L’après-Chávez : chavisme politique et chavisme social
Hugo Chávez est mort. Depuis quelques jours, tout a été dit, et son contraire. La presse a fait son travail : les agences de presse ont tenté de s'en tenir au factuel, les commentateurs ont commenté, les témoins ont témoigné, les militants ont milité, les partisans ont pleuré, Twitter s'est embrasé, Facebook a dérapé...
Que reste-t-il de cette débauche de mots, de ces milliers de paroles de circonstance, de ces centaines d'opinions versées sens dessus dessous, de ces arguments entendus et réentendus ? Que reste-t-il de Chávez après Chávez ?
S'il n'y a qu'une chose à retenir de ces derniers jours, c'est cette extraordinaire force populaire qui s'est exprimée dans tout le pays, en cris, en pleurs, en espérance. Ce n'est pas un hasard. En effet, si un seul élément, après quatorze ans de pouvoir, est à mettre au crédit de Chávez et du chavisme, c'est bien d'avoir permis l'émergence des laissés pour compte de la société vénézuélienne antérieure : classe populaire urbaine, petits paysans, indigènes ; de leur avoir donné dignité et fierté ; de les avoir constitués en véritable classe sociale ; et finalement de leur avoir conféré une identité et une structure politique.
De larges espaces d'inclusion sociale
Tout cela n'a été possible, bien entendu, que grâce à l'existence d'une énorme rente pétrolière, dont Hugo Chávez a radicalement changé l'usage. Les bénéfices de cette rente pétrolière, traditionnellement orientés vers le haut de la pyramide sociale, se sont dirigés massivement vers le bas, ouvrant ainsi de larges espaces d'inclusion sociale.
Que, dans la foulée, le système ait généré de nouvelles opportunités d'enrichissement et créé une nouvelle élite, que l'armée ait été choyée afin d'assurer sa fidélité au régime, c'est de bonne guerre. Mais ce ne sont là qu'effets secondaires, l'essentiel étant, ni plus ni moins, que l'arrivée au pouvoir d'une nouvelle classe sociale.
Qu'adviendra-t-il maintenant ? Une chose est acquise : que le chavisme politique reste ou non au pouvoir, qu'il survive ou non à Chávez, le chavisme social, lui, est ancré et bien ancré dans le peuple vénézuélien. Sur ce point, il sera difficile, voire impossible, de revenir en arrière. Les classes pauvres ont gagné leur espace et leur dignité sociale, elles ne les perdront plus.
Dédain et mépris
Et cela, l'opposition, et en particulier les fameuses "classes moyennes", ne sont pas encore prêtes à l'accepter. Même si leur discours politique –celui de Capriles en particulier– semble prendre en compte cette nouvelle réalité sociale, il en est tout autrement dans le discours privé : là, on parle avec dédain d'un peuple "ignorant", "manipulé", "trompé" ; là, on exprime ouvertement son mépris pour le président par intérim (et possible successeur) Nicolás Maduro, ce vulgaire "chauffeur de bus" sans diplôme universitaire.
Souvent haineux, ce discours est révélateur de la pauvre compréhension qu'ont les opposants du phénomène social et politique qu'ils vivent depuis 14 ans. En dénigrant ainsi ceux qui, en fin de compte, forment leur peuple, ils montrent combien ils restent attachés au Venezuela d'hier : celui où ils pouvaient sans peine sous-payer des ouvriers ou des paysans pour travailler à leur service, ou engager à bon compte des muchachas de servicio (servantes) pour les travaux ménagers. Ils avaient alors à leur disposition un immense personnel soumis, ignorant de ses droits, taillable et corvéable à merci, dont la principale qualité était de travailler la tête baissée. Mais voici que les têtes baissées se sont levées : ceux qui se croient élites ont désormais devant eux une armée de militants, connaisseurs de leurs droits, et, qui plus est, protégés par une loi du travail plus favorable aux travailleurs, assurant à ces derniers des droits sociaux.
Un tsunami social
Animée par une telle mentalité rétrograde et réactionnaire, l'opposition est certaine d'aller à l'échec. Sous-estimant son adversaire au nom de principes élitistes qui n'ont plus cours dans le nouveau Venezuela, elle creuse tout simplement sa propre tombe politique. Elle n'a tout simplement pas compris qu'un tsunami social avait traversé le Venezuela.
Un tsunami social plus fort que tout le reste. En effet, peu importe l'inflation, la dévaluation, le taux de délinquance et de criminalité, la pénurie de certains biens, l'inefficacité administrative, la corruption, l'économie brinquebalante (selon les canons orthodoxes), peu importe tout cela, la majorité de la population s'est trouvée en symbiose avec un président au charisme exceptionnel qui parlait son langage et a fait d'elle un sujet politique à part entière.
Car durant ce parcours de quatorze ans, le chavisme a donné à cette population auparavant déshéritée non seulement des biens matériels (l'accès à un logement, à des études, à des services de santé, etc.), mais aussi le bien non matériel le plus cher : le droit à l'existence, le droit à l'expression. En un mot, la dignité.
Vers plus de pragmatisme ?
Quelles sont les perspectives ? En l'absence de la forte personnalité de Chávez, il est indéniable que le chavisme politique est susceptible de se transformer peu à peu. Même s'il maintient en façade une rhétorique radicale, il pourrait connaître une évolution graduelle vers plus de pragmatisme. Un chavisme sans charisme, mais plus réaliste, en quelque sorte. Si tel était le cas, le Socialisme du XXIe siècle se ferait moins socialiste, la Révolution bolivarienne se ferait moins révolutionnaire (mais l'étaient-ils en réalité ?).
En réalité, tout cela n'est finalement que secondaire. Quoi qu'il advienne sur le terrain politique, le chavisme social, celui du peuple vénézuélien, est là pour rester.
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