L’Amérique désarmée
Les Américains à nouveau perclus d’horreur : 33 morts sur un campus pour un coup de déprime. Au pays du port d’arme conseillé, rien d’inédit, malheureusement, juste une escalade supplémentaire dans une violence dont on ne devine pas le sommet.
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Tiens, encore une tuerie dans un campus américain ! Sans mauvais esprit, ce type de fait divers est devenu tellement habituel aux USA qu’on finirait presque par s’y habituer, ou du moins par ne pas trouver cela si « anormal » que ça. Et pourtant ! Trente-deux étudiants descendus froidement, méticuleusement par un des leurs, au nom d’un vague vague à l’âme plus ou moins expliqué dans une lettre confuse, avouez que c’est un peu fort de café ! C’est très américain, cette mise en scène-là, cette outrance dans les effets, cet excès dans le bilan. 32 morts sur un simple coup de tête, on ne peut imaginer cela nulle part ailleurs qu’au pays de Bush, du Texas, et de la fameuse NRA (National Rifle Association) chère à Charlton Heston.
Pourtant, à lire les papiers des différents journaux de notre si paisible Hexagone (paisible, peut-être, mais Richard Durn quand même, il n’y a pas si longtemps, avait choisi de raccourcir de huit élus le conseil municipal de Nanterre) on constate que ce genre de tuerie a déjà eu lieu en Allemagne, au Canada, au Japon. Les Etats-Unis n’ont pas le monopole de ce type de boucherie. Ailleurs dans le monde, des hommes ont donc soudain fondu quelques plombs et choisi de faire payer leurs concitoyens, froidement, avec précision et détermination.
Oui, mais les Etats-Unis, c’est le pays des armes en vente libre, du port d’arme constitutionnel, du droit de chaque individu à se défendre. Alors, forcément, ça fait fantasmer et philosopher tous les Michael Moore de la planète, très prompts à pointer du doigt les lobbys des uns, l’hypocrisie des autres, l’irresponsabilité de tous, ça les fait trembloter de la caméra ou du stylo dès que dans ce pays grand comme le monde le fragile équilibre se rompt et que du banal surgit l’horreur. Des étudiants flingués comme des lapins, sans la moindre chance de se défendre, sans possibilité d’obtenir une remise de peine. Une mort aussi absurde qu’inutile, si tant est qu’une mort soit utile, parfois. Tout le monde ne peut que condamner une telle folie, tout le monde ne peut que s’en désoler. Même les défenseurs du port d’arme. Et en effet, même la toute puissante NRA présente ses condoléances, qu’on soupçonne sincères, tandis qu’une de ses sœurs, l’association Gun Owners of Americana a elle fortement personnalisé sa couronne mortuaire : "Il est irresponsable et dangereux de dire à des citoyens qu’ils ne peuvent avoir aucune arme dans les écoles" a ainsi déclaré le responsable de cette sympathique association, Larry Pratt ,qui a ajouté : "La dernière (fusillade), à la Virginia Tech, impose l’abrogation immédiate de la loi sur les zones libres de toute arme qui laisse les écoles du pays à la merci des fous". Voilà, avec ça une poignée de terre, fermez le cercueil et armez la jeunesse !
Il fallait oser, tout de même ! Les macchabées à peine froids, prétendre que si les étudiants avaient eu le droit de posséder une arme, ils auraient pu se défendre ! Voilà qui sèchera rapidement les larmes des parents des victimes. Si vos enfants sont morts, c’est parce que quelques politiciens irresponsables ont estimé que les écoles, les universités, devaient être des zones protégées, libres et sans armes, pour que la paix et la sérénité y règnent. Sans de tels absurdes règlements, l’exécution massive du 16 avril dernier se serait transformée en bataille façon western, une sorte de Fort Alamo à la fac, Fac Alamo tout à fait du goût des fanatiques des armes à feu, qui voient manifestement dans ces joujoux l’outil ultime de la liberté.
Ce Larry Pratt là est une certaine Amérique. Cette Amérique qu’on se plaît, ici, à tancer, toiser, moquer. Cette Amérique sur ses ergots, plus coq que tout le monde, qui n’apporte que des réponses simplistes à des problèmes immenses. Qui face à son impuissance ne répond que par une preuve matérielle de sa superpuissance. Qui envoie des chars, donc, des bombardiers, ou distribue des armes comme d’autres réfléchissent à des soins, des thérapies, analysent les comportements et tentent de percer les mystères. Mais même cette Amérique-là n’a pas le monopole de ses bêtises. Elle n’a pas l’exclusivité de sa violence. Elle est toujours, sans doute, ce qu’on deviendra dans quelques années. En avance sur notre temps.
En attendant, certains jeunes un peu largués, un peu dépassés, un peu s’ennuyant, chercheront malheureusement sans doute un jour à égaler leurs confrères de Columbine, leur héros de Virginia Tech. ils prendront à leur tour leur arme et dégommeront quelques dizaines d’entre eux, pour quelques lignes dans les journaux, une improbable célébrité ou juste exprimer un ras le bol. On n’arrivera sans doute pas à éviter une récidive, parce qu’on ne comprendra sans doute jamais ce qui pousse ces jeunes-là à passer ainsi à l’acte. Ce n’est ni dans le rap, ni dans Marilyn Manson, ni dans les jeux vidéo ni dans Matrix, ni même dans le deuxième amendement de la Constitution américaine qu’on trouvera la clé. Un peu de tout cela peut-être, mais rien de très clair. Comme dans le magnifique Elephant de Gus Van Sant, très inspiré par la tuerie de Columbine : une impression de vide, de malaise et d’absence qui soulève un peu le voile (noir) mais ne l’ôte pas.
Le sentiment violent que cette Amérique-là (mais pas qu’elle), malgré ses muscles et ses grandes déclarations, face aux hommes et à leurs maux, reste désarmée.
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