L’Iran : un ami futur ?
La géopolitique est chose tellement volatile que les monstres d’hier peuvent se transformer en quelques mois en partenaires appréciables et appréciés, que les querelles et les différents s’oublient plus vite encore qu’ils ne surgissent. Ainsi en fut-il hier de l’URSS passée à la faveur d’un changement de dirigeant d’empire menaçant à partenaire appréciable au milieu des années 1980, ainsi en fut-il de la Chine, devenue soudainement nation aimée au tournant des années 2000 après avoir été conspuée des années durant. Ainsi en sera-t-il très probablement de l’Iran au tournant des années 2010.
Cette réorientation diplomatique majeure est motivée par un contexte international pour le moins inhabituel.
Un nouveau contexte international
Avec la résurrection de la Russie, avec l’arrivée fracassante de la Chine, avec demain peut-être l’entrée en force des pays d’Amérique du sud dans le concert des nations, le monde « occidental » en survivance absurde depuis deux décennies, qui s’émiette tout en renforçant son homogénéité, s’est résigné à l’idée d’un monde multipolaire. La stratégie adoptée en réaction aux attentats du 11 septembre 2001, celle de la désignation du terrorisme islamique comme ennemi du monde entier, qui doit du coup s’unir derrière les États Unis d’Amérique, ayant lamentablement échoué – en gros, la plupart des pays se sont prononcés pour la lutte contre le terrorisme et pour la lutte contre l’ingérence amérique-unienne dans leurs affaires intérieures –, il ne servait plus à rien d’entretenir de vieilles lunes, aussi l’ancien monde occidental commence à réaliser que le rêve du « monde unipolaire » est une illusion à laquelle le monde ne voudra jamais se conformer. Il faut donc renforcer ses positions, que ce soit dans une perspective de « choc des civilisations » (la version démocrate de la lutte contre les « empires » russe et chinois ou bien la version républicaine de la lutte contre l’« ennemi » musulman) ou bien dans celle d’un mondialisme multi-culturel, et pour cela il faut savoir trouver des alliés stratégiquement situés et suffisamment puissants. La puissance nécessitant la stabilité intérieure, il faut éviter que des troubles agitent de tels pays. L’Iran est un pays stratégiquement très bien situé, avec de gros potentiels économiques, militaires et industriels – à défaut de moyens effectivement à la hauteur de ses ambitions – et qui plus est capable d’une grande flexibilité en matière de relations internationales. Aussi le soutien de l’opposition intérieure, la diabolisation systématique, les sanctions économiques, entrepris par les gouvernements des pays de l’OTAN pourraient un jour se retourner contre eux. Et pas dans dix ans, plutôt dans quelques mois.
Parce que nous arrivons à la limite de tension en Afghanistan. Le conflit se déporte vers le Pakistan, il gagne en intensité. Depuis leur défaite, les taliban n’ont jamais été aussi puissants, et le scénario de leur victoire sur la coalition est envisagé avec beaucoup de sérieux. Si l’on peut dialoguer avec les taliban, ce n’est pas sur un terrain favorable ni avec la perspective d’objectifs satisfaisants, aussi vaut-il mieux les contenir afin d’éviter que leur influence gagne des pays musulmans alliés comme l’Arabie Saoudite ou le Yémen. De ce point de vue, le fait d’avoir un allié circonstanciel – plus efficace sur le long terme qu’un exécutif soumis à ses intérêts, car moins susceptible d’être renversé par la population – qui puisse pacifier la région si nécessaire, mieux, qui puisse étouffer les ardeurs des taliban à coups d’isolement économique et diplomatique, est une nécessité. Malgré le fait qu’il soit chiite et non sunnite, l’Iran, puissance régionale incontestable dont la puissance augmente et qui bénéficie d’ores et déjà du soutien de la Chine, de la Russie et du Venezuela, est le plus à même de tenir ce rôle.
Parce que la Chine peut être demain une menace. Elle compte bien ne plus laisser des pays étrangers ingérer dans ses affaires intérieures, qu’elle compte grâce à sa puissance économique et son réseau diplomatique plus ramifié que jamais reprendre sa politique traditionnelle, impérialiste, parfois expansionniste, sans qu’une poignée de nations privilégiées à l’ONU ne protestent, ne lui rabatte les oreilles avec un vieux gaga en pagne orange ou une révolte paysanne dans une province éloignée. Elle peut être l’aimant vers lequel se tourneraient le Japon, la Corée, l’ASEAN, Taïwan - pourquoi pas ? -, voire l’Australie. Elle cultive déjà son influence en Afrique, volant dans les plumes de la stratégie amérique-unienne, pourtant bien huilée, volant à la place des États Unis d’Amérique les privilèges coloniaux de la France. Disposer d’un ami tel que l’Iran, qui en est proche sans en être l’allié ni la soutenir, mais qui pourrait réfréner ses ardeurs, voilà qui serait capital dans une stratégie d’équilibre entre blocs régionaux.
La réorientation en douceur de l’Iran commence petit à petit. On n’a que peu parlé des morts lors des dernières manifestations des opposants, on a mentionné rarement les arrestations d’anciens dignitaires du régime, on a appelé « manifestation de soutien pro-Ahmadinedjad » et non « infâme mise en scène de propagande abjecte organisée par le régime » la récente manifestation massive soutenant le président et le guide de la révolution. On omet bien d’appeler dans les médias des connaisseurs des affaires intérieures iraniennes qui pourraient pointer du doigt les changements majeurs en cours dans la politique intérieur de l’Iran.
De nouvelles orientations intérieures
Ahmadinedjad avait surpris les journaux français en proposant des femmes dans son gouvernement (trois, aux ministère de la santé, de l’éducation et des affaires sociales – seule la nomination à la santé a été validée par le parlement), contre l’avis du guide de la révolution. Moins souvent ont été soulignés les différends entre les deux têtes de l’exécutif à propos des ministres, vice-présidents, secrétaires et conseillers. En effet, alors que le guide de la révolution l’avait appelé à faire appel à des personnes d’expérience, issues de l’oligarchie religieuse et marchande, Ahmadinedjad – qui a vraisemblablement pris acte du ralliement d’une bonne partie de la classe dirigeante au « camp » Rafsandjani – a préféré privilégier des personnes fidèles à sa personne, qu’il a prises plutôt dans le camp des patriotes que dans celui des religieux dummistes.
Petit à petit, émergent de nouvelles fractures au sein de la classe dirigeante. Jusqu’à présent, l’éventail politique était divisé entre « conservateurs » et « réformateurs », les différences essentielles entre les deux camps étaient d’ordre religieux et sociétaux, des divergences sur les sujets économiques et sociaux étant présentes au sein de chaque « camp ». Avec le ralliement dans le camp « réformateur » de Moussavi puis surtout Rafsandjani, deux héros du camp conservateur en leur temps, une nouvelle ligne de fracture se fait jour, qui oppose les nationalistes et souverainistes aux ultra-religieux libéraux (type Rafsandjani) et aux partisans des libertés civiles (type Montazeri).
C’est donc une véritable épuration politique qui a lieu en Iran à l’initiative de Mahmoud Ahmadinedjad, qui sera probablement aussi décisive pour ce pays que le fut celle opérée par Vladimir Poutine en Russie ou par les dirigeants d’Amérique du sud (typiquement, Hugo Chavez). Reste à savoir jusqu’à quel point le guide Ali Khamenei, qui a déjà refusé au président de pouvoir lui baiser la main lors de son investiture, permettra une telle transformation s’opérer. Peut-être le président par nos médias présenté comme le plus fanatique et le plus rétrograde sera-t-il celui qui mettra fin à la révolution islamique ?
Cet article est la reprise de la conclusion d’une fort longue note publiée sur mon blog, consacrée au traitement médiatique qu’a subi l’Iran ces quarante dernières années, disponible dans son intégralité ici : http://elucubrations.de.brath-z.over-blog.com/article-l-iran-et-les-medias-42170477.html
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