L’Algérie africaine
Depuis un mois, le peuple algérien gronde et manifeste sa colère sous des allures de fêtes. Pendant ce temps, sur Facebook, les infos défilent à un rythme effréné. Le temps n’est plus à l’analyse profonde dans ce monde où l’émotion éphémère remplace toute réflexion. Par conséquent, nous éviterons de parler des issues probables de cette contestation, même si certaines revendications entrainent cette interrogation : N’est-ce pas triste d’envisager une révolution si l’objectif n’est pas d’inventer son système mais d’imiter des modèles turcs, orientaux ou occidentaux aux limites établies et qui diviseront inexorablement, selon les sensibilités de chacun.
Mais le temps est à la fête ! Il s’agit d’évacuer une frustration vieille de 20 ans pour certains ou de 50 ans (selon la blancheur de vos cheveux) !!
Une révolution printanière !
Lorsque nous observons les images des différents cortèges de manifestants algériens, la couleur est la première chose qui saute aux yeux. Nos regards sont charmés par ces arcs en ciel joyeux qui contrastent avec les sombres photos des rassemblements passés en certaines places arabes. Par ailleurs, le caractère masculin (perceptible à sa capillarité) prédominant dans les marches « orientales » s’oppose radicalement à la féminité des manifestations algérienne. Cette touche féminine caresse ce mouvement de sa grâce et lui octroie un raffinement subtil et romantique… Pour preuve, il suffit d’observer ce regain de beauté, ces visages angéliques que l’on croise au détour d’une ruelle, ces voix douces qui scandent (à l’octave) : la lil’uhda lkhāmissa[1] ! Moi qui croyais la beauté algéroise définitivement disparue…
Musique, danse, maquillage et explosions de couleurs ! Visuellement, cette révolution est bien plus proche du Carnaval de Rio ou de Venise que des marches populaires battant lugubrement le pavé au rythme des slogans politisés !
Parfois, un singe costumé, un âne à lunette, un mouton et même une chèvre participent au mouvement dans un air de cirque joyeux. L’humour, ce trait de caractère cher aux africains, cette marque d’intelligence affirme que même si l’heure est grave, nous refusons de la transformer en tragédie.
Tous ces éléments nous révèlent que l’Algérie renoue avec sa culture africaine ! Cette âme tribale présente chez chaque algérien qui le pousse à se déhancher contre son gré, à la première vibration des percussions (zdak zdak, reste assis !!). Lorsqu’elle n’est pas uniquement restreinte aux huit années de lutte pour son indépendance, l’histoire millénaire algérienne, a toujours été illustrée par la créativité de son peuple souvent pris pour modèle. En revanche, depuis la civilisation punique, ce pays a toujours sombré lorsqu’il a cherché à s’approprier des destins qui n’étaient pas les siens.
Kateb Yacine serait certainement fier de ce retour aux racines, lui qui déclarait : « L’idéal du panarabisme ne me concerne pas. Ça ne tient pas debout pour moi. Il y a des peuples de langue arabe : il y a un peuple syrien, un peuple palestinien, un peuple libyen. Je m’oppose à l’idéologie qui utilise des termes flous, parce que je trouve qu’elle est fausse scientifiquement et très dangereuse. C’est elle qui nous a fait rater l’Afrique. Voilà pourquoi nous, Nord-Africains, nous tournons le dos à l’Afrique ».
Alors, souhaitons que cette révolution continue de générer des sourires ! Que les corps dansent et chantent ! Que les visages s’embellissent, car depuis trop longtemps Alger s’était enlaidie, noircie et hantée par des démons qui n’étaient pas les siens. Que cette révolution demeure africaine ! Et puisqu’il est permis de rêver de changement, rêvons les choses en grand ! Ne nous contentons pas de singer le bédouinisme oriental ou l’illusion démocratique occidentale ! Rappelons-nous que l’Afrique fut l’un des rares endroits où la démocratie directe fut appliquée dans sa dimension absolue et essentielle[2].
Et si cette révolution pacifiste algérienne dépassait ses frontières, n’est ce pas ainsi que le rêvait Kateb Yacine : « De cette nouvelle ruée s’éveillaient les vieux génies, laissés pour morts de la terre sans nom, pas seulement une nation, deux, ni quatre, ni un gisement pétrolifère ni une nappe de gaz, mais un immense continent, l’Afrique entière se libérant, du Nord au Sud, faisant de l’Algérie son tremplin, son foyer, son principe, son étoile du Maghreb, pour traverser la nuit sans attendre l’aurore, et retrouver la caravane à chaque jalon de son épreuve, à ses puits ensablés, ses cimetières en déroute, ses coups de feu toujours comptés… ».
Hkim
[1] Non au cinquième mandat
[2] Le mot "démocratie" vient de la combinaison de deux termes grecs (demos & kratos) qui signifiient "pouvoir" et "peuple". Ce système a connu son heure de gloire à Athènes au Vème siècle avant J.-C. lors des nombreuses assemblées (ecclesia) convoquées par les magistrats (tirés au sort) où les citoyens votaient les lois qu'ils avaient proposées. Dans nos sociétés modernes, il est illusoire de parler de pouvoir du peuple alors qu'il ne l'exerce qu'une fois tous les cinq ans, uniquement pour glisser son bulletin dans une urne. En Afrique, certaines organisations politiques existaient avec un pouvoir décentralisé au point que les décisions locales étaient directement prises par le peuple.
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