Les enjeux de la françafrique à l’aune de l’élection présidentielle gabonaise.
Le président Omar Bongo est mort. Le Gabon s’apprête à élire un nouveau président.
Vu de France, cet évènement aurait pu être un fait politique ordinaire, s’il n’y avait ces ambiguïtés qui, depuis si longtemps, ont assombri et assombrissent encore les relations entre la France, ancienne puissance coloniale, et le Gabon.
Et au-delà du Gabon, les préoccupations que soulève l’organisation de cette élection présidentielle gabonaise concernent, de façon plus générale, les relations entre la France et son ancien domaine colonial, communément appelées la Françafrique.
Qu’est-ce donc, la Françafrique ?
Celle-ci s’entend comme l’existence de réseaux institutionnels et personnels à travers lesquels certaines personnalités politiques françaises et certaines personnalités du monde des affaires conduisent leur propre politique en Afrique (de concert avec les dirigeants africains) pour y garantir les intérêts vitaux de la France, les intérêts des entreprises françaises dans ce continent ou simplement les intérêts privés de certains particuliers opérant sur ce continent. Ces réseaux agissant, selon les cas, en parallèles, de connivence ou à l’insu de la diplomatie officielle
[1].
Dénoncé pour son opacité et ses violences
[2], décrié par de nombreuses associations
[3], objet de plusieurs procès à retentissement
[4], le système Françafrique a toujours survécu et survit encore aujourd’hui, malgré les déclarations contraires des autorités publiques françaises
[5].
En accédant au pouvoir le président Sarkozy avait exprimé le besoin de mettre un terme aux pratiques de la Françafrique tant décriées et qui commençaient à nuire au prestige de la France en Afrique et ailleurs.
Les péripéties gouvernementales consécutives à ses rencontres avec certains chefs d’Etats africains dont feu Omar Bongo Ondimba et le limogeage de l’ancien ministre de la coopération, Jean Marie Bockel, avaient fini par convaincre nombre d’observateurs que la promesse de rupture dans les relations entre la France et l’Afrique ne serait pas tenue par le nouveau président français.
Mais aujourd’hui Bongo n’est plus et, avec sa disparition, de nombreuses voix s’élèvent pour demander la fin de la Françafrique, la fin de la « mafiafrique » (la référence à la mafia n’est pas dépourvue de sens), cette relation ambiguë, opaque et oppressante pour les peuples africains.
Voici donc pour nous trois raisons pour lesquelles la Françafrique doit disparaître :
1- La Françafrique, dans sa pratique actuelle, est incompatible avec un système démocratique sérieux en Afrique.
Lorsqu’on s’interroge sur les caractéristiques de la Françafrique, on tombe tout de suite sur un registre linguiste qui renvoie à la mafia, à la délinquance ou à la criminalité ; des faits ou actes réprimés dans la plupart des démocraties occidentales (escroqueries, abus de confiance, abus de biens, détournement de fonds publics, trafic d’armes, enrichissement illicite, blanchiment d’argent …)
Ce n’est sûrement pas le but de la diplomatie française en Afrique. Sauf que celle-ci a laissé se développer des réseaux occultes, parallèles aux méthodes étranges qui ont fait l’objet de nombreuses révélations, notamment par l’Association Survie et son ancien président François Xavier Verschave
[6].
Le mécanisme de base de cette Françafrique est que la France apporte son soutien à des dictateurs au pouvoir en Afrique pour recevoir de ces derniers des largesses en terme d’exploitation des richesses nationales.
Ce système générateur de tant de délits et crimes impunis et reposant sur l’opacité des accords entre différents acteurs, l’usage de la force pour contraindre les populations locales au silence n’est conforme à aucun standard démocratique sérieux.
Il ne peut survivre dans un contexte démocratique où les dirigeants seraient élus et non imposés, où l’activité des gouvernants serait contrôlée, où une justice sérieuse et indépendante agirait au service de la société. Un tel environnement démocratique conduirait à son asphyxie.
Aussi, pour survivre à la dernière vague de démocratisation intervenue en Afrique dès le début des années 90, les acteurs françafricains ont travesti les processus électoraux.
On a vu émerger dans certains pays des dictatures démocratiques c’est-à-dire des dictatures qui se maintiennent au pouvoir grâce à des parodies électorales, ces élections sans aucune garantie de transparence, souvent décriées et dénoncées par les organisations de défense des droits de l’homme.
L’exemple de la dernière élection présidentielle intervenue au Congo Brazzaville peut en dire long sur ces élections « contrôlées » et les connivences possibles entre le pouvoir en place, les intérêts français dans ce pays
[7] et les soutiens implicites et explicites dont a pu bénéficier Mr Denis Sassou Nguesso pour demeurer au pouvoir.
Dans cette nouvelle configuration la France semble jouer, avec embarras mais sans relâche, un rôle de faire valoir pour ces processus électoraux fallacieux, afin d’assurer la pérennité au pouvoir de ses protégés.
Aujourd’hui encore, les spéculations vont bon train sur ce que la France aurait choisi Ali Bongo pour succéder à son père et favoriser ainsi la continuité des affaires.
Or aujourd’hui le véritable enjeu est celui du sérieux et de la transparence du scrutin qui doit avoir lieu au Gabon pour donner un signal fort de ce que la France ne peut plus et ne veut plus aider des tyrans à accéder ou à demeurer au pouvoir selon les schémas en vigueur jadis. Toute obstination au maintien d’un système françafricain décadent contribuera à dégrader davantage l’image déjà entamée de la France dans le continent noir.
2- Les pratiques des réseaux français dans le continent africain nuisent à l’image et au prestige de la France à l’étranger.
Il est difficile de ne pas penser que la France suit avec une attention particulière le déroulement du processus électoral au Gabon. Le maintien de ces intérêts dans ce pays dépend de la disponibilité du prochain dirigeant à avoir la même allégeance à l’endroit de la France que du temps de feu Omar Bongo Ondimba. Le choix de la continuité à travers Ali Bongo Ondimba pérenniserait le système existant.
Mais aujourd’hui, tout cela commence à faire grand bruit. Et la France semble plus que par le passé vouloir soigner son image, son discours à travers une action respectueuse des peuples et responsable.
Il faut dire qu’il y a de quoi. L’image de la France serait très dégradée en Afrique, à en croire des responsables diplomatiques français oeuvrant sur le continent
[8].
De plus, comment peut-on tolérer les agissements grossiers de certains réseaux français en Afrique lorsqu’on connaît la misère et les souffrances vécues par les populations locales et relayées sans cesse dans les médias occidentaux.
Par ailleurs, le système de la Françafrique semble nuire à l’image de la France comme patrie des droits de l’homme, comme défenseurs des droits de l’homme dans le monde. Il limite la portée de certains messages portés par la France dans les tribunes internationales pour défendre ou promouvoir ces droits.
De même, certains scandales survenus en Afrique et engageants des personnalités françaises des affaires ou de la politique renvoient aux citoyens français une image répugnante, un besoin de distance avec ces pratiques et leurs auteurs.
Tous ces facteurs contribuent aujourd’hui à demander la fin de la Françafrique et la mise en œuvre de relations de coopération sérieuses et responsables.
3- La démocratie en Afrique n’est pas incompatible avec la préservation des intérêts français dans ce continent dans le cadre d’une coopération responsable.
La fin de la Françafrique ne peut se faire en responsabilité que s’il peut exister un système de relation sain garantissant les intérêts de toutes les parties.
Or les relations internationales fourmillent de cas dans lesquels les Etats, grands ou petits, puissants ou faibles développent des relations fondées sur le respect mutuel et une coopération respectueuse de la souveraineté de chaque nation, assurant la garantie des intérêts réciproques…Il n’est donc pas impossible que français et africains parviennent à ce type de rapports, s’ils s’y engagent.
La fin de la Françafrique signifie sûrement passer de l’opacité à la transparence. Transparence au niveau de l’attribution des marchés, au niveau de l’exploitation des ressources, au niveau des pratiques environnementales…
L’Afrique deviendra sans aucun doute un environnement très concurrentiel. Dans ce nouvel espace évolueront des entreprises de tous horizons selon les règles économiques qui ont fait leurs preuves ailleurs.
En offrant à l’Afrique les outils d’un véritable développement économique, rien ne s’oppose à ce que, en conscience, les africains consentent à la France les ressources dont elle a besoin pour assurer sa propre croissance.
La Françafrique est donc devenue inutile et contreproductive. A travers l’élection présidentielle gabonaise, le président Sarkozy a l’occasion d’opérer un véritable changement dans les relations franco-africaines.
Ce changement passe par l’exigence d’un scrutin sérieux et transparent dans ce pays. Ce sera un symbole fort à l’endroit de tous les africains qui attendent que le président français amorce le changement qu’il leur a tant promis.
La Françafrique n’a plus droit de cité. Ensemble, français et africains doivent construire un nouveau partenariat.
Le président Sarkozy doit réitérer et conforter la nécessité d’un changement de type de gouvernance en Afrique. C’est dans l’air du temps et la France peut compter sur le soutien que lui apportera dans ce sens la jeunesse africaine.
Realchange
[1] En fait le terme Françafrique avait été « forgé par le premier président de la Côte d’Ivoire, feu Félix Houphouët –Boigny, pour magnifier l’imbrication de l’ex-métropole avec ses anciennes colonies. » cf. Antoine Glaser et Stephen Smith dans « Sarko en Afrique »p 9 – Plon 2008
[2] Lire Samuel Foutoyet « Nicolas Sarkozy ou la Françafrique décomplexée » p13 renvoyant aux propos tenus par Nicolas Sarkozy dans son discours de Cotonou du 19/05/2006
[3] L’association Survie France et ses partenaires ont mené plusieurs compagnes d’information et de sensibilisation au sujet des pratiques des réseaux français en Afrique. Plus d’info
http://www.survie.org
[4] Le système Françafrique a donné lieu à de nombreuses polémiques, à de multiples faits-divers concernant l’establishment français ; plusieurs procès ont eu lieu sur des plaintes en diffamation contre des auteurs de livre dont Xavier François Verschave pour « Noir, Silence », Xavier Harel « Afrique, pillage à huis clos ». D’autres procès ont porté sur des affaires plus que célèbres comme le procès de « l’Angolagate » ou « l’Affaire ELF. »
[5] Bernard Kouchner « La Françafrique, c’est fini…Il faut que les Gabonais trouvent leur président tout seuls » sur RTL le 17/06/2009. Voir ma réaction sur
http://www.lepost.fr/pageperso/realchange De la Françafrique à la France-Afrique : plaidoyer pour une nouvelle coopération.
François Xavier Verschave « La Françafrique » Stock, 1998
[8] cf. Le monde dans son édition du 27 avril 2008 « L’image très dégradée de la France en Afrique »