L’enfer du désarmement nucléaire
À eux seuls, les États-Unis et la Russie détiennent 26 000 têtes nucléaires soit environ 60 000 à 70 000 fois la puissance d’un Hiroshima. Est-ce bien utile ou agréable, camarades terriens ? Homo sapiens ferait bien de se débarasser plus tôt que tard de ce péril, de loin plus menaçant pour sa survie que le réchauffement climatique. Malheureusement, au-delà des voeux ardents et des multiples traités de non-prolifération et de réduction des arsenaux, l’humanité devra longtemps composer avec ses démons nucléaires, pour de bonnes et de mauvaises raisons.
Paix, Atome, Patrie
Toutes les nations directement ou indirectement impliquées dans la guerre de 1914-1918 s’étaient promises et jurées que « cette fois, c’est la dernière ! » Le conflit qui éclata 21 ans plus tard fut encore plus large, plus dévastateur et plus meurtrier. Guerre de sécession en Amérique, guerres napoléoniennes en Europe et guerres mondiales ne furent séparées que d’une vingtaine à une quarantaine d’années. Or, de 1945 à aujourd’hui, le monde a traversé 65 années avec les armes nucléaires, sans conflits directs et durables d’envergure continentale ou intercontinentale.
En réalité, la « destruction mutuelle assurée » a incité l’OTAN et le Pacte de Varsovie à constamment réfléchir plutôt qu’agir et empêché de facto un réchauffement de la guerre froide. Celle-ci était donc restreinte à d’intestins délires idéologiques - comme le stalinisme et le maccarthysme - à des jeux d’espionnage, à des postures diplomatiques et à des externalisations sur de lointains théâtres. Entre perpétuelles instabilités politiques et proxy wars endémiques, de nombreuses populations du sud (Asie méridionale-centrale, Moyen-Orient, Afrique centrale-australe et Amérique latine) souffrirent des sulfureuses instrumentalisations d’une guerre glaciale au nord.
Pour quelque vietnamien ou pour quelque angolaise des années 70-80, l’expression « guerre froide » évoque d’abord la mine terrestre qui lui a arraché un bras ou une jambe. Pour un américain ou pour une néerlandaise de la même époque, cette fameuse guerre froide évoque surtout quelque mission de l’agent 007 en Europe de l’est.
Comment aurait évolué la guerre froide en l’absence d’armes nucléaires dans les deux blocs : à la 14-18 ou à la 39-45 ? Cette confrontation est donc restée glaciale parce qu’elle impliquait des acteurs plus ou moins rationnels (États-Unis, France et Royaume-Uni vs URSS), parfaitement conscients des risques encourus - comme brièvement modélisé par le blog Nihil novi sub sole dans ses Réflexions rapides sur le nucléaire. Au Moyen-Orient, les capacités nucléaires de l’état hébreu ont poussé celui-ci et ses voisins égyptien, jordanien et syrien à calmer le jeu plutôt qu’à en découdre à coup de missiles et d’obus comme par le passé. Depuis qu’ils détiennent tous deux l’arme atomique, l’Inde et le Pakistan évitent les frictions militaires autrefois rituelles et s’en tiennent à des escalades purement verbales. On peut parier qu’Israël et l’Iran bientôt nucléaire normaliseront tant bien que mal leur relation, pour des raisons déjà expliquées dans Comment et pourquoi frapper l’Iranium ?
Sans toutefois empêcher des tensions diplomatiques, des conflits conventionnels ou irréguliers, la détention de l’arme atomique par deux ou plusieurs acteurs rationnels leur impose un plafond commun de létalité.
Cependant, des nations apparemment rationnelles ont régulièrement eu recours aux gaz de guerre en 1914-1918. À l’époque, ces substances n’étaient guère considérées comme des armes de destruction massive mais comme un arme supplémentaire parmi tant d’autres. Dans les années 80, l’état irakien utilisa fréquemment l’arme chimique contre les troupes iraniennes et contre des populations kurdes à l’intérieur de ses frontières. Le bombardement thermonucléaire de Hiroshima a certes aussitôt introduit des paradigmes stratégiques et philosophiques sans précédents mais il doit beaucoup à l’exclusivité mondiale de l’Amérique sur l’atome de guerre dans les années 40. Un tel acte aurait-il été envisageable cinq à dix ans plus tard, au voisinage d’une Chine et d’une Russie également nucléarisées ? Probablement pas. On le voit, lorsqu’un acteur irrationnel ou a priori rationnel dispose du monopole régional ou mondial sur une arme de destruction massive, les probabilités sont très fortes pour qu’il en use à volonté ou « une seule fois juste pour voir »...
Horreur conventionnelle et cauchemar non-nucléaire
Une arme stratégique (comme celle nucléaire) repose sur la dissuasion et ne doit donc jamais être utilisée en temps normal par un esprit rationnel, une arme tactique (comme un fusil d’assaut ou un missile de croisière) repose sur une utilisation en temps normal par quiconque. La preuve par les actualités : raids aériens/terrestres et opérations spéciales en temps de paix ou en période de conflit limité sont légion ; avions de combat, véhicules blindés et lance-roquettes se vendent comme des petits pains. À ce jour, des raids atomiques n’ont pas encore eu lieu et les réacteurs nucléaires sont suffisamment rares et complexes pour être aisément soupçonnés ou remarqués par les services de renseignement.
En l’absence complète d’armes nucléaires, pourquoi se priver d’utiliser massivement des armes tactiques en cas de simple menace ou de conflit direct comme autrefois ? Assistera-t-on au développement forcené des armes bactériologiques, chimiques, nanotechnologiques, robotiques et cybernétiques en vue de l’emporter au finish ? Affranchies des vertus diaboliques de l’arme atomique, les nations deviendront-elles plus enclines à l’aventurisme militaire et s’enliseront-elles dans de longues guerres régionales ou intercontinentales ? Ces conflits seront-ils plus meurtriers que les deux guerres mondiales à cause de la cybernétisation croissante des armements conventionnels (informatique, robotique, intelligence artificielle) ?
La dénucléarisation des arsenaux – récemment prônée avec ferveur par le président américain Barack Obama – ne deviendra effective et totale qu’à une seule condition : que toutes les nations de la planète démantèlent irrémédiablement leurs installations nucléaires, (militaires, civiles, secrètes et officielles), mettent définitivement fin à toute recherche nucléaire et à la production de matériaux afférents, et ce, sous le contrôle zélé d’une véritable police multinationale de l’atome... Que n’est absolument pas l’AIEA ! Vaste programme, tâches herculéennes.
Soyons fous : trempons un orteil dans ce monde fictif en voie de dénucléarisation.
Toutes les nations déclareront d’emblée leur bonne volonté pour peu que chacune soit la dernière à s’y mettre. Les inéluctables et nombreuses erreurs, omissions ou cachotteries dans ce processus global de désarmement nucléaire engendreront spéculation, suspicion, paranoïa et peut-être réarmement de plusieurs états. Comment convaincre des nations émergentes soucieuses de sanctuariser leurs territoires – souvent mais pas toujours à juste titre - du fait d’un environnement politique et stratégique surplombé par les haines ethniques/religieuses ou les délires idéologiques ? Comment agiront des états-voyous en quête d’un atout stratégique décisif et enchantés par ce désarmement mondial ? Que faire des non-états terroristes recherchant activement un outil rudimentaire de chantage ou de représailles comme une bombe sale ? Comment déployer et maintenir une logistique de désarmement efficace, sûre et sécurisée pour un stock mondial d’armes nucléaires aussi volumineux que le Mont Everest ?
Last but not least : comment garantir le bannissement définitif de l’arme nucléaire et réglementer drastiquement la science de l’atome à l’ère des réseaux ? Depuis le projet Manhattan, la prolifération des armes et des savoirs nucléaires est animée d’abord par l’universalité des lois de la physique, puis par l’espionnage militaire et industriel, la coopération scientifique, les « copinages en douce » et une ingénierie pluri-nationale discrète voire clandestine. En effet, aucune puissance confirmée ou émergente n’a acquis ou développé la technologie nucléaire en solitaire.
D’une certaine façon, la science de l’atome comporte une dimension prométhéenne comparable à celle de la maîtrise du feu et de ses multiples conséquences. De la combustion à la fission, l’humanité ne fantasme-t-elle pas une innocence à jamais perdue ?
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