La Cour Pénale Internationale se réveille et frappe fort
C’est une première très remarquée pour la Cour Pénale Internationale de La Haye [1] qui vient de délivrer un mandat d’arrêt à l’encontre du Président soudanais en exercice, Omar Al Bashir, pour des faits de crime de guerre et crimes contre l’humanité commis sous son autorité à l’endroit de populations civiles du Darfour, province située au sud du Sahel et à l’ouest du Soudan. Porté à la tête de la nation soudanaise à la faveur d’un coup d’État réalisé en 1989, l’ex-général, devenu président en 1993, dirige son pays d’une main de fer, n’hésitant pas à défier la communauté internationale depuis que le conflit du Darfour a été réactivé en 2003. À ce-jour, l’ONU estime que cette guerre civile a fait 300 000 victimes, alors que 2,7 millions de personnes ont été déplacées.
Dés le mois de juillet 2008, le Procureur de la Cour Pénale Internationale, Luis Moreno-Ocampo a déposé pas moins de 10 plaintes contre le Président Al Bashir, dont trois pour génocide, cinq pour crime contre l’humanité et 2 pour meurtres, demandant par là-même à ce que soit délivré un mandat d’arrêt, chose faite depuis ce mercredi 4 mars 2009. En premier lieu, la CPI s’est déclarée compétente pour connaître de cette situation se considérant saisie de fait par la résolution 1593 du conseil de sécurité de l’ONU [2], et cela« malgré le fait qu’elle concerne la responsabilité pénale présumée d’un ressortissant d’un État non partie au Statut, pour des crimes qui auraient été commis sur le territoire d’un État non partie au Statut ».
Ainsi, le chef de l’État soudanais « est soupçonné d’être pénalement responsable, en tant que coauteur indirect ou qu’auteur indirect, d’attaques intentionnellement dirigées contre une importante partie de la population civile du Darfour, de meurtres, d’actes d’extermination, de viol, de torture, ainsi que de transfert forcé d’un grand nombre de civils et de pillage de leurs biens », pour reprendre les termes employés par l’instance. Par contre, si la chambre préliminaire 1 a retenu les qualifications de crimes de guerre et crimes contre l’humanité, elle a toutefois rejeté l’accusation de génocide à l’encontre du Président soudanais. En effet, selon la juge Anita Usacka, l’Accusation n’a pas fourni d’éléments suffisamment probant pour que ce chef d’inculpation soit porté sur le mandat d’arrêt. Toutefois, la chambre préliminaire 1 ne fera pas obstacle à la modification du mandat d’arrêt si l’enquête menée par l’Accusation apportait des éléments de preuve venant étayer les suspicions « d’intention génocidaire » à l’encontre du gouvernement soudanais.
Alors que la CPI affirme détenir de lourdes preuves à l’appui de ses accusations, Omar Al Bashir, lors de l’inauguration du barrage de Merowe claironnait que « les soudanais n’en ont rien à faire d’une telle décision », ajoutant qu’il en allait de même de la résolution 1706 [3] adoptée par les Nations Unies, pendant que des manifestants pro Al Bashir mettaient le feu à un mannequin à l’effigie du Procureur Luis Moreno-Ocampo. En outre, à l’annonce faite par la CPI, une partie de la population soudanaise s’est empressée de soutenir son Président, rassemblée dans un cortège très vindicatif qui a parcouru les rues de Khartoum, affirmant qu’elle était prête à livrer bataille jusqu’à la dernière goutte de son sang pour empêcher toute arrestation. Qu’ils se rassurent, il ne se trouvera aucune force de police soudanaise pour mettre à exécution ce mandat d’arrêt.
Dés lors, loin d’apaiser les tensions dans la région, le prononcé de ce mandat d’arrêt, premier du genre, risque d’ajouter de l’huile sur les braises d’un conflit aux intérêts multiples et croisés qui se situe bien au-delà du seul, mais toutefois épineux, problème du Darfour. Rappelons en effet combien le Président Omar Al Bashir s’oppose avec véhémence aux États-Unis ainsi qu’à Israël (qu’il a combattu en 1973 aux côtés de l’armée égyptienne), nations diaboliques par excellence selon lui. De plus, le Soudan se voit soutenu par le régime de Pékin (largement impliqué dans l’exploitation des ressources pétrolières), mais encore par une partie non négligeable des pays membres de l’Unité Africaine. Ainsi, selon Jean Ping, Président en exercice de la commission de l’Union africaine « la justice internationale ne semble appliquer les règles de la lutte contre l’impunité qu’en Afrique comme si rien ne se passait ailleurs, en Irak, à Gaza, en Colombie ou dans le Caucase », un point de vue partagé par le Président du Sénégal Abdoulaye Wade. Par ailleurs, Dmitri Medvedev n’aura pas manqué de surenchérir en affirmant qu’il s’agissait là « d’un dangereux précédent », le tout sur un ton menaçant emprunté à Vladimir Poutine.
Dés lors, aussi spectaculaire que soit la décision de la CPI, force est de constater qu’elle ne pourra apporter de solution pérenne à une crise complexe qui perdure depuis la fin des années 80, dans un contexte où se mêlent géostratégie internationale, ethnicisation, religiosité, sécheresses et autres convoitises sur les richesses du sous-sol, le tout sur un fond de démographie galopante.
Pour autant, il ne faut pas oublier qu’une fois encore, c’est la population civile qui paie le plus lourd tribu dans ce conflit, car à la fois victime des assauts terrestres des Janjawids (milice arabe recrutée au sein des tribus Abbala), et des attaques aériennes menées par les troupes de Khartoum. Prise dans cet étau infernal, les populations n’ont plus que la fuite ou l’exil comme seules alternatives, alors que les organisations humanitaires ne peuvent intervenir que selon le bon vouloir du régime saoudien et ont le plus grand mal à apporter un soutien minimum aux populations apeurées et affamées, alors même que la communauté internationale civile n’aura eu de cesse de se mobiliser pour dénoncer cette situation extrêmement critique. Les ONG viennent d’ailleurs de faire immédiatement les frais de la décision en question, alors que les civils du Darfour devraient rapidement passer à la caisse de la répression du régime de Khartoum.
Cependant, si le mandat d’arrêt délivré par la CPI a pour objectif d’amener le Président Omar Al Bashir à répondre des crimes qui lui sont reprochés devant cette instance juridique internationale, dont seulement 108 pays sont États [4] parties au statut de Rome [5] entré en vigueur le 1er juillet 2002, il apparaît évident que sa mise en pratique sera des plus complexe. D’ailleurs, le Président soudanais, dans une ultime posture de défiance, ne vient-il pas de déclarer qu’il devrait prochainement se rendre au Quatar, démontrant qu’il ne craint aucunement une instance que son pays ne reconnaît pas plus que les États-Unis ne l’ont fait, cet ennemi juré qui n’a pas que des vues désintéressées dans la région.
Pour autant, si la CPI est une instance juridique internationale en devenir qui veut s’affirmer et s’imposer comme autorité supérieure, il lui faut encore rallier nombre de nations manquantes, mais encore rendre des décisions exécutoires, qui feront jurisprudence, à l’encontre de tous les dirigeants de ce monde qui ont, ou auront, commis des actes relevant de ses compétences, et cela dans l’impartialité la plus incontestable. La tâche reste immense mais peut augurer de ce que pourrait être la justice internationale du monde de demain.
[1] Présentation
[2] Résolution 1593 du conseil de sécurité de l’ONU
[4] États parties
[5] Statut de Rome
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