La colère des mères de Fukushima
Ils étaient quelques centaines ce lundi 23 mai à s’être donnés le mot pour venir soutenir une délégation de femmes du département de Fukushima venue en bus jusqu’à Tokyo. Rendez-vous avait été fixé devant le Mext, l’énorme ministère de l’éducation, de la science, de la culture, du sport et de la technologie. Objectif : tenter d'infléchir mais aussi tancer un gouvernement accusé de ne pas prendre les mesures adéquates pour préserver les populations des régions du nord, au premier chef les enfants, des rayonnements radioactifs faussement minimisés. Les femmes de Fukushima peuvent-elles peser dans la balance pour pousser les autorités à réviser leur gestion de la catastrophe nucléaire ?
- Une manifestante
Parmi les participants à la manifestation, venus de tout le Japon, les membres d’une communauté qui s’est formée après le 11 mars à l’initiative de Madame K, alias Hirondelle, sur Mixi, le réseau social numérique le plus important du pays. Cette quadragénaire d’Osaka, traductrice interprète, a décidé de s’engager à titre personnelle après la tragédie du 11 mars : « le nord du Japon était à feu et à sang et pourtant, beaucoup de gens dans le sud continuaient à vivre comme si de rien n’était », explique-t-elle désolée, avant d’ajouter, « il fallait absolument que je fasse quelque chose : d’une part essayer d’entrevoir la réalité, au-delà des informations distillées par les médias et les autorités et de l’autre, créer une communauté sur le web pour discuter de ces problèmes, diffuser un autre point de vue et alerter des journalistes étrangers », renchérit-elle enthousiaste. A ces côtés, il y a deux membres de son groupe qui habitent à Tokyo et qui ont donc pu venir plus facilement. Taro W, maquettiste dans la presse, et Ayako T, pianiste professionnelle. Tous considèrent que depuis le 11 mars, le pays ne peut plus poursuivre de la même façon sa politique nucléaire.
- Deux jeunes militants engagés aux côtés des mères de Fukushima.
Devant le ministère, des conversations informelles se nouent bientôt entre les groupes de militants. Deux jeunes acteurs engagés sur cette question abordent les participants pour leur proposer de se joindre à une autre opération qu’ils organisent durant le week-end en soutien aux populations menacées par les radiations. Il y a dans l’air pluvieux de ce lundi après-midi une certaine ferveur, une soif de communiquer tandis que çà et là, on commente l’actualité récente : des jeunes manifestants arrêtés sans état d’âme dans le quartier de Shibuya alors qu’ils manifestaient contre la politique nucléaire du Japon ainsi que deux personnes jugées en trois minutes et condamnées à une peine de prison pour avoir participé à un sit-in organisé devant le siège de TEPCO.
- Un manifestant brandi une pancarte
C’est un fait, les seules armes à se déployer sont des pancartes, banderoles, tenues anti radioactivité, tracts distribués à l’emporte pièce, porte voix... Tous les moyens sont là pour exprimer calmement sous les fenêtres des responsables et devant les caméras de télévision ce que les manifestants dénoncent : le sacrifice aveugle que la nation est en train de faire d’une partie de sa jeunesse.
- L’acteur Taro Yamamoto
Quelques personnalités médiatiques sont venues apporter discrètement leur soutien. Il y a Taro Yamamoto, un comédien très connu au Japon qui milite depuis le début des évènements contre les dérives du nucléaire et en faveur des populations touchées en dépit des menaces qui planent sur sa carrière. Ainsi, à cause de ses prises de position, il vient d’être exclu d’un Drama, une série télé, très à la mode et sponsorisé, comme c’est le cas de beaucoup de programmes au Japon, par…Toshiba, grand groupe industriel qui fabrique notamment des réacteurs nucléaires.
- Le débat entre le représentant du ministère de l’éducation et la présidente du parti socialiste japonais
En réponse à la manifestation, le ministère a accepté l’organisation d’un débat plus ou moins informel sur une terrasse extérieure au premier étage du bâtiment où une petite estrade et un micro faiblard ont été installés. Un échange de point de vue s’engage entre quelques personnalités politiques locales engagées dans la manifestation dont le maire de Fukushima et un subalterne du ministère de l’éducation, homme sans pouvoir, envoyé au casse pipe pour affronter la colère générale. La scène est surréaliste. L’homme doit répondre aux questions acérées de ses contradicteurs tandis que la foule qui observe et écoute fait face et scande des leitmotivs à l’emporte pièce : « Assassins ! », « Abolition, de la norme des 20ms/heure ». Des panneaux exigent le retour aux normes d’1ms d’avant la catastrophe. Un homme crie : « aller vivre chez nous, vous les gens du ministère, si vous êtes tellement sûr que la radioactivité n’est pas dangereuse ! » ; « On veut voir Takagi, le ministre ! ». Bien sûr il n’est pas là. A la place son représentant assure : « ne croyez pas que nous ne pensons pas à vos problèmes. Tous les jours nous en parlons et nous comptons bien dans le futur atteindre le niveau de 1ms/an ». Autant dire que les normes baisseront quand la radioactivité diminuera d’elle-même…
- Madame Fukushima, présidente du parti socialiste japonais
A l’issue des débats, madame Fuksuhima, la présidente du parti socialiste japonais, nous explique ses positions : « Etablir le plafond de la radioactivité aux alentours de 1 voire 5 mSv/ an serait raisonnable, même si oui, dans ce cas, les zones à évacuer seraient immenses. » Tokyo serait alors elle-même en position limite alors que la radioactivité est passée de 1 mSv/an avant le cauchemar, à 5-8 mSv/ an à l’heure actuelle. Elle ajoute : « dans ce cadre, une solution temporaire pour la prise en charge des enfants pourrait être envisagée car la majorité des parents ne pourrait pas suivre à cause de leur emploi. On pourrait trouver des familles d’accueil dans le Kansai par exemple » ajoute-t-elle avant de darder quelques flèches contre le gouvernement : « Il n’a pas fait grand-chose en vérité pour les zones sinistrées et contaminées ». Toutefois, elle croit à l’impact d’une telle manifestation : « les médias sont là et l’information passera dans la population », tranche-t-elle. Et de citer l’exemple de la centrale de Hamaoka, construite dans des conditions opaques sur une faille tectonique, qui a été arrêtée après qu’une récente et virulente campagne de presse l’a exigé.
- Une chaine humaine autour du ministère de l’éducation à Tokyo.
On peut parallèlement s’interroger sur le choix fait d’aller porter doléance devant le ministère de l’éducation. Est-il dans ses compétences de statuer sur l’évacuation de populations, quand bien même il s’agit en priorité d’enfants ? N’est-ce pas au premier ministre qu’il aurait fallu s’adresser ?
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