L’armée turque : un demi-pas en avant et trois huitièmes en arrière
Les portées politiques de l’incursion turque dans le nord de l’Irak.
L’armée turque constitue l’obstacle principal aux négociations visant une solution pacifique avec les Kurdes. Elle est obsédée par une victoire grandiose. Depuis longtemps, cet « establishment » avait le dernier mot pour gérer ce « conflit sans fin ». Depuis longtemps, elle ne parle que des victoires. Toutefois, l’arrivée de M. Recep Tayeb Erdogan (civil) à la tête du gouvernement a fait changer les choses. Il a déjà triplé son score électoral l’année dernière dans les zones peuplées majoritairement par les Kurdes. De l’autre côté, le parti du PKK évolue et change sa stratégie. Dans cet article, disons dans notre étude, nous publions son projet ou ses conditions pour déposer ses armes et intégrer la vie sociale. Nous parlons aussi du projet de Monsieur le Premier ministre turc envers les Kurdes qui sera dévoilé le 6 avril prochain à Dyar Bakr dans le sud-est de la Turquie. Les prémices de l’espoir sont peut-être là.
1. L’aspect proprement dit militaire
1a. La première surprise : une offensive plus tôt que prévu !
Étonnante cette intervention de l’armée turque dans le nord de l’Irak. Le 15 février, la police et l’armée turques étaient en alerte maximale afin de prévenir tout débordement possible à l’occasion de la neuvième année d’emprisonnement d’abdallâh Öcalan, le secrétaire général du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Le 16 février, la publication, dans le journal El-Hayat, imprimé à Londres, de l’essentiel d’une conférence organisée par le Centre des études et des recherches stratégiques appartenant à l’état-major de l’armée turque, a eu pour thème « L’éradication des moyens financiers et le soutien idéologique du Parti des travailleurs du Kurdistan- le PKK ».
Le 18 du mois, le journal turc Zaman, proche du gouvernement, déclare que l’armée turque est maintenant prête pour effectuer une opération terrestre en Irak. L’auteur, Ercan Yavuz, donne même le milieu de mars comme la date du déclenchement de cette incursion qui sera, selon lui, suivie par une série de raids aériens afin d’anéantir définitivement (coup final - le cahot) les rebelles du PKK. Et, selon le même journal, plusieurs milliers de soldats ont pris position sur des collines stratégiques telles que Cudi, Gabar, Küpeli, Tanian et Kato utilisées habituellement, selon l’armée turque, comme point de passage par les rebelles du PKK pour s’infiltrer en Turquie.
Mais à la grande déception des médias turcs, l’offensive terrestre a eu lieu plus tôt que prévu. Secret et surprise militaire exigent. Ainsi, entre le 21 et le 29 février , plusieurs milliers de soldats dont 3 000 commandos ont déferlé sur les frontières vers le nord de l’Irak à une profondeur maximale de 20 km, avec un soutien massif de l’artillerie, de l’aviation et surtout ils ont bénéficié des « renseignements en temps réel » sur le plan logistique des positions des PKK de la part de l’armée américaine. Plus de 520 nouvelles cibles ont été visées. L’armée turque estime avoir détruit, totalement ou partiellement 312 positions. Quant aux pertes humaines, elles sont importantes, au total, plus de 300 vies humaines ont été perdues, dont 270 combattants du PKK et 30 soldats selon le communiqué de l’état-major turc alors que le site proche du Parti des travailleurs du Kurdistan a annoncé la mort de 130 soldats turcs et 5 PKK.
En ce qui concerne l’acheminement du pétrole irakien traversant le Kurdistan vers la Turquie, l’armée turque a rassuré les compagnies et les consommateurs, en affirmant que les raids aériens et les bombardements ont été soigneusement effectués avec précision afin d’éviter d’endommager les pipelines. Donc le pétrole coule à flot, mais son prix continuera à grimper inexorablement.
1b. Le pire a été évité le 22 février
Selon la chaîne NTVMSNBC, le Parlement du Kurdistan d’Irak, a demandé à la Turquie, le 26 février la fermeture de ses bases militaires qui se trouvent dans cette région (à l’intérieur du Kurdistan d’Irak). En effet, lors de l’offensive de 21 février, des véhicules appartenant au bataillon blindé turc basé en Bamerni ont tenté de quitter leur base sans l’autorisation des autorités locales (kurdes). Fouad Hussein, le porte-parole de l’administration régionale a déclaré que les peshmerga (forces kurdes) ont été mis en alerte et ils ont eu l’ordre de resserrer le contrôle autour de ces bases. Selon lui, les blindés turcs ont été contraints de rebrousser chemin et retourner dans leurs camps une demi-heure après leur sortie. Un petit accrochage a eu lieu entre les deux parties, mais la Turquie a immédiatement démenti les allégations du responsable kurde. Quoi qu’il en soit un carnage a été évité.
L’ironie de l’histoire c’est que les 3 200 soldats turcs, qui campent à l’intérieur même de cette région depuis 1997, y sont dans le cadre d’un accord dit « Arrangement du contrôle du cessez-le feu » élaboré sous l’égide des Américains et des Kurdes de l’Irak (ces derniers ont donné leur accord malgré eux) afin d’éviter, à l’époque, de nouveaux combats fratricides entre les factions du Kurdistan Democratic Party (KDP) présidé par Massoud Barzani, devenu, ultérieurement, président de la région semi- autonome, et du Patriotic Union of Kurdistan (PUK) présidé par Jallal Talabani, qui est actuellement le président de la République d’Irak.
Ces soldats sont répartis sur plusieurs bases en Bamerni, Batufa, Kanimasi et Dilmentepe
La Turquie en acceptant d’envoyer ces soldats comme force d’interposition entre les frères kurdes a fait d’une pierre deux coups. D’une part, elle empêche l’affrontement entre les frères kurdes, ce qui a, pour elle, un intérêt indéniable sur le plan diplomatique et, d’autre part, elle assure une présence quasi permanente à l’intérieur même de la région ce qui lui confère la possibilité de décourager ou de saboter toute tentative d’émergence d’un État kurde indépendant.
1c. La deuxième surprise : un retrait plus tôt que prévu !
Le 22 février, le président Bush a salué l’incursion de l’armée turque. Le Pentagone est le principal et peut-être l’unique fournisseur des « renseignement en temps réel » sur les mouvements et les positions des combattants du PKK. Toutefois, quelques jours plus tard les États-Unis commencent à s’inquiéter de l’éventualité de l’élargissement de l’hostilité entre ses deux alliés régionaux.
En effet, Washington, craint de ne plus maîtriser la situation si son allié turc est enlisé dans une confrontation beaucoup plus ouverte avec son deuxième allié, les peshmergas du Kurdistan. Cette crainte est doublement justifiée compte tenu de son expérience internationale d’une part, et de l’aventure de son cow-boy du Texas dans le bourbier irakien, d’autre part. [4 000 soldats sont officiellement morts, plusieurs milliers blessés, plusieurs milliers de désertions et un gouffre financier de 3 000 milliards de dollars. À titre informatif, la totalité des dettes des pays en voie de développement (180 pays) est de 2 100 milliards de dollars selon la banque mondiale]. Pas de commentaire.
De ce fait, le locataire provisoire du bureau ovale à la maison blanche et son Secrétaire d’État à la Défense ont lancé plusieurs appels à la Turquie afin qu’elle « quitte l’Irak le plus vite possible ». Le ministre de la Défense turc, Vecdi Gönül, a rétorqué « la Turquie restera dans le nord de l’Irak le temps qu’il faut ». Mais lors d’une rencontre avec son homologue états-unien, Vecdi Gönül, a rassuré son hôte en affirmant que la Turquie « n’avait l’intention d’occuper aucune zone » du Kurdistan d’Irak. Le chef de l’armée turque et l’incontournable de toute décision à ce sujet, le général Yasar Büyükanit, s’est refusé à son tour à s’engager à fixer un calendrier de retrait. Pour lui, « Un délai rapide est une notion relative », « Il peut s’agir parfois d’un jour et parfois d’un an ». En bref, la langue du bois.
1d. Comment peut-on alors interpréter la brusque décision de l’armée de se retirer sans qu’il y ait une vaste préparation de l’opinion publique, du milieu politique ou des médias ?
Beaucoup, beaucoup de monde en Turquie, hommes politiques, hommes de la rue et une partie du média, sont convaincus que le retrait du territoire irakien s’est fait sous la pression du président Bush et son secrétaire d’État à la Défense sur le gouvernement et l’armée turcs.
Le communiqué de l’état-major annonçant la fin de l’offensive et le retrait des troupes dans le pays, n’a pas pu effacer l’ambiguïté sur les conditions ayant entouré la personne qui a donné l’ordre du retrait ou les facteurs ayant provoqué une telle décision. C’est la raison pour laquelle les différents commentateurs turcs ont qualifié cette décision de « bombe ».
Le général Yasar Büyükanit, dans un entretien exclusif accordé au journal turc Milliyet a coupé court en répondant aux interrogations du journaliste : « la décision du retrait, comme l’ordre du départ des opérations militaires, ne dépend que de lui et ni l’administration politique ou un pays allié (États-Unis) ne peut prendre une telle décision ». Autrement dit, Il est le seul décideur dans le pays. Cette déclaration a renforcé les rumeurs qui circulaient déjà disant que le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan n’était pas tout à fait au courant de l’ensemble des circonstances ayant abouti au retrait des troupes. Il a ajouté que « la décision du retrait a été prise longtemps avant la visite de Robert Gates à Ankara ». « En réalité, certaines unités avaient déjà quitté le Kurdistan depuis le mercredi 27 février, c’est-à-dire deux jours avant que le communiqué de l’état-major n’annonce la fin des opérations terrestres ». Et le général ajoute « si nous avons fait ainsi, c’est dans le but d’éviter que les Kurdes attaquent nos soldats lors de leur retrait ».
D’autre part, le Chef de l’armée a apporté également un éclairage supplémentaire en ce qui concerne la qualité de communication entre lui et le Premier ministre : « M. Erdogan était au courant de l’ensemble de l’opération y compris la décision du retrait, par contre, il ne savait pas quand ni où exactement se déroulerait le retrait ». En fait, « nous n’informons pas le gouvernement des petits détails ». Et il a ajouté, si le Premier ministre, a dû modifier son discours, en déclarant que les combats continuaient encore, c’est tout simplement pour des raisons de sécurité et pour assurer le retour des troupes en toute sécurité.
Quant à l’annonce du retrait de l’armée quelques heures après l’arrivée de Robert Gates à Ankara, le général Büyükanit a répondu « ce n’était qu’un simple hasard » et « nos démarches militaires ne dépendent pas de l’arrivée ou non de M. Gates », « la décision du retrait est prise pour des raisons uniquement militaires », « cela signifie, sans l’influence des États-Unis ». Une fois de plus c’est la langue de bois.
Toutefois, selon des informations obtenues par le journal Milliyat, le président G. W. Bush est intervenu directement auprès d’Ankara, lorsqu’il a été informé de l’absence de réponses fermes à ses interrogations concernant les objectifs finaux de l’opération terrestre, les pourparlers supposées avec les Kurdes du nord de l’Irak, la position envers l’Afghanistan et la décision relative aux boucliers anti-missiles (projet inutile, mais trop cher au président). Le journal a souligné que Robert Gates a fait comprendre à ses interlocuteurs turcs la possibilité d’interrompre la coopération en matière de « renseignement en temps réel », trop cher à l’establishment militaire, si Ankara ne donne pas des réponses adéquates à l’administration américaine.
1e. L’opposition parlementaire turque proteste
Le brusque retrait a également fait l’objet d’échanges durs entre le chef de l’armée et les deux partis de l’opposition, le Nationaliste Movement Party (MHP) et le Republicain Peopel’s Party (CHP). Deniz Baykal, le leader de ce dernier, a même demandé au général de ne plus se mêler de la vie politique et il a qualifié ses déclarations envers les politiques d’insultes, a rapporté le CNN Türk le 8 de ce mois. M. Bayakal n’a pas manqué d’apporter son lot de critiques contre Robert Gates, car ce dernier, non seulement a réclamé que l’opération turque soit limitée, mais en plus il a menacé d’imposer des sanctions à la Turquie.
Quant au porte-parole du parlement Köksal Toptan, il a considéré que les appels insistants des Américains pour que les Turcs quittent rapidement le nord de l’Irak sont motivés par le désir d’envoyer le message au monde que l’intervention de l’armée turque est sous leur contrôle.
Interrogé sur le même sujet, par la TRT, Turkish Radio and Television Corporation, M. Toptan a répondu avec tristesse que : « Les Américains ont tort de donner l’impression que le retrait de l’armée s’est déroulé à leur demande ». Et lorsqu’on le questionne sur le but des responsables états-uniens de se comporter ainsi, le porte-parole du parlement est franc : « J’imagine qu’ils voulaient envoyer un message au gouvernement irakien central d’une part, et à l’administration régionale du Kurdistan du nord de l’Irak d’autre part, en disant que, si vous êtes en colère contre nous car nous aidons les Turcs, ces derniers se retireront dès que nous le leur demanderons ». En bref, les Américains tentent de tirer des avantages dans leur propre intérêt, a conclu M. Toptan[6].
Pour l’analyste Jonayit Ôlsfir, le retour du 29 février va ouvrir une nouvelle fissure dans les relations américano-turques aussi importante que celle ouverte par le refus du Parlement d’utiliser les territoires du pays le 1er mars 2003 pour envahir l’Irak et ce retrait a mis en évidence deux vérités amères : la capacité des Américains de sécher les ruisseaux quand ils veulent et l’absence de coordination entre l’administration civile et l’Establishment militaire. Ce qui a poussé un observateur à commenter cette situation en disant que : « si le retrait est vraiment le fait des pressions états-uniennes, cela signifie que la Turquie est tombée dans le piège américain. Alors que, s’il est purement une décision turque, cela signifie que le pays est tombé dans le piège qu’il s’est tendu à lui-même ».
Enfin, le général Yasar Büyükanit et le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan ont nié toute interférence ou influence de la part des Américains dans la décision du retrait des soldats. Le Premier ministre a même déclaré qu’il quittera la vie politique s’il constatait l’existence d’une telle pression !.
2. L’aspect politico -diplomatique
Dès les premiers heures de l’intervention militaire, les autorités civiles turques ont mis leurs homologues irakiens au courant de l’objectif habituellement déclaré, c’est-à-dire, déloger les
combattants du PKK Ainsi, M. Erdogan a téléphoné à son homologue irakien M. Nour el Dine Maliki. Ce dernier, politiquement fragile, n’a pas tardé à quitter Bagdad vers Londres afin de compléter ses analyses médicales. De toute façon, M. Maliki ne dispose d’aucun moyen de pression sur les responsables de la région du Kurdistan, pendant ce temps-là, Abdallâh Gül, le président turc a informé son homologue irakien, M. Jallal Talabani (Kurde) de la situation et même il l’a invité pour une visite d’État.
Ce dernier, qui a effectivement accepté cette invitation car il l’attendait depuis longtemps, n’a pas pu se rendre en Turquie vu les circonstances. Néanmoins, juste une semaine après le retrait de l’armée turque, M. Talabani a effectué entre les 8 et 9 mars un « visite d’État », qui a été transformée en « visite de travail » étant donné que l’armée turque l’a boycotté et a refusé de le recevoir et d’assurer sa sécurité sur les territoires turcs comme les coutumes diplomatiques l’exigent entre les États. À cet égard, rappelons que ces militaires ont également refusé d’assister à l’investiture présidentielle d’Abdallâh Gül lors de son élection l’année dernière.
2a. Vers un dénouement du problème
D’abord les trois acteurs qui sont concernés par ce conflit sont : la Turquie (administration civile et l’establishment militaire), les Kurdes (J. Talabani, M. Barazani et les PKK) et les Américains. Nous n’abordons pas le rôle du gouvernement central irakien car il est forcé de s’effacer. Son rôle est occupé, plutôt confisqué par les forces de l’invasion qui gèrent le pays.
2a.1La Turquie
On peut distinguer deux points de vue tout à fait opposés.
2a1a. L’armée
C’est l’obstacle principal aux négociations. Elle n’a qu’une seule obsession, c’est de marquer une grandiose victoire qui sera reconnue par le monde entier. Cette victoire a été annoncée depuis longtemps. Plus de 24 opérations ont été lancées contre les combattants du PKK dans le nord de l’Irak dont les plus importantes sont celles de 1995 et 1997 et en plus avec le soutien des partis kurdes en Kurdistan d’Irak. Toutefois, l’armée a sans doute échoué, d’où les récents et précieux conseils de Robert Gates « les mesures, les actions militaires seules ne résoudraient pas le problème du terrorisme pour la Turquie ». Soulignons que l’armée a une place particulière au sein de l’État et a son mot à dire, elle bénéficie de l’indépendance, elle est spécialiste des « coups d’États » et surtout elle est proche de la politique états-unienne. Aujourd’hui, l’armée fait une sorte de mea culpa et semble chercher une solution et essaye de mieux communiquer, d’analyser les erreurs du passé et de soigner son image.
C’est dans ce cadre que le Centre des études et des recherches stratégiques appartenant à l’état-major a tenu un séminaire sous le thème « L’éradication des moyens financiers et le soutien idéologique du Parti des travailleurs du Kurdistan - le PKK ».
L’intervention du général Büyükanit et de son adjoint le général Saïgon est critique envers son propre « establishment », à l’égard du gouvernement civil, et de l’Union européenne, mais a soigneusement épargné les États-Unis.
Les deux généraux ont cité plusieurs erreurs commises par l’armée et par l’État, que le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a su exploiter de 1984 à aujourd’hui.
Les principales valeurs que les responsables turcs (militaires et civils) ont négligées sont les droits de l’homme, la démocratie, la liberté et la paix. Les deux généraux déclarent que ces valeurs sont maintenant utilisées par les terroristes du PKK contre la Turquie. Ils finissent par avouer que les responsables du pays n’ont pas su être à la hauteur des problèmes, qu’ils ont perdu l’initiative et même qu’ils sont sur la défensive.
Le chef du staff de l’armée n’a pas oublié au cours de ce séminaire de critiquer ouvertement et durement le projet de loi « Pardon et Repentance » que le cabinet de M. Erdogan est en train d’élaborer pour contrebalancer le projet proposé par le PKK relatif au dépôt des armes (le projet du PKK sera détaillé un peu plus bas).
Le général considère que la préparation d’une telle loi est une grande erreur, car elle va donner confiance et espoir de victoire aux partisans du parti du PKK. Pour lui, c’est le contraire qu’il faut faire. Il a également exprimé son inquiétude au sujet du débat qui se déroule actuellement au sein du parlement concernant la « constitution civile turque » et la volonté du gouvernement et des députés d’apporter certains amendements ou modifications afin de la moderniser. Pour lui, cette modernisation va légaliser l’ « organisation terroriste ». De toute façon, le fait que le sujet soit débattu au Parlement présente aux yeux du général un risque certain de reconnaissance légale du PKK.
2a1b. Le gouvernement de Monsieur Recep Tayyip Erdogan
Depuis l’arrivée du parti « Justice et croissance » au pouvoir, les yeux ont été tournés vers lui dans l’espoir d’apporter ou de lancer une initiative forte pour une solution pacifique et durable au problème. Lors des dernières élections législatives de 2007, le score de M. Erdogan a été multiplié par trois dans les zones à majorité kurde par rapport aux élections précédentes. Lors d’une rencontre avec un groupe d’intellectuels kurdes et des turcs en 2005 à Diyar Bakr, la capitale régionale du sud-est de la Turquie à majorité kurde, le Premier ministre a avoué avoir commis une série d’erreurs contre les Kurdes et il a déclaré : « le problème kurde est une question qui touche toute la Turquie ». Il a promis de prendre l’initiative pour une solution inspirée de la démocratie et basée sur la loi ». « La Turquie a commis des erreurs dans le passé et a vécu des moments difficiles comme n’importe quel État ».
2a2. Les kurdes
Quant aux Kurdes, aux Américains et le gouvernement irakien, nous avons détaillé leurs positions dans un article détaillé et précédemment publié sur le blog aid97400.lautre.net sous le thème (Bruit des bottes... Lien direct : http://aid97400.lautre.net/spip.php ?article106).
3. Les prémices de l’espoir
Les deux soucis de la Turquie avec la région semi - autonome du Kurdistan d’Irak sont :
L’article 140 de la constitution irakienne.
La présence des combattants du Pkk en Kurdistan d’Irak.
3a. L’article 140 de la constitution irakienne
Imposée et votée sous l’occupation des Américains, elle appelle obligatoirement à un référendum à Kirkuk avant le 31.12.2007 afin de savoir si la population (Arabes, Kurdes et Turkmènes) souhaite intégrer ou non la région du Kurdistan du nord de l’Irak. Kirkuk est une ville qui flotte sur les puits de pétrole les plus riches du monde et dont la qualité est excellente. Les Kurdes souhaitent l’intégrer dans leur région, ils voient en elle leur propre Jérusalem, c’est-à-dire, la future capitale de leur région.
Cependant, la richesse de cette ville inquiète les Turcs, qui craignent que cette richesse accorde suffisamment des moyens financiers aux Kurdes autonomistes, qui avec le temps seront alors encouragés à devenir petit à petit indépendants. Pour eux, cela constitue un risque majeur, car il peut pousser les Kurdes de la Turquie à en faire autant. À ce sujet, il faut aussi noter que le gouvernement irakien central en dépit de ses difficultés voit d’un très mauvais œil la perte de cette ville. Très récemment, M. Chahrastani, ministre du pétrole a exprimé sa volonté et celle du gouvernement de Bagdad de développer et d’améliorer les puits de cette ville.
3a1- Réferundum repoussé
La date du référendum fixée dans la constitution a été repoussée de six mois après le vote du Parlement régional kurde sous la bénédiction (pression) états-unienne. Il est fort probable que la nouvelle date, qui est a priori en juin 2008, sera de nouveau reportée grâce toujours à Washington et avec l’accord de l’ONU bien entendu. De toute façon, la Turquie fera tout, y compris par la force, pour faire avorter ou casser l’application de cet article. Les Kurdes de l’Irak de leur côté ayant compris la finesse et la fidélité de leur allié à Washington ont fini par adopter une autre position.
3a2. Kirkuk, n’est plus une priorité
Ainsi, le 2 mars, une semaine avant sa première visite officielle à Ankara, le président Jallal Talabani a accordé un entretien à Genkiz Jandar du journal turc Hurriyet dans lequel il a été interrogé sur la solution qu’il propose afin de résoudre la question du Kirkuk. M. Talabani a répondu : « Pour résoudre le problème, il nous faut l’accord des Arabes, des Kurdes et des Turkmènes. Il me semble que le chemin est long. La restitution et l’intégration de Kirkuk dans la région du Kurdistan d’Irak n’est plus une priorité pour nous. Il faut également redessiner les limites de cette ville et il faut réaliser des modifications sur les frontières kurdo-turques ». Cette question ne va pas occuper une grande place dans ses pourparlers des 8-9 mars avec son homologue turc car sa réponse est claire et sa décision est arrêtée, a conclu J. Talabani.
3b. La présence des combattants du PKK en Kurdistan d’Irak.
A ce sujet, le président irakien a répondu que ces éléments se trouvent dans la montagne Qandil, zone montagneuse inaccessible où même les Etats-Unis ne peuvent les déloger. Par contre, il est d’accord avec Washington, Bagdad et Erbil pour resserrer le contrôle sur ces éléments et exercer des pressions afin de les obliger à déclarer un cessez-le-feu.
Dans un autre entretien accordé le même jour, 2 mars, au journal Milliyet, il a déclaré que Massoud Barazani le président de la région du Kurdistan avait répété que les combattants du PKK devaient soit déposer leurs armes, soit quitter la zone.
De son côté, le Parti des travailleurs du Kurdistan a annoncé pour la première fois, depuis sa création en 1984, qu’il acceptait de se séparer de ses armes et de cesser toute hostilité avec le gouvernement turc, mais sous conditions, que nous reproduisons ci-après :
3b1. Projet de déposer des armes, proposé par le Parti des travailleurs du Kurdistan (le PKK) daté de 30.11.2007
- Une reconnaissance constitutionnelle de l’identité du peuple kurde et des autres ethnies ou des autres minorités existantes dans le pays, dans le cadre d’une identité universelle regroupant les différents composants de la République turque.
- Une reconnaissance de la langue kurde comme deuxième langue du pays. Autoriser et assurer les droits de l’enseigner, avec le respect des droits linguistiques, culturels des autres minorités...
3. Accepter la participation des Kurdes à la vie politique du pays et assurer la liberté de penser, d’expression...
4. Annoncer une amnistie générale et la libération de tous les prisonniers politiques y compris des leaders du PKK.
5. Normaliser la vie dans les zones habitées par les Kurdes par la réduction du nombre des soldats et des unités de forces spéciales basées dans le sud-est du pays. La dissolution des milices pro-gouvernementales et la permission aux émigrés et aux « éloignés » de revenir dans leurs villages...
- Une décentralisation accrue.
- Se mettre d’accord sur un plan déterminé, pour que les combattants du PKK puissent déposer leurs armes et intégrer la vie sociale et politique du pays (la Turquie).
Le gouvernement turc, quant à lui, pour le moment, n’est prêt à amnistier que les éléments n’ayant pas participé aux actions guerrières. Pour les autres combattants, c’est le Non qui domine. Toutefois, il se peut que les choses évoluent autrement dans les semaines à venir.
Le président Talabani propose son bon office d’intermédiaire entre le gouvernement turc, le parti du PKK et le gouvernement irakien à condition qu’on le lui demande. Il a rappelé son expérience avec le défunt le président turc Turgut Ozal à cet égard. Il a réitéré la volonté des éléments armés d’abandonner leurs armes soit aux Américains, soit au gouvernement irakien à condition qu’il y ait une amnistie générale.
4. Peut-être vers une issue honorable : le 6 avril 2008
Le Premier ministre Recep Tayeb Erdogan s’apprête à annoncer un ensemble de mesures démocratiques en faveur des Kurdes turcs a rapporté le site proche du président Talabani pukmedia. com. daté de 11 mars.
En effet, M. Erdogan va effectuer une tournée dans le sud-est du pays au cours de laquelle il va dévoiler à Dyar Bakr, le 6 avril prochain, une série de mesures et de réformes politiques, économiques et culturelles.
Selon le site Türk Khabar du 11 mars, M. Erdogan a déclaré : « nous ne pouvons pas progresser dans la lutte contre le terrorisme sans faire une vraie avancée sur le plan politique ».
M. Mohamed Metinaz, consultant auprès du Premier ministre, qui vient d’achever une tournée à Dyar Baker, préparant la visite du Premier ministre a déclaré que ses rencontres avec les Kurdes étaient encourageantes, il a constaté que ceux-ci voient en M. Erdogan l’homme de la situation, l’homme qui peut résoudre leurs problèmes et qui est capable de convaincre les éléments du PKK de quitter la montagne et se fondre dans la vie. Tout le monde attend son arrivée pour commencer à appliquer ses réformes. Toutefois, Me Metinaz a souligné que le Premier ministre n’a pas une baguette magique permettant de résoudre complètement la question kurde, mais que les propositions qui vont être faites à Dyar Baker sont très importantes car elles feront preuve de beaucoup d’ouverture en direction de la langue et de la culture kurde, et qu’il y aura de larges réformes économiques dans l’intérêt de cette région.
Il a ajouté que le Premier ministre est convaincu de la nécessité d’accorder aux Kurdes plus de droits et d’améliorer leur situation sociale et économique. Et il a conclu que ces mesures étaient en harmonie avec les appels et les souhaits de M. Robert Gates qui a incité le gouvernement turc à privilégier ces mesures aux actions militaires. Notons ici, la subtilité de M. Metinaz quand il cite le secrétaire d’Etat américain à la Défense comme témoin en faveur des mesures non militaires. Cette citation n’est probablement pas innocente, elle a pour but d’envoyer un message fort en direction de l’establishment militaire.
5. Pour un jour historique
On assiste, depuis peu de temps, à une prise de conscience réelle chez les hauts responsables civils turcs et à l’apparition d’une vraie volonté d’aboutir enfin à une solution juste à la question des Kurdes. On assiste également à un changement de méthode ou plutôt de stratégie chez les dirigeants du PKK.
Si les mesures tant attendues seront à la hauteur du problème qui traîne depuis presque 100 ans, cela signifierait qu’une page douloureuse pour une partie du Proche-Orient sera fermée, et une autre page pleine d’espoir et de paix s’ouvrira.
Espérons que le 6 avril prochain sera un jour historique pour les peuples, kurde et turc, disons, au seul peuple.
France. Membre de l’association « Amis du monde diplomatique » de la Réunion
Saint-Pierre, le 24.03.2008.
6. Références
Nb :1. La traduction des textes en anglais vers le français, qui est l’œuvre de l’auteur, est employée uniquement pour le besoin du texte.
2. La traduction des textes en arabe vers le français, qui est l’oeuvre de l’auteur, est employée uniquement pour le besoin du texte.
[1].Irak/Turquie : Toute opération turque en Irak « probablement vaine ». Rapport de la presse anglophone. Centre de réflexion Chathman House. 19.12.2007.
[2]. Président Talabani : Une amnistie générale plaidera en faveur du PKK à déposer les armes. Entretien avec le journaliste turc Yasmin Joncar. Publié en anglais. Pukmedia. 26.12.2007.
[3].Turkey readies for ground operation. Ercan Yavuz. Todayszaman.com18.02.2008.
[4].Ground operation cames earlier than planned. Lale Saribrahmoglu. Todayszaman.com.23.02.2008.
[5].Gül invites Iraq’s Talabani to Turkey. Todayszaman.com 23.02.2008.
[6].And the army is in northen Iraq. Turkishdailynews.com. 23.02.2008.
[7]. Ground offensive launched into Iraq. Todayszaman.com 23 .02.2008.
[8]. Time for reform on the kurdish question. Turkishdailynews.com. 25.02.2008.
[9]. Turkey lands Iraq, US for anti-PKK stans. Todayszaman.com 27.02.2008.
[10]. The land operation : For how long and to what extent ? Turkishdailynews.com. 27.02.2008.
[11]. Gov’t, military dny US link in quick withdrawal. Turkishdailynews.com. 03.03.2008.
[12]. Pourquoi le retrait turc ? En arabe. Mohamed Nour Eldin. Tayyar.org. 03.03.2008. Traduit en français par Fayez Nahabieh.
[13].Quand la Turquie se souvient d’une politique pleine des fautes. En arabe. Khaled Souleiman. Daralhayat.net. 03.03.2008. Traduit en français par Fayez Nahabieh.
[14]. Jallal Talabani casseur des barrières. Genkiz Jandar. Journal turc Hurriyet. Traduit en arabe par Délcha Youssef. Publié sur le site pukmedia le 03.03.2008.
[15]. Vers une nouvelle étape pour le PKK. Hassan Jamal. Journal turc Milliyat. Publié en arabe sur le site du Pprésident J. Talabani, pukmedia le 03.03.2008. Traduit par le site pukmedia.
[17]. Opposing the army. Mümtza’er Türköne. Todayszaman.com 09.03.2008.
[18]. Baykal asks not to step in between politicians. Todayszaman.com 09.03.2008.
[19]. Toptan : US tried to capitalize on troop withdrawal from N.Iraq. Todayszaman.com 09.03.2008.
[20]. Talabani : Qandil Mountain is Inaccessible, Even to US to Expel PKK. Pukmedia.com. 09.03.2008
[21]. Turkey, Iraq take step for long-lasting strategic ties. Todayszaman.com 09.03.2008.
[22]. Experts : Offensive not just military operation. Fatih Vural, Burak Kiliç et Selçuk Gültasli. Todayszaman.com 23.02.2008.
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON