L’Union méditerranéenne de Sarkozy : un grand dessein, mais avec quel dessin ?
Derrière sa tournée « d’homme pressé » en Algérie et en Tunisie, se profile le grand projet d’une Communauté euro-méditerranéenne. Mais qui sera le Jean Monnet indispensable à une telle réalisation ? La question esentielle n’est pas dans la finalité, mais dans les modalités.
Une Union méditerranéenne ? Qui n’en rêve pas ? Qui n’en a pas rêvé ? Paul Valéry, avant-hier, dans son Regard sur le monde actuel, avait mis au point un beau projet. Albert Jacquart, dans plusieurs de ses ouvrages, en a démontré la nécessité. Et bien des initiatives ont été prises et ont plus ou moins abouti à des résultats concrets : dialogue Nord-Sud à partir du Conseil de l’Europe, Centre méditerranéen et, bien sûr, Euromed, MEDA, PEV... !
Las ! Le lac méditerranéen reste un fossé. Avec des inégalités qui s’accroissent entre les peuples riverains et des relations souvent conflictuelles, ne serait-ce qu’en raison de ce « passé qui ne passe pas » entre la France et le Maghreb, de l’ampleur des aspirations migratoires, du choc des cultures, des heurts d’intérêts. Et du manque d’audace et de volonté commune des Européens qui sont eux-mêmes écartelés entre les pôles (et les nostalgies) hanséatique et « romain ».
Un constat fait l’unanimité, ou presque. Le "processus de Barcelone", inauguré en 1995 par les quinze pays membres de l’Union européenne, qui devait rapprocher les deux rives de la Méditerranée, est un « échec », en dépit des améliorations apportées d’un bilan à l’autre, notamment en 2005. Je me souviens, en témoin direct, des espérances formulées à cette époque, des discours riches de promesses. Et j’ai eu plusieurs occasions de mesurer, sur le terrain, l’ampleur des... espoirs déçus, des promesses non tenues.
Pas de miracle sous le soleil. Sous la plage, des pavés de bonnes intentions, mais des moyens insuffisants. Sarkozy rêve, avec l’active complicité de son conseiller en beaux discours, Henri Guaino, de faire en sorte que la France, avec et par l’Union européenne, joue un peu le rôle qu’ont joué les Etats-Unis pour l’unification du continent européen. Elle devrait et elle pourrait le jouer, ce rôle. Elle aurait même dû le faire.
Historiquement une belle occasion a été manquée lors de l’effondrement du Mur de Berlin : on aurait pu « européaniser » la réunification allemande en échange d’un engagement ferme en faveur d’une européanisation des relations entre les rives de la Méditerranée. Est-ouest et Nord-Sud : des priorités à définir et des chantiers à mener de conserve, en parallèle. En y mettant les moyens qui s’imposaient.
Il est trop tard pour les regrets : à l’époque, Mme Thatcher qui ne pensait qu’à son « chèque » et était prise de panique devant la perspective d’une seule Allemagne, empêchait tout accord sérieux sur ce qui aurait pu être un projet Mitterrand-Kohl...

Mais il est encore temps de tenir compte d’une donnée fondamentale : les dirigeants européens qui parlent du « plan Marshall » à tout propos et à propos de tout, notamment des relations euro-méditerranéenne, oublient que ce plan a d’abord réussi en raison de quatre facteurs : une volonté réelle des Etats-Unis, l’effet de masse des crédits débloqués, une vision globale de l’aide plus structurelle que conjoncturelle et la volonté d’unité des pays qui l’ont accepté.
Or, que voit-on ?
>>> Pas de vraie volonté de l’Union... La Méditerranée pour certains des « 27 », ce n’est pas la Lune, mais c’est vraiment loin. Même le « bloc latin » que Sarkozy espère réunir reste mal défini. La France, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, Chypre et Malte, mais les « autres » ? D’ailleurs ces pays sont-ils prêts (la question vaut aussi et peut-être d’abord pour... la France à faire passer leur amour des relations bi-latérales avant les intérêts d’un multilatéralisme bien compris et inteligemment coordonné ?
>>> Pas d’effet de masse dans les investissements européens sur la rive Sud : les Américains ont dépensé l’équivalent de 125 milliards d’euros entre 1947 et 1951, à comparer avec les 20 milliards que Bruxelles a consacrés au programme Euromed de 1995 à 2005. Le partenariat existe, y compris sur le plan stratégique, mais il reste très limité...
>>> Pas d’effets structurants d’accords plus fondés sur le développement du commerce par le libre échange que sur des stratégies globales de développement.
>>> Pas de vrai dessein d’unification des partenaires du Sud. L’unité du Maghreb reste un mirage : frontière fermée entre l’Algérie et le Maroc Celle du monde arabe aussi : le panarabisme est en berne. Et réalisme oblige : la question israélienne n’est pas au bout du chemin, mais au commencement de la route.
La réconciliation franco-allemande est bien sûr citée en exemple, en référence, en modèle (Sadate et tous les dirigeants israéliens n’ont jamais manqué d’y faire allusion), mais il faut plus que des « tours de magie » médiatiques pour l’exporter...
D’ailleurs, dans sa tournée d’ « homme pressé » qui vient « dire bonjour à des amis » plus pour prendre date que pour nouer vraiment langue dans le Maghreb, Sarkozy a pu prendre la mesure des susceptibilités à ménager : les sourires d’Alger ont provoqué des grimaces à Rabat. Logique...
Qui plus est, Sarkozy doit faire des efforts pour échapper à des procès d’arrières-pensées qu’il a lui-même favorisés par son langage parfois peu diplomatique :
* Ne cherche-t-il pas d’abord, cyniquement, à alléger la question des flux migratoires ? Ne voit-il pas surtout dans cette « Union méditerranéenne » un terrain de solution au « problème de la Turquie » ? Ne veut-il pas affaiblir l’Union en ne faisant pas de la coopération euro-méditerranéenne une affaire communautaire ?
* N’est-il pas surtout animé par des préoccupations d’ordre sinon affairistes du moins économiques ? Et ne cherche-t-il pas, dans ce qui est aussi une partie de billard, à creuser les différences entre l’Afrique du Nord et le continent sub-saharien ? La presse arabe et africaine explique tout cela avec clarté...
Les motivations essentielles de Sarkozy sont sans doute d’un autre ordre. Il a raison sur un point essentiel. La nature de cet « espace de solidarité et de coopération », tant politique qu’économique, dont il veut faire « l’un des grands chantiers internationaux de son mandat » doit inverser la logique du dialogue Nord-Sud qui place les pays du sud de la Méditerranée dans une position de dépendance vis-à-vis de leurs voisins plus prospères du Nord et accroît, en fait les inégalités.
Il veut « traiter le mal à la racine », en mettant l’accent sur la base du développement économique et social, la santé, l’éducation,la culture, les transports, l’urbanisme, la politique industrielle. Les investissements étrangers dans les secteurs dits productifs ne seraient plus la priorité : Le codéveloppement doit se substituer au commerce, « afin que les pays du sud de la Méditerranée ne soient pas de simples sous-traitants de l’Europe ».
Cette finalité-là vaut que l’on lui trouve des modalités adaptées. En cela, le « grand projet » sarkozien ne doit pas être considéré avec une ironie de blasé, mais il mérite d’être soutenu politiquement et d’être « creusé » par de vrais débats, de bonnes études et de vraies discussions.
Ce n’est pas là une œuvre pour un « homme pressé » soucieux d’effets d’annonces, mais pour un chef de chantier discret, persévérant et intelligent. Qui sera le « Jean Monnet » qui transformera ce noble dessein en beau dessin ?
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