L’armée égyptienne et les frères musulmans : le compromis
Au fur et à mesure que les jours et les semaines passent, le général Abdel Fatah Sissi commandant en chef de l’armée égyptienne et ministre de la défense du nouveau gouvernement formé après le coup d’état du 30 juin, constate qu’il s’est engagé dans la mauvaise voie et que toutes les issues se ferment devant lui.
Dire qu’il ne s’attendait pas à une réaction aussi brutale et aussi motivée des Frères Musulmans, des gens décidés à affronter tous les défis, même les tirs à balles réelles des forces de l’ordre, dire que le général Sissi n’avait pas prévu un tel rassemblement des masses égyptiennes derrière le président déchu Mohamed Morsi c’est, à notre avis, manquer d’expérience politique et de lucidité.
Nul n’ignore aujourd’hui l’importance numérique et organisationnelle des Frères Musulmans en Egypte, une confrérie qui existe depuis plusieurs décades, bien hiérarchisée et dont certaines branches ont reçu une formation paramilitaire avancée et un endoctrinement activiste et extrémiste. Penser par conséquent qu’ils allaient vider les lieux sur de simples menaces d’hommes en tenu“ même armés”, après le lancement de quelques bombes lacrymogènes ou l’arrestation de quelques uns de leurs adeptes, c’était faire preuve d’une naïveté déconcertante. Ce sont des gens qui se considèrent comme des moujahidines, des soldats de Dieu, comme ils le disent, qui viennent pour mourir au nom d’Allah. On peut croire ce qu’on veut, à savoir qu’ils sont fous ou ne savent pas ce qu’ils font. Disons simplement qu’ils sont désespérés, souvent frénétiques, donc dangereux. Et n’oublions pas que c’est parmi ces adeptes motivés que la branche armée des Islamistes recrute des kamikazes.
Le général Sissi semble actuellement quelque peu perdu et désemparé. Contrairement au chef de l’Etat intérimaire, Adyl Mansour et du chef du gouvernement, Hazem Beblawi beaucoup moins loquaces, il agit comme s’il était le seul et l’unique patron de l’Egypte. Tous les autres sont de simples figurants. C’est toujours lui en effet qui parle à la télévision, qui s’adresse à la presse et qui entreprend actuellement les contacts avec les diverses personnalités nationales et étrangères (Chefs de partis politiques égyptiens, Oulémas, émissaires américains, européens et arabes à la recherche d’une solution pour la sortie de la crise.
Le nouveau pouvoir semble se noyer et se perdre entre tergiversations et contradictions. Pendant qu’on parle de poursuites contre Morsi à la suite de graves accusations formulées contre lui, on laisse planer l’éventualité d’une relaxe de l’intéressé à certaines conditions. D’un coté on reproche aux Etats Unis leur soit disant amitié avec les frères Musulmans et d’un autre, on leur demande d’exercer plus de pression sur cette même confrérie. Ce recul en arrière et ce changement de tactique marque-t-il un tournant dans la crise égyptienne ? Le journal le monde du 5 Août parle “de malaise et d’impuissance des occidentaux face à la crise égyptienne “ et ajoute :
“Au Caire, les émissaires se succèdent mais rien ne semble pouvoir faire sortir l'Egypte de l'impasse dans laquelle elle se trouve depuis la destitution par l'armée du président Mohamed Morsi. Après les Européens Catherine Ashton et Bernardino Leon, l'Africain Alpha Oumar Konaré puis l'Allemand Guido Westerwelle, suivi du sous-secrétaire d'Etat américain Nicholas Burns, la capitale égyptienne s'apprête à recevoir, lundi 5 août, deux sénateurs américains, les républicains John McCain et Lindsey Graham ”
En dépit de ce qu’une certaine presse laisse circuler à savoir que les Frères Musulmans sont divisés et peut être prêts à faire des concessions, la plupart de leurs dirigeants contactés par les émissaires étrangers, sont inflexibles et insistent sur un certains nombre de points qu’ils considèrent comme étant préalables à toute discussion, en particulier :
• Retour à la légitimité constitutionnelle et rejet du coup d’Etat
• Relaxe de Mohamed Morsi
• Réouverture des station de télévision des Frères Musulmans fermées par l’armée
Des voix se lèvent actuellement partout dans le monde pour demander la libération du président déchu. Le président Français, la chancelière allemande, le président Obama et plusieurs autres personnalités du monde politique conseillent au général Sissi de ne plus faire usage de la force contre des manifestants pacifistes. Le nombre de morts et de blessés dans les rangs des Frères musulmans a terni l’image des responsables égyptiens qui ne savent plus où donner de la tête pour sortir du gouffre où ils se sont mis. Les services de renseignements militaires égyptiens, d’habitude très performants, se sont avérés cette fois défaillants. La plupart des observateurs estiment que la décision de destitution d’un gouvernement issu des urnes était mal réfléchie, irresponsable et prise dans la précipitation, sans avoir mesuré toutes les conséquences qui pouvaient en découler.
Les militaires et leurs associés civils s’étaient évertués à reprocher aux Islamistes leur manque d’expérience et leur volonté à imposer à la société égyptienne une application stricte de la charia dont beaucoup de jeunes n’en voulaient pas. Pour les opposants de Mohamed Morsi l’Egypte, sous l’égide des Frères musulmans, se dirigeait vers une catastrophe inéluctable. A cette allégation les amis de Morsi rétorquent que leur confrérie a hérité d’un pays à la dérive. Selon eux les chiffres publiés avant leur arrivée au pouvoir faisaient état de 41℅ des 84 millions d’Egyptiens vivant sous le seuil de la pauvreté et de 47 ℅ de chômeurs entre 20 et 24 ans. En réalité les militaires ne voulaient pas des frères Musulmans qui sont une menace pour leurs privilèges et leurs paradis fiscaux.
Nous somme donc là en face d’un véritable dilemme d’où personne ne sait encore comment en sortir .Ce qui est en tout cas certain c’est que ce n’est pas par la force qu’on aboutira à une solution définitive et durable. Le temps des dictatures est révolu. Du moins nous l’espérons. Pour qu’il n’y ait à notre avis ni vainqueur ni vaincu il serait souhaitable et sage, si on doit exiger du président Morsi de démissionner, de demander également au général Sissi de prendre sa retraite. Un gouvernement d’union nationale pourrait alors être formé et de nouvelles élections organisées et ce, en dehors de toute immixtion des militaires qui doivent se consacrer désormais à la défense territoriale du pays tout en restant soumis aux mêmes lois et mêmes devoirs que l’ensemble de citoyens. Mais ont-ils le courage et la sagesse d’accepter cette sentence ?
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