L’art est mort, vive l’art !
En nommant une nouvelle ministre de la Culture, le gouvernement camerounais revoie sa copie. Il espère sauver un projet sur les droits d’auteurs, et imprégner notre marque sur le continent, voire diffuser nos valeurs culturelles à travers le monde. Vingt-cinq ans plus tôt, le Cameroun avait un Makossa qui faisait danser, un théâtre qui remplissait les tréteaux, une culture qui se passait de tout commentaire. Le président Biya était à l’Unesco ce mois-ci, pensant pouvoir faire du lobbying pour vendre l’image du Cameroun.
Le bazar culturel
« Des communistes nouvelle manière veulent supprimer les incitations matérielles destinées aux musiciens, aux réalisateurs de cinéma... », avertit M. Bill Gates. Cette présentation tombe à propos dans la manière dont les armées de lobbyistes gèrent les droits d’auteurs et leurs associations sectorielles multiples, régies en sociétés. Ces dernières ont pour but unique l’extension du pouvoir politique, dans le domaine de la propriété intellectuelle. Les luttes de pouvoir qui sévissent dans les différentes sociétés de cinéastes, de musiciens, de comédiens, etc., en disent long sur les préoccupations hégémoniques du pouvoir politique, sur la liberté de penser et de créer.
La culture, comme dans les régimes communistes, est surveillée. En revanche, la piraterie et ses technologies ont libre cours, sous l’autorité ambiguë de la police. Par ailleurs, le régime bureaucratique profite des retombées économiques administrées par cette gabegie culturelle. L’Etat est rentré dans une gratuité destructrice de la création et la maximisation du profit retiré de chaque usage de chaque œuvre. On pourrait croire, à lire la majorité des commentaires qui ont envahi le passage de Paul Biya à l’Unesco, que l’art camerounais peut se vendre et qu’une identité culturelle camerounaise existe.
Ce jour-là, à l’Unesco une coalition inhabituelle rassemblant tous les artistes de la diaspora camerounaise, premiers critiques dans l’ombre, de la politique menée par ce gouvernement sur le plan culturel, a, à la surprise générale, donné caution aux mécanismes maladroits de la gestion de notre patrimoine culturel. Le temps n’est pas si loin où Manu Dibango, se fit évincer en tant que président de la société représentant les droits d’auteurs des musiciens, par l’ancien ministre de la culture, ami personnel du président de la République. La solidarité entre artistes n’a donc pas su jouer, la musique de l’un n’ayant su adoucir les mœurs de notre ancien ministre écrivain. Peut-on m’expliquer au nom de quel intérêt, notre illustre saxophoniste jadis bafoué, revient, aujourd’hui, aux premières loges pour être présenté en tant que chantre de notre culture ! Il a fallu bien peu de temps pour que les rôles s’inversent.
Une musique sans rythme
Les artistes et leurs sociétés n’ont jamais produit un projet incitatif qui puisse leur donner un statut. De même, les députés n’ont jamais débattu de la loi sur les droits d’auteurs et droits voisins, dans la société où règnent les pirateries en tous genres. Le Cameroun, qui pourtant a su prendre exemple sur les institutions françaises, n’a pas songé à transposer les lois qui lui auraient été utiles dans le domaine de la protection de l’art. Il aurait également pu s’inspirer de la directive européenne homonyme (2001/29/CE). Il faut donner un enjeu à notre art, et assurer la définition d’un cadre juridique, pour ce qui est des logiciels de gravures, et des ventes des oeuvres d’art. IL faut également créer une banque de données spécialisées dans le contrôle de l’accès aux œuvres, ce qui dérouterait tous ces pirates qui agissent à ciel ouvert. Si notre art et notre culture veulent aller loin, il faut assurer la protection et la survie des créateurs des oeuvres de l’esprit. Au lieu d’investir dans l’armement, le gouvernement gagnerait à budgéter la mise en pratique des « mesures techniques de protection » (MTP), qui peuvent par exemple empêcher de lire un DVD sur une plate-forme non agréée. Le « renouveau » culturel, loin d’être une balade d’agrément, doit doter notre art de mesures exceptionnelles : subventionner les expositions, les spectacles, primer les artistes qui le méritent, faire un véritable label camerounais plein d’authenticité.
Moins de créateurs plus d’auteurs
Une différence fondamentale, l’absence d’authenticité, distingue la musique camerounaise de celle des autres pays qui possèdent une forte identité culturelle : Brésil, Antilles, Congo, Sénégal, l’Argentine. Notre musique ne peut jouir de l’appréciation d’une légitimité, car elle ne s’appuie que sur des usages musicaux déjà entendus. Le cas du « coupé décalé » est typique de la production musicale camerounaise qui s’est « ivoirisée ». Je me demande sur quels rythmes, Paul Biya pouvait bien danser ce soir là à l’Unesco. Le transfert d’universalité s’est mué en asservissement culturel. Quoi qu’il en soit, le Cameroun demeure particulier. Pourquoi les artistes n’ont-ils pas profité de la présence de Paul Biya pour exposer un cahier des charges des difficultés qu’ils rencontrent tant pour l’acquisition des visas artistiques, que pour leur représentativité dans la communauté hexagonale. Sous le paravent d’une vente de notre image, ces derniers ont préféré garder le silence et se montrer obéissants et serviles devant « Papa Paul » et « Maman Chantal » Biya. Cette façon de faire est tout à fait inappropriée et couarde au rôle de l’artiste comme porte-parole des sans-voix. Ces pratiques monolithiques limitent la liberté de penser et de créer, qui est le propre de l’artiste. Ces ambassadeurs d’œuvres ne se préoccupent que de leur seul profit. En effet, l’impact d’une telle soirée se serait avéré positif, s’il avait fait le tour des gazettes, blogs, plateaux de télévisions. Une vente ne s’improvise pas, elle se prépare. Le réseau de profiteurs qui a organisé cette pantouflade devrait se demander si elle a permis à la diversité des arts camerounais de se faire connaître et de s’exporter. N’aurait-on pu élaborer des stratégies plus efficaces, qui auraient créé une nouvelle qualité de relation entre le public de l’Hexagone et les artistes camerounais ? Quel est donc ce pays où 80 % des artistes crèvent de faim, vivent dans des squats et n’ont aucune chance, non plus, de se voir assurer leur promotion à l’étranger ?
Voilà donc le nouvel album de Paul Biya, dont il nous a présenté le titre- phare. Chapeau bas l’artiste !
AIME MATHURIN MOUSSY, PARIS
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