Le 4 octobre 2010 s’ouvrait à Amsterdam le procès de Geert Wilders, leader néerlandais du Parti pour la liberté (PVV). Il se voit accusé d’avoir tenu des propos jugés diffamatoire et incitant à la haine raciale sur différents forums ou dans différents journaux néerlandais ainsi que dans son film Fitna sorti en 2008. Mais loin de l’enjeu judiciaire ou médiatique d’une telle affaire force est de constater que toute une nébuleuse idéologique de plus en plus agissante en Europe joue à travers le cas Wilders un peu de son avenir.
Car ce dernier se caractérise par nombre de spécificités qui peuvent et ont déjà inspiré d’autres groupes. En effet Wilders a pour obsession la défense de « l’occident contre l’islamisation », mais selon un biais idéologique assez retorse.
Car si l’apparenté avec l’extrême droite est avérée Wilders a cependant la particularité de se montrer plus libéral sur nombre d’acquis moraux que l’extrême droite classique. Et de cette singularité idéologique procèdera la forme de ses attaques contre l’Islam. Car Wilders ne hait pas la modernité morale ou politique de « l’occident » comme l’extrême droite classique a pu historiquement le faire.
Wilders se montre attaché à la démocratie, aux libertés individuelles, à la notion de choix et aux conquêtes féministes. Des rumeurs en font un homosexuel, ce qui peut expliquer qu’il ne développe en aucun cas de discours à caractère homophobe.
Cette modernité nouvelle de l’extrême droite pourrait nous pousser à nous réjouir, mais malheureusement là est le point d’attaque de Wilders contre l’Islam. Car selon lui si cette religion représente un danger c’est bien pour être incapable d’une telle modernité. Le danger d’une possible islamisation de l’Europe est pour lui, certes de nature identitaire et religieuse, ce que bien évidemment il refuse. Mais surtout elle est de nature régressive et attentatoire à la liberté ; puisque, selon lui, elle obligerait l’Europe à reculer sur tout ce qui fonde sa modernité récente, à commencer par l’égalité entre les sexes et la laïcité.
D’ailleurs c’est en cela que Wilders parle de l’Islam comme étant une idéologie fasciste, c’est à dire une idéologie de contestation de l’égalité, de régression par excès de collectivisme sociale et aussi par recul de la laïcité. D’ailleurs jouant sur l’hypocrisie de ses principes il dit ne pas avoir d’antipathie envers les musulmans, pris individuellement. Encore et toujours la notion de liberté individuelle, en l’occurrence ici celle de croyance. Ses griefs ne s’adressant qu’à l’Islam pour ce qu’idéologiquement il incarne comme incapacité à se montrer démocratique, égalitaire et laïc. Que l’instant laïc, féministe ou démocratique ne soit que récent, fragile, voire accidentel dans l’histoire de l’occident n’intrigue en rien Wilders. Ce dernier obsédé par ce qui est sensé définir depuis toujours les cultures ne se rend pas compte de ses anachronismes ou de ses raccourcis. Que l’Islam ait pu être autre et que l’occident ait pu, un jour, souffrir de son manque de modernité face à lui, voilà bien des considérations qu’il n’envisage pas.
L’extrême droite de Wilders est donc une posture idéologique d’affirmation des valeurs de l’occident moderne contre les soi-disant incapacités de la culture musulmane à sincèrement parvenir à une telle modernité de valeur.
Bref Wilders pense clairement son combat sur le mode culturaliste entre ce que chacun est à même de penser, croire ou exiger simplement à l’aune de ce qu’est sa culture. Aucune place pour le libre arbitre personnel et individuel dans sa réflexion. En un sens il met en avant l’individualisme de l’occident comme l’un des traits de sa modernité, mais il le fait en se comportant comme ceux qu’il croit combattre. Drôle de paradoxe.
Mais Wilders n’est pas isolé sur la scène européenne. Sa tentation de déplacer le combat sur le terrain des valeurs n’est pas isolée. Disons qu’avec le Parti pour la Liberté Wilders et les Pays-Bas sont les plus en avance institutionnellement et médiatiquement parlant en Europe. C’est en partie pour cela que le sort judiciaire de Wilders pourrait avoir des répercussions ailleurs qu’au Pays-Bas. Car toute cette extrême droite européenne « des valeurs de l’occident contre l’islamisation » est clairement intéressée par la trajectoire et les idées de Wilders.
Car sur un versant plus associatif ou polémique d’autres pays ont vu ce type de revendications émergées. C’est par exemple le cas de l’EDL anglaise (English Defence League) ou de la mouvance Riposte Laïque en France (celle là même qui voulait organiser des « apéros saucissons-pinard » à la Goutte d’Or).
Notons cependant le paradoxal souci de se dissocier du BNP (British National Party) chez les membres de l’EDL, là où quelqu’un comme Sylvie Bengala peut, sur le site de Riposte Laïque, s’interroger sur la pertinence d’un rapprochement assumé avec le front national.
Mais indépendamment de ces différences, on voit à chaque fois s’affirmer la même obsession de l’islamisation du monde et le même souci de modernité idéologique de l’occident opposée au prétendu conservatisme de l’Islam. Ou de l’islamisme, d’ailleurs, tant on peine à comprendre de quel type d’Islam on nous parle.
Ainsi s’esquisse l’effrayante souplesse idéologique dont l’extrême droite peut se parer, rendant de plus en plus complexe ses possibles identifications et refus pour qui ne veut s’y reconnaître. Car les défenseurs de Riposte Laïque peuvent avoir raison lorsqu’ils parlent des dérives de l’anti-racisme, cet argument servant à les dédouaner d’une quelconque posture d’extrême droite. De même force est de constater que l’ EDL ou Riposte Laïque ne sont pas racistes. Enfin ayant identifié pour ennemi principal l’Islam cette extrême droite se montre ouvertement Pro-sioniste et pourquoi pas philosémite. Là encore les évolutions par rapport à l’extrême droite classique sont notables. Alors où commence et où fini l’extrême droite « moderne » ? C’est aussi à cette question qu’il faut s’atteler pour correctement réussir à esquisser les contours de la bête immonde.
En tout cas le vieux monde où tous les camps idéologiques ne s’interpénétraient pas semblant bel et bien révolu, il y a fort à parier qu’à l’avenir les frontières vont encore plus se brouiller.