La guerre du Yémen, cet autre conflit par procuration entre l’Arabie Saoudite et l’Iran
La guerre civile qui a lieu au Yémen depuis des années n’attire guère l’attention de nos médias et c’est un tort. Trop occupés par leur “russian bashing” et la sauvegarde des islamistes dits “modérés” en Syrie face aux bombardements russes, nos “journalistes” ont tendance à se désintéresser des autres conflits.
En mai, une très forte explosion à Sanaa a eu un certain retentissement médiatique, la vidéo ayant été assez largement commentée sur Youtube. Certains évoquaient l’emploi d’une arme nucléaire tactique par les Saoudiens, et le Yémen a fait davantage parler de lui sur la toile.
Un petit retour sur le passé est nécessaire pour tenter d’y voir plus clair. Rappelons que le Yémen n’est unifié que depuis 1994, une unification qui s’est faite par les armes : le Yémen du Nord a envahi le Yémen du Sud après de longues négociations avortées. Le Yémen du Sud, bastion communiste depuis 1970, ne pouvait alors plus compter sur le soutien de la Russie post-soviétique d’Eltsine en pleine déliquescence. Aden avait servi de base à l’escadre soviétique de l’Océan Indien pendant les deux dernières décennies de la guerre froide.
Le pays, qui compte 25 millions d’habitants pour une superficie proche de la France métropolitaine, n’a jamais vraiment été stable depuis l’unification et la situation sur place est au moins aussi complexe qu’en Syrie. Le Yémen est devenu l’autre champ de bataille de cette guerre par procuration (formule crée par Zbigniew Brzeziński) que se livrent l’Arabie Saoudite et l’Iran, les deux « champions » du sunnisme et du chiisme, les frères ennemis de l'Islam.
Au nord-ouest du Yémen, c’est le pays de la minorité montagnarde Houthi, des Zaïdites (une branche du chiisme), qui compte pour environ 30% de la population du pays, et qui affrontait l’état yéménite depuis 10 ans avant de réussir à s’emparer de la capitale, Sanaa, le 21 septembre 2014. Le 5 février 2015, ils créaient le Comité révolutionnaire, pour succéder “provisoirement” au président Abd Rabo Mansour Hadi, comité dénoncé par les Etats-Unis et les monarchies du Golfe, tandis que le secrétaire des Nations Unies Ban Ki-Moon exigeait le retour de Hadi.
Les Houthis ont un slogan simple et omniprésent, peint au pochoir en rouge et vert sur les murs de la capitale : « Dieu est grand, Mort à l’Amérique, Mort à Israël, malédiction sur les Juifs, victoire de l’Islam. » Les Houthis ont été appuyés par une partie des forces armées yéménites sous les ordres du fils de l’ancien président Ali Abdullah Saleh qui s’était d’abord réfugié aux Etats-Unis après les “printemps arabes”, avant de se rallier aux Houthis. Les forces Houthis et leurs affiliés compteraient 120.000 combattants.
Au sud, les indépendantistes, qui haïssent les Houthis, voudraient faire d’Aden la capitale d’un état séparé comme par le passé. Dans les différentes provinces, on trouve une mosaïque de tribus sunnites, quelques minorités chiites, parfois en guerre contre le gouvernement de Hadi, souvent liguées entre elles contre les Houthis, parfois alliées à Al-Qaida (actif au Yémen depuis 1992), qui a pris le nom local d’Ansar al-Shari'a, et dont des éléments se sont ralliés au nouveau calife Al Bagdadi. Al Qaida et l’Etat islamique sont les plus virulents ennemis des Houthis à cause de leurs différences religieuses.
Comme si cela ne suffisait pas, les Saoudiens et leurs alliés, Qataris, Koweitiens, Emiratis, Egyptiens, Jordaniens, Soudanais, Marocains, Somaliens, font la guerre aux Houthis depuis le 25 mars, unis derrière la bannière du sunnisme. Les Américains et sans doute les Israéliens, leur apportent soutien logistique, l’intelligence et le renseignement, les images satellites et aériennes, l’appui de leur aviation et des drones.
Le 24 mars, après des rumeurs persistantes d’une intervention saoudienne, l’un des commandants Houthi avait déclaré que ses forces envahiraient l’Arabie Saoudite et qu’elles ne s’arrêteraient pas à la Mecque, mais qu’elles iraient jusqu’à prendre Riyad. La menace était prise très au sérieux par les conseillers du roi Salmane ben Abdelaziz Al Saoud.
Les Houthis ont été chassés d’Aden après 3 mois d’affrontements grâce aux contingents internationaux, ces mercenaires aux ordres des Saoudiens. L’ancien président du Yémen, Abd Rabbuh Mansur Hadi, réfugié à Riyad pendant quelques mois, a pu revenir à Aden après la victoire locale. Il en a fait sa capitale de facto. Le conflit s’est étendu dans le sud saoudien et dans l’ensemble du Yémen. Les Houthis, qui ne reçoivent pas d’aide militaire extérieure malgré l’appui moral de l’Iran et de la Syrie, ont infligé des pertes conséquentes aux Saoudiens équipés de matériel américain ultra-moderne, hélicoptères AH-64, chars M-1, transports de troupes Bradley, et des chasseurs F-15.
Les Houthis, rebaptisés Ansar Allah (les soutiens de Dieu) affirment qu’ils cherchent à établir une démocratie basée sur les revendications des printemps arabes, une république, avec des élections, et la possibilité donnée aux femmes de participer à la vie politique. Ils se disaient victimes de discrimination de la part du gouvernement et à la pointe de la lutte contre le salafisme dans la péninsule arabe. A ce jour, les Houthis contrôlent peu ou prou les territoires qui constituaient le Yémen du Nord.
Le rôle joué par les Etats-Unis est ambigu dans ce conflit. Il s'agit principalement de protéger les frontières sud de l'Arabie Saoudite des menaces Houthis et des combattants islamistes qui se combattent entre eux. Les Américains veulent aussi contrôler le détroit de Bab al-Mandeb, l’un des couloirs de navigations les plus importants et les plus stratégiques de la planète.
Le Yémen est le théâtre d’attaques de drones depuis 2002. Ces engins sont pilotés depuis une base gardée secrète en Arabie Saoudite, et depuis la base du Camp Lemonnier à Djibouti, l’ancien camp de la Légion étrangère, avec la présence d’au moins 16 drones Predator et MQ-9 Reapers. Depuis fin 2013 les drones ont été déplacés sur l’aérodrome Chabelley à une dizaine de kilomètres au sud-ouest de la capitale. Les missions sont dirigées par le Joint Special Operation Command (JSOC) et la CIA qui mènent une guerre secrète dans une douzaine de pays à base d’assassinats, d’enlèvements, et pratiquant la torture.
De 2002 à nos jours, The Bureau of Investigative Journalism a comptabilisé au moins 486 morts au Yémen dus aux activités conjointes de la CIA et du JSOC sans qu’il soit possible de déterminer avec plus de précision qui a ordonné quels assassinats.
(https://www.thebureauinvestigates.com/category/projects/drones/drones-yemen/).
De nombreux civils ont fait les frais des attaques des drones, et si au départ, les cibles étaient surtout des responsables ou combattants d’Al Qaida, les Houthis ont également été frappés, alors que les Américains avaient aussi des contacts avec les Houthis dans leur guerre contre Al Qaida. En résumé, les Etats-Unis s’attaquent donc aux islamistes salafistes, soutenus par les Saoudiens, mais aussi aux Houthis, leurs ennemis. On aurait bien du mal à identifier qui est considéré comme la cible principale par les Américains au milieu de ce chaos.
Cette guerre sanglante, qui mène le Yémen vers une possible partition, arrange les affaires de Riyad qui ne se gêne pas pour intervenir chez son turbulent voisin du sud. En effet, un Yémen unifié est considéré comme un danger par l’Arabie Saoudite, surtout sous la domination de la minorité chiite assez proche de l’Iran, le grand adversaire politique et religieux du royaume des Al Saoud. La guerre du Yémen c'est un conflit pour la suprématie du Moyen Orient, et c'est aussi un conflit qui risque d'entrainer, à terme, les grandes puissances. Les Etats-Unis y sont déjà impliqués, la Russie et la Chine pourraient s'intéresser de plus près aux affaires yéménites.
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