L’improbable victoire de Mitt Romney
Quoi qu'en disent les analystes, les experts, les politologues et les sondages, une victoire de Mitt Romney apparaît hautement improbable. Et cela non pas à 24 heures du scrutin, mais depuis la mi-novembre 2008. En ne choisissant pas un candidat hispanique, les républicains se sont coupés d'une des deux grandes minorités ethniques qui, désormais, sont les arbitres de l'élection présidentielle américaine.
En 2008, un nouveau facteur déterminant a fait une entrée plutôt discrète dans le scrutin présidentiel américain : le vote ethnique. Dans les jours qui suivirent l’élection, les résultats complets montrèrent que la victoire de Barack Obama ne constituait en rien une surprise. Ce n’était pas l’Amérique profonde qui avait changé, c’était la composition de l’électorat.
Il y avait, certes, toujours eu un vote ethnique, mais s’il se reportait traditionnellement sur le parti démocrate, il ne permettait pas d’entrer à la Maison Blanche. En 2000, par exemple, les démocrates avaient perdu malgré le soutien de 90 % des électeurs noirs, 67 % des électeurs hispaniques et 54 % des électeurs asiatiques.
Les résultats avaient, on s’en souvient, été tangents et discutés, il reste qu’avec les mêmes pourcentages de votes communautaires, le candidat démocrate l’emporterait aujourd’hui haut la main. C’est que d’un peu moins de 1 électeur sur 5 en 2000, le vote ethnique avait déjà passé à un peu plus de 1 électeur sur 4 en 2008 :
Les groupes ethniques non blancs représentaient 26 % des votants et 40 % des électeurs du sénateur de l’Illinois. Battu dans le vote blanc par 11,7 millions de voix, Obama avait emporté 80 % du vote ethnique, soit 28,35 millions de voix sur un total de 35,43 millions. Pour sa part, McCain avait recueilli 55 % du vote blanc, un résultat dans la moyenne des scores républicains. Et Obama, avec 43 %, se situait lui aussi dans la moyenne de son parti (Clinton 1996, 43 %, Gore 2000, 42 %). Ce qui confirme incontestablement le rôle d’arbitre conféré vote ethnique.
Dans un pays où les naissances d’enfants non-blancs sont plus nombreuses que celles des enfants blancs et où, prévoit-on, les blancs seront minoritaires vers 2040-2050, le facteur ethnique ne pourra que se renforcer au fil des années. Dans l’immédiat, il y a des raisons de croire qu’en dépit de tous les sondages, de toutes les analyses, de toutes les spéculations, du vote des « swing states », il agira dans l’isoloir avec le même poids, et dans le même sens, qu’en 2008.
Obama a sans doute déçu, mais pas au point de provoquer une vague d’hostilité dans l’une ou l’autre des communautés. Des sondages partiels le donnent en progrès de 5 à 10 points dans le vote hispanique, et en recul de 5 points dans le vote noir, mais il peut s’agir d’un mouvement de dépit momentané qui ne se traduira pas forcément dans les urnes.
Les agents électoraux du parti démocrate ne devraient pas avoir eu trop de peine à faire valoir qu’Obama ne pouvait pas « tout faire » en quatre ans, qu’il a été confronté à une majorité parlementaire hostile, et que, quoi qu’on puisse reprocher au président sortant, la condition des minorités ne pourrait qu’empirer sous Romney.
Concrètement, sur une base de 140 millions de votants, si Obama perd 3 % du vote blanc et 5 % du vote noir, tout en restant stable dans les votes hispaniques, asiatiques et divers, il recueillera 4,3 millions de voix de plus que son adversaire républicain. Ce qui, manifestement, le met à l’abri du scénario « majoritaire en voix/minoritaire en grands électeurs ». Mais cela implique aussi que Mitt Romney totalise 60 % du vote blanc. C’est très élevé pour un républicain et, apparemment, bien plus encore pour un mormon :
A partir de là, la situation devient très difficile quant à l’hypothèse d’une victoire de Romney. Pour avoir deux millions de voix d’avance, et une marge de sécurité, sur son rival, le candidat républicain devrait réaliser, dans l’électorat blanc, pratiquement le même score (64 %) qu’un Ronald Reagan, Grand Communicateur devant l’Eternel… protestant, et au « sommet de sa forme politique », c’est-à-dire lors de sa réélection de 1984. Ce cas de figure, fait encore apparaître qu’en dépit de la participation de 9 millions d’électeurs de plus, Obama perdrait 5.5 millions de voix blanches par rapport à 2008. Cela paraît très peu probable.
Ce sont déjà ces mêmes considérations qui nous nous firent, imprudemment, parier dès la mi-novembre 2008, que les républicains choisiraient un candidat hispanique, ou mieux encore une candidate, pour affronter Obama en 2012. Ils ne l’ont pas fait, et tant qu’ils ne présenteront pas un candidat « ethnique », ils ne reviendront pas à la Maison Blanche. Parce que le vote ethnique est beaucoup plus homogène et stable que ne le laisse croire sa diversité.
Il réunit ceux qui, forcément un peu envieux et frustrés, n’appartiennent pas à la communauté qui a dominé les Etats-Unis sans partage de 1776 à 2008, ces WASP (white anglo-saxon protestant) dont le déclin est irrésistiblement engagé, c’est de notoriété publique. Et ce processus crée un clivage profond.
Cette année, des observateurs ont relevé que les Etats-Unis sont divisés comme ils ne l’ont jamais été. Dans un pays où le communautarisme est la règle, le danger est extrême. D’autant plus que les populations montantes sont aussi, considérées dans leur globalité, les moins performantes économiquement parlant, donc fiscalement peu productives et socialement coûteuses. Cela ajoutera aux problèmes et aux tensions à venir.
Il y a un peu plus de trois ans, Pat Buchanan, candidat républicain à la candidature présidentielle en 1992, déclarait sans ambages : « …ce sont les Blancs, les Anglo-Américains, qui ont fait les Etats-Unis, qui ont écrit la Constitution, qui ont fait la Guerre de Sécession, qui ont bâti la puissance américaine, qui se sont battus majoritairement durant les guerres extérieures, etc. ; il leur sera infiniment difficile, sinon impossible d’accepter d’être une "communauté" parmi d’autres. »
D’aucuns seront peut-être tentés de le discréditer en raison de ses positions paléo-conservatrices, protectionnistes, hostiles à l’immigration et au multiculturalisme, qui le distinguent des néo-cons, mais nous rappellerons alors ce qu’en 1994 déjà, à une question portant sur la plus grave question de sécurité nationale que connaîtraient les Etats-Unis d’Amérique dans l’avenir, Bill Clinton répondit sans hésiter : « La question de l’identité nationale dans ce pays, avec l’immigration, l’évolution des communautés et des minorités… »
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