'avocats s'est battu pour le courrier électronique dans un litige avec l'Institut Robert Koch qui a duré plusieurs mois.)
Nous ne débattrons pas ici de la sincérité de la préoccupation du ministre. Contentons-nous de poser cette question : est-il légitime d’imposer des mesures aussi lourdes sur bien des plans, d’accroître artificiellement la peur au sein de la population en vue de prévenir un possible danger ou de nous préparer à y faire face ? Ca ne correspond en tout cas à aucun précédent connu, mais bien aux préconisations émises par un rapport de l’OMS publié en 2010, peu après l’épidémie du H1N1 (liens rapport + livre Pascal Zylberman : http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/NRF-Essais/Tempetes-microbiennes : presque tout la logique actuelle y est déjà décrite, en 2013 : c’est plus hallucinant que je le pensais.)
La juge conclut par des paroles très fortes contre l’approche globale de la crise par le gouvernement, et met en avant une alternative au couvre-feu imposé envisagée par les plaignants :
Viruswaarheid a également fait valoir qu’on ignore pourquoi il n'a pas été décidé de fournir des informations supplémentaires au public et des conseils urgents pour rester chez soi la nuit en raison de nouveaux variants puis de mesurer (…) si un avis de couvre-feu serait correctement respecté sur une base volontaire et quels en sont les effets réels. La juge des mesures préliminaires a également établi que l'OMT avait déclaré n'avoir aucune preuve que le couvre-feu avait contribué de manière substantielle à la réduction du virus. Le fait que certains pays, dont apparemment la France, aient fait des déclarations positives à ce sujet n’est pas encore convaincant sans autre justification. Outre le fait que les données présentées par l'État ont été contestées par Viruswaarheid et al., il ne peut être exclu que ces pays aient une culture de la vie nocturne plus grande que les Pays-Bas ou que d'autres circonstances spécifiques jouent un rôle. C'est maintenant le milieu de l'hiver aux Pays-Bas et tous les magasins, restaurants et autres établissements sont fermés. Cela signifie que sortir le soir est donc déjà nettement moins fréquent que, par exemple, en période estivale. On peut donc se demander si - sur la base de l’effet positif déclaré dans d’autres pays - la situation aux Pays-Bas est comparable à celle d’autres pays.
Elargissons la focale. Affirmer qu’en France ou en Belgique les chiffres ont baissé grâce au couvre-feu, c’est commettre une erreur de logique courante et en l’occurrence lourde conséquence : confondre causalité et succession. Quant au gouvernement néerlandais, il joue sur du velours : soit la tendance à la baisse se poursuit et il y verra la preuve de la justesse de sa décision ; soit il y a effectivement une hausse et l’exécutif se prévaudra d’avoir évité le pire par sa prudence, ce qui aurait pour bénéfice secondaire d’intimider les partis récalcitrants. Puisque le pic d’infections grippales se place chaque année en mars (lien), c’est ce dernier scénario qui devrait se vérifier. Que se serait-il produit sans couvre-feu, ou si on avait, comme le suggère la juge, recommandé à la population d’éviter de sortir la nuit ? Nul ne le saura jamais, même si on pourra s’en faire une idée en comparant le taux de surmortalité des Pays-Bas à celui de pays voisins qui n’ont jamais adopté ce dispositif.
Pour justifier la prolongation du couvre-feu, l’OMT avait présenté au gouvernement une modélisation d’un genre particulier. Voici les propos de la juge :
Il a été établi qu'en même temps que le couvre-feu était institué, il était urgent de ne pas recevoir plus d'une personne à domicile par jour. Selon les graphiques présentés par l'État, l'OMT n'a pas fait de distinction dans ses prévisions sur les effets des mesures entre le couvre-feu d'une part et le dispositif de visite d'une seule personne d'autre part. La prévision suppose donc une croissance des infections d'environ 10% si le couvre-feu était aboli et le programme de visite d'une personne était appliqué en même temps. Cela déforme considérablement le tableau en ce qui concerne l'utilité et la nécessité du couvre-feu et implique la déclaration par l'État qu'un couvre-feu est inévitable, pour dire le moins, et ne semble pas motivé de manière très convaincante.
C’est en conséquence de tout ceci que la juge exige la levée immédiate du couvre-feu et condamne l’Etat aux dépens. Celui-ci n’en sortira pas ruiné : les frais sont « estimés par Viruswaarheid et al. à 1768,81 € dont 1016 € pour les honoraires de l’avocat, 667 € pour les frais de justice et 85,81 € pour les frais de convocation, à majorer de la TVA le cas échéant. »
Au terme de ce prononcé, le jugement est présenté comme une menace par le gouvernement, dont il s’agit d’annihiler les effets. Le Cabinet fait à la fois appel contre le verdict et contre le caractère exécutoire. Le temps presse, puisque nous sommes à quelques heures de la levée du couvre-feu, qui doit absolument être « sauvé ». Des procédures extraordinaires sont mises en œuvre. Trois juges qui étaient en télétravail doivent se rendre au tribunal dans l’heure afin de déterminer si l’intérêt vital de l’Etat est en jeu, seul cas de figure où il serait légitime de ne pas exécuter immédiatement la décision de leur confrère. La suspension par les juges, rare pour une décision de ce type, ne peut en effet se fonder que sur l'idée que l'intérêt qu'a l'Etat de maintenir le couvre-feu est supérieur à celui de ses opposants de le voir levé (lien avocate). Avant de se prononcer, les juges n’entendent qu’un seul témoin-expert : le président de l’OMT, Jaap van Dissel, dont la juge des référés venait de durement critiquer le travail et le rôle. Les juges d’appel décident de suivre son avis. Interrogé sur la raison de cette hâte par le Volkskrant, principal quotidien de centre-gauche, le procureur renvoie vers le ministère de la justice : Là, un porte-parole dit que Van Dissel "en tant qu'expert a expliqué l'importance pour l'Etat de suspendre le jugement".
Interprétation qui surprend après lecture des éléments contenu dans le jugement. En quoi l’exécution de la décision, dans l’attente de l’appel qui sera examiné trois jours plus tard, est-elle préjudiciable aux intérêts de l'Etat ? Van Dissel a-t-il dans l’intervalle pu déterminer quel impact épidémiologique aurait une levée de trois nuits ? Le Volkskrant, qui ne met nullement en cause cette façon de procéder et ses effets, s’interroge. L’OMT a toujours fermement rejeté les affirmations selon lesquelles elle jouerait un rôle politique. Comment dans ce cas Van Dissel pouvait-il être certain que l’exécution du jugement entraînerait des dommages si lourds qu’ils justifieraient de passer outre, au nom de l'intérêt supérieur de l'Etat ? De plus, si nul ne connaît l'efficacité épidémiologique d'un couvre-feu, sur quelle base l’OMT et le gouvernement ont-ils jugé qu’il fallait le sauver de toute urgence ? En quoi peut-on dire qu’il a des effets positifs ? Sur base de déclarations des autorités françaises ? Jérôme Salomon apparaissait plutôt vague le 9 novembre : « Les métropoles qui ont bénéficié des mesures de couvre-feu connaissent une évolution plutôt favorable ». Quel est donc le véritable intérêt de ce dispositif ? On peut au moins en dire ceci : il n’a pas fait l’objet de grosses contestations et est globalement très respecté ; il permet d’affermir l’ordre sans susciter trop de troubles.
Le soir même, le Roi et les ministres concernés signent une loi d'exception (spoedwet) et l'envoient au Conseil d'Etat pour un examen d'urgence avant présentation devant les Chambres. Divers articles prétendent démontrer qu'Engel, parce qu'il a critiqué la nature et la rapidité très inhabituelle de cette procédure, ne respecte pas le droit. Il est néanmoins invité pour la première fois à un talk-show de la télévision publique, qui démarre peu avant minuit. Face à lui se trouve entre autres Ab Osterhaus, un des virologues les plus influents et les plus médiatiques du pays depuis près de vingt ans. Et président de l'ESWI (European scientific working group on influenza), une agence qui promeut selon son site la création de des « relations de travail constructives » entre scientifiques experts en infections grippales et « stakeholder organizations », expression pouvant désigner aussi bien des institutions publiques que des groupes privés. Parmi ces organisations, on trouve par exemple Vaccines Europe. Cette structure compte dans ses rangs toutes les majors du secteur : Sanofi, GSK, Abbott mais aussi Moderna, AstraZeneca et bien sûr Pfizer. Ses missions ? Elles sont on ne peut plus claires : Proactively representing and voicing industry views on key issues of common interest being discussed at EU level. Raising awareness about the value and benefit of vaccines and vaccination and the contribution of the vaccine industry in Europe and worldwide. Foster a favourable policy climate for the vaccine industry in Europe. C'est donc un lobby qui vise à créer un climat politique favorable à l'industrie du vaccin. Un climat d'urgence préventive lui conviendrait-il ? Osterhaus ne se montre nullement alarmiste. Bien sûr, il est indispensable de maintenir le couvre-feu coûte que coûte, mais seulement pour quelques semaines, le temps de faire face au variant britannique ; ensuite, chacun retrouvera sa liberté, promis.
Sur le plateau s’exprime également Jan Brouwer, un professeur de droit de l’Université de Groningue. Bien loin de formuler la moindre réserve sur l’attitude du gouvernement, il estime que le couvre-feu permettra aux élections de se tenir le jour prévu ; ce dispositif sauve donc la démocratie. Une démocratie sans campagne, rassemblements, débats publics, et où chaque citoyen doit se tenir chez lui sous peine d’amendes...
Dehors, assure la police de Rotterdam, les rues sont vides ; la situation reste donc « maîtrisable »… C’est d’ailleurs là un fait remarquable : bien que la suspension du référé soit intervenue quelques minutes avant l’heure du couvre-feu, très peu de citoyens ont songé à le braver, effet probable de la répression qui s’était abattue fin janvier sur les manifestants qui protestaient contre une mesure… que le justice vient d’estimer infondée. L’ordre règne, même quand il est mis en cause par le pouvoir judiciaire.
Ce même soir est publié l’avis du Conseil d’Etat, émis par son vice-président. Il se demande pourquoi le couvre-feu n’a pas été inclus dans la TWM (loi sur les mesures Covid). Le gouvernement argue du caractère spécial du couvre-feu. Or, selon le Conseil, bien d’autres dispositions spéciales et drastiques ont été ajoutées à la TWM. Si le choix du Cabinet ne peut être correctement étayé, il est préférable de se borner à amender la TWM et de se passer d’une nouvelle loi. Le Conseil critique ensuite la proportionnalité du couvre-feu, comme l’avait fait la juge : Le gouvernement partage l’analyse de l'OMT et la fait sienne, selon l'explication fournie. Cependant, celle-ci ne contient pas de compromis à jour et lisible de manière indépendante entre l'importance de lutter contre le virus d'une part et l'importance de garantir les droits fondamentaux et les libertés des citoyens qui peuvent être limités par les couvre-feux d'autre part. Les notes explicatives se réfèrent uniquement aux rapports et recommandations publiés antérieurement sur ce point.
Aucune donnée actualisée ne justifie donc le couvre-feu dans le contexte où il fut introduit (baisse des indicateurs etc.). Le Conseil souligne que l’efficacité des mesures devrait être évaluée en amont et en aval, ce qui n’est pas le cas, d’où la nécessité de mettre en balance ces incertitudes et les restrictions des libertés fondamentales, qui sont elles bien réelles et incontestables. Le rôle de l’OMT est également en question :
Évidemment, les recommandations de l'OMT peuvent jouer un rôle important, mais l'évaluation finale (du gouvernement) ne peut, au vu des autres intérêts également en jeu, se fonder uniquement sur ces recommandations.
Il est donc nécessaire selon le Conseil que la proportionnalité du couvre-feu soit mieux motivée avant de présenter la loi d’exception devant les Chambres. Le ministre répond que le couvre-feu sera bien inclus dans la TWM. Il accepte aussi que l’exposé des motifs soit amendé afin de mieux étayer la proportionnalité de la mesure. En conséquence, le projet est envoyé au Parlement.
Le lendemain les commentaires abondent dans la presse. Geerten Boogaard, professeur de droit à l'Université de Leiden et détaché auprès du gouvernement, déclare : « VW y est allé fort contre l'État, alors vous pouvez vous attendre à ce qu'il riposte fortement. Par exemple, ils s’en sont pris à Jaap van Dissel ». Cet universitaire considère donc normal que l’Etat « riposte » sévèrement contre des plaignants dans leur droit quand il est mis en cause. Il ajoute ceci : « Imaginez si l'État n’avait pas obtenu satisfaction, des milliers d'agents auraient été embarrassés mardi soir. "Ils auraient tous été ridiculisés par les négateurs de virus." » Donc les personnes qui auraient voulu profiter de la liberté que venait de leur reconnaître la justice sont nécessairement des négationnistes. De plus, doit-on considérer qu’il est sain que la police soit déployée pour faire respecter une mesure qui a été jugée illégale quelques heures plus tôt ?
Le jeudi, la loi d’urgence est, qui refond la WPG, est votée à une large majorité à la Chambre, et elle passe l’épreuve plus délicate du Sénat le lendemain. Ce même vendredi 19, après les plaidoiries, le jugement en appel est reporté d’une semaine, à la grande surprise de beaucoup.
Au cours du bref débat à la Chambre, un député de DENK (parti qui entend défendre les citoyens issus de l’immigration) qualifie le Premier ministre de dictateur et apporte divers éléments à l’appui de l’opposition de son groupe à la loi. Il dit entre autres que Rutte aurait pu montrer la même diligence pour indemniser les victimes de l’affaire des allocations. Au mot de dictateur, la présidente travailliste de la Chambre, elle aussi issue de l’immigration, l’interrompt ; pour elle, ce terme est « infâme ». Rappelons que le PVDA était dans la ligne de mire du rapport parlementaire concernant ce scandale.
Le Forum pour la démocratie, parti généralement associé à la droite populiste, s’attaque à l’entièreté de la politique corona, qui pour lui cause énormément de dégâts sans avoir d’impact positif dans la lutte contre le virus. Il a lu le jugement ainsi que l’avis du Conseil d’Etat, qu’il cite longuement, tandis que ceux qui ont voté la loi s’en sont dispensés. Il réclame une enquête parlementaire sur l’ensemble de la gestion de crise.
Le dernier parti à s’opposer à la loi, mais d’un ton bien plus pondéré, est le SGP, qui porte la voix des secteurs protestants plutôt traditionnalistes. Son chef insiste sur ceci : la juge dit que le couvre-feu ne pouvait se fonder sur une urgence. Pour le conserver malgré tout, on fait voter une autre loi d’urgence…
Que contient la loi ? Elle « prévoit la possibilité d'imposer diverses mesures corona par règlement ministériel », sans l’aval des Chambres donc. De plus, d’autres « règles peuvent être fixées » par règlement ministériel. Elle n'impose pas explicitement de couvre-feu, mais en fournit la base légale. Malgré ces possibilités nouvelles pour le Cabinet, l'actuel règlement ministériel sur le couvre-feu « continuera à s'appliquer inchangé ». Grâce à ce procédé acrobatique, le gouvernement s’assure que, quel que soit le résultat de l’appel, le couvre-feu aura toujours été légal. Ceci permettra à l’exécutif de « sauver » les 26000 amendes distribuées à ce titre depuis le 23 janvier, mais aussi de se protéger des « demandes de dommages-intérêts venant, par exemple, des entrepreneurs qui ont subi des dommages en raison du couvre-feu avant l'entrée en vigueur de la loi d'urgence. » Toute conséquence possible du jugement futur est ainsi annulé par avance. Enfin, la loi s’appliquera u moins jusqu’au 1/9/2023, ce qui laisse te temps de voir venir.
Sur la question des amendes, et malgré les réserves émises par des partis qui ont voté la loi, le gouvernement a refusé tout compromis. L’annulation d’amendes est-elle susceptible d’accélérer la propagation d’un virus ? Une fois de plus, l’exécutif semble mû non par des considérations sanitaires mais d’ordre public. Ceci pourrait aussi expliquer l’attitude des médias et de la grande majorité des médias de large audience. Quelle est la menace qu’on s’efforce de conjurer par l’empilement de procédures exceptionnelles ? Comme l’ont noté divers titres de presse, la levée du couvre-feu risquait de saper dans ses fondements la « corona politik » adoptée depuis mars, aux Pays-Bas comme dans quelques autres pays de l’Union européenne. Et ce auprès d’une fraction impossible à déterminer de la population. N’est-ce pas là le principal sinon le seul péril qu’ont voulu esquiver les parlementaires par leur diligence face à un exécutif pourtant en apparence très affaibli par sa démission ? Tous le grands partis (même le PVV de Geert Wilders après ses réticences initiales) ont voté la WBG et les autres dispositifs d’exception. La plupart des médias traditionnels, privés comme publics, ont accrédité cette orientation, quand ils n’ont pas réclamé son durcissement, qui s’écarte notablement de la gestion habituelles des épidémies grippales. Si le récit bâti autour du Covid en tant que menace de très grande envergure justifiant de tels écarts voire tous les écarts, leur statut pourrait en pâtir lourdement. On discerne auprès de ces acteurs (partis et médias) ce même sentiment d’urgence préventif que l’OMT et Horst Seehofer entre autres estiment si impérieux d’instiller dans la population. Leur sentiment largement partagé paraît être le suivant : si le récit s’écroule, nous coulons avec lui ; les « populistes » pourraient remporter les élections (pourtant, après celles de 2009, le VVD avait accepté le soutien du PVV, qui était à l’époque bien plus puissant dans l’opinion ; ce soutien avait mené le premier gouvernement Rutte à adopter diverses réformes anti-immigrés) voire chercher à s’emparer du pouvoir par la force. Les images de la marche tragi-comique des partisans de Trump sur le Capitole a ancré la possibilité d’un tel scénario, pourtant hautement invraisemblable, dans beaucoup d’esprits. Parler de syndrome obsidional n’est nullement excessif. A leurs yeux, pour défendre la démocratie, il est nécessaire d’augmenter (ou diminuer) l’Etat de droit, de l’implémenter, de le contourner voire de le suspendre sine die en attendant que la population revienne à de meilleures dispositions, ce qui requerra énormément de pédagogie.
Le jugement en appel du 26/2 signe le triomphe du gouvernement. Le Volkskrant estime que la juge des référés avait statué « sur des bases juridiques purement formelles ». Les critiques envers la gestion d’ensemble, et en particulier l’introduction du couvre-feu, sont visiblement passées à la trappe. La Cour d’appel note : « Les mesures prises par un cabinet dans de telles situations sont une question politique. Le tribunal civil - et certainement la juge des référés - doit donc faire preuve de retenue dans l'appréciation des choix. » Un discret rappel à l’ordre. Dans ce même article, des avocats considèrent que ce verdict était attendu. Dans ce cas, pourquoi tant de hâte à en annuler les éventuelles conséquences à travers une loi d’urgence ?
On trouve d’autres curiosités dans ce jugement, comme celle-ci : « L'État a suffisamment prouvé que le couvre-feu a également un effet, du moins qu'il peut raisonnablement supposer que tel est le cas. » « Tout doit être fait pour maintenir le nombre d'infections le plus bas possible et éviter ainsi que les Pays-Bas ne soient inondés d'une troisième vague en plus de la seconde. » Des vagues qui au lieu de se succéder se chevauchent ; le gouvernement et l’OMT sont-ils également compétents pour réviser les lois de la physique ? « Le couvre-feu est en effet limité dans la mesure où, contrairement à d'autres pays d'Europe, il ne s'applique qu'à partir de 21 heures. » Le dumping appliqué au couvre-feu ? De plus, que signifierait un couvre-feu illimité ? Le « Covid-19 n'a toujours pas été éteint et se transforme en des variantes souvent encore plus contagieuses. En fin de compte, nous devons attendre des options de vaccination suffisantes, mais nous n'avons pas encore atteint ce stade, alors qu'il est également incertain si les vaccins actuellement existants continueront à fonctionner avec les nouvelles variantes. » Donc puisque des variants possiblement plus contagieux devraient arriver, il faut attendre les vaccins, qui n’auront peut-être aucune efficacité contre eux… Quelques phrases plus loin, les variantes sont, sans réserves cette fois, devenues « beaucoup plus contagieuses ». Enfin, malgré les apparences, les Pays-Bas ne se trouvent pas dans un « état d'urgence au sens juridique, ni même factuel ». La situation est donc normale, au sens de la nouvelle normalité.
Bref, tous les arguments du gouvernement sont retenus, tous ceux des plaignants rejetés. Puisque la gestion de la crise est une affaire politique, le pouvoir judiciaire n’a pas à s’en mêler.
Le VVD pourrait sortir très renforcé du scrutin du 17 mars, au terme d’une campagne nationale qui se déroulera dans des conditions inédites, dont une part a été déterminée par le gouvernement après sa démission. Le couvre-feu semble à l’abri de toute contestation jusqu’en septembre 2023. Quelques jours après le référé, on apprenait sur le site de la télévision publique belge francophone que le taux de vaccination de 70%, fixé comme objectif a minima afin garantit l’endiguement de l’épidémie, serait atteint dans deux ans et demi, soit à peu près à la même date. Quant aux assouplissements réclamés par divers secteurs de la société et de l’économie, Rutte a prévenu qu’elles n’auraient pas lieu ; l’OMT lui aurait en effet démontré l’imminence d’une troisième vague.
Cet épisode aura malgré tout eu pour mérite de pousser le nouveau régime à se dévoiler (y compris à lui-même) pour ce qu’il est : une révision drastique des normes définissant les démocraties libérales européennes. Le jugement de La Haye pourrait être la première grave alerte subie par le discours des autorités sur le Covid-19. Chacun peut constater comment le gouvernement, même démissionnaire, y a répondu, et le large soutien dont il a bénéficié. A chacun d'en tirer les conclusions, et à nous tous de décider s'il s'agit de la dernière alerte ou d'un point de départ.
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