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Accueil du site > Actualités > International > La mode à petits prix, c’est fini ?!

La mode à petits prix, c’est fini ?!

Au Bangladesh, dont on ne parle généralement que pour ses catastrophes naturelles, les ouvriers du textile se rebellent contre un gouvernement qui a promis une revalorisation du salaire minimal. Ici ou ailleurs, les prix vont augmenter...

Depuis 1971, la population du Bangladesh a plus que doublé : 70 millions d'habitants en 1971, pour 164 millions aujourd'hui [source]. C'est près de trois fois la population française sur un quart de son territoire ! La vaste plaine alluviale dépourvue de massifs montagneux réunit deux des plus grands fleuves d'Asie, le Gange et le Brahmapoutre qui se jettent dans l'océan Indien. Ceux-ci transportent cependant de moins en moins d'alluvions, à cause des divers aménagements réalisés le long de leurs cours, en amont. La moindre tempête tropicale augmente le bilan déjà lourd de la mousson (entre 1.500 et 2.000 millimètres juin, juillet, août et septembre) et déclenche des inondations sévères. Les étés 2007 (Sidr) et 2009 ont apporté leur lot de destructions, sans rapport toutefois avec la catastrophe de l'automne 1970. En 2010, le Pakistan ex-occidental semble avoir davantage souffert que le Bangladesh [Ni toit, ni portes].

Au cours des deux premières décennies qui ont suivi l'indépendance, les autorités bangladeshies ont poursuivi un développement à l'Indienne, basé sur l'accroissement des terres agricoles et l'augmentation des rendements. Cette politique, un temps efficace, a toutefois favorisé le déboisement et le ruissellement, sans empêcher l'explosion urbaine de Dacca, la capitale économique et politique qui regroupe entre 12 et 15 millions d'habitants sur une zone en bonne partie inondable [voir plan]. L'exode rural alimente sans cesse les slums. Comme à Bombay [Candide en Inde], on anticipe déjà le cap des 20 millions [source]. Faute de terres cultivables, beaucoup d'enfants de paysans partent en ville pour trouver un emploi dans le textile. Celui-ci représente d'ores et déjà 80 % des exportations du pays. Le Bangladesh rattrape insensiblement l'Inde voisine [Du risque climatique lointain au risque terroriste immédiat].

Outre les problématiques habituelles du développement dans un pays aussi dense, le gouvernement doit lutter contre la corruption qui bat des records, le crime organisé, le terrorisme islamiste... La menace la plus médiatisée au nord reste le réchauffement climatique et l'élévation du niveau marin. A l'intérieur du delta, ou sur le trait de côte, l'espace agricole régresse à chaque tempête. Le sel pénétrant dans les nappes phréatiques transforme des champs en terres incultes. Il faut aller chercher l'eau potable à l'intérieur des terres. L'Etat ne dispose pas des moyens pour financer la construction de digues efficaces. Les villages se vident. Même les tigres royaux des Sundarbans fuiraient les plaines basses, faute de proies. Ils chercheraient de quoi se nourrir jusqu'aux limites des zones urbaines, alimentant les rumeurs d'agressions humaines [source].

Les tensions sociales préoccupent sans doute davantage encore les pouvoir publics. L'inflation rogne le pouvoir d'achat des citadins : le prix des matières premières alimentaires a cru de près de 11 % entre mai 2009 et mai 2010. Comme 40 % des Bangladeshis vivent encore avec moins d'un dollar par jour, et que la nourriture absorbe en moyenne 70 % de leur budget, l'envolée des prix du riz provoque la colère des habitants [source]. En février 2009, plusieurs unités garde-frontières (Bangladesh Rifles) se sont mutinées à Dacca, par simple vengeance contre leur hiérarchie, mais aussi au nom de revendications salariales. Les fonctionnaires réclamaient non seulement des augmentations, mais aussi la gratuité de leur repas. Le gouvernement a réussi à ramener le calme, mais le bilan est lourd. Entre 70 et 200 officiers auraient été assassinés [source].

En décembre, la contestation a gagné le secteur du textile : 3,5 millions d'ouvriers, en très grande majorité des femmes. Elles manifestent contre le gouvernement qui n'a toujours pas appliqué les promesses d'une augmentation du salaire minimal de 80 %. Les grèves insurrectionnelles ont d'ores et déjà provoqué la mort de plusieurs manifestants, la police ayant apparemment tiré à balles réelles sur la foule. Des milliers d'ouvriers ont quitté leurs usines du nord. Ils bloquent la circulation routière entre Dacca et Gazipur, une ville située dans la grande périphérie septentrionale de la capitale. On recense d'autres mouvements sociaux à Chittagong, dans la partie sud-orientale du pays. Des syndicalistes ont été arrêtés. Le sud-coréen Youngone a choisi d'interrompre sa production. Le groupe possède dix-sept usines au Bangladesh. Toutes les marques occidentales de l'habillement bon marché possèdent des ateliers au Bangladesh, au premier rang desquelles Wal-Mart, H&M, Zara ou Marks et Spencer. Certains s'en émeuvent [source]. D'autres voudraient le rapatriement de la production en Europe [source]. Il n'empêche que le succès des marques citées parle de lui-même.

Au Bangladesh, les marques occidentales devront payer leurs ouvrières 3000 taka au lieu de 1662 taka. Un mois pour trente euros. Les râleuses se plaignent. Le gain attendu ne les satisfait pas [source]. Un phénomène plus général se dessine dans le textile, et au-delà dans les industries utilisant une main d'œuvre bon marché et peu formée. Beaucoup de multinationales ont abandonné les provinces maritimes de la Chine, au profit de nouvelles terres de conquête. Mais les bassins d'emploi se raréfient. Dans les pays actuellement 'en phase d'exploitation' (Chine, Vietnam, Bangladesh, Inde) une tendance au renchérissement des coûts de production se manifeste [source]. Qu'elles répriment ou non les ouvrier(ère)s protestataires, les autorités de chacun de ses pays affrontent les conséquences de cet effet d'aubaine, c'est-à-dire la flambée des prix des matières premières ou du logement. Parfois s'ajoutent les contrecoups de la pollution ou de la dégradation de l'environnement. 

On observe ce phénomène depuis plusieurs années en Chine [Après l'ail, ouille !]. « L’inflation a bondi de 5,1 % en novembre en Chine, soit la plus forte hausse depuis juillet 2008 en raison de la flambée des prix des denrées alimentaires, qui représentent toujours près de trois quarts de l’indice des prix. Les prix du gingembre ou de l’ail affichent des hausses de plus de 60 % sur un an. Un sujet majeur pour les autorités chinoises qui s’efforcent de contrer la flambée des prix de l’immobilier mais sont plutôt démunies pour enrayer la hausse des produits alimentaires. [...] L’inflation gagne du terrain dans le domaine de l’habillement ou encore des loyers. 'Il n’y a pas de signe évident que l’inflation est sous contrôle. La pression demeure intense pour le gouvernement comme le montre la hausse du taux des réserves obligatoires des banques annoncée vendredi. Et il y a des réelles inquiétudes que l’inflation touche désormais d’autres secteurs de l’économie', analyse Xianfeng Ren chez IHS Global Insight à Pékin. » [source]

Faut-il s'attendre à des répercussions de la revalorisation salariale dans le nord développé ? Prenons le cas de la France. En 1960, un ménage consacrait 11,8 % de son budget à l'achat de vêtements et de chaussures. En un demi-siècle, cette part a baissé de moitié (4,7 % en 2006 / source) par l'effet conjugué de la délocalisation des ateliers dans des pays émergents comme le Bangladesh, et de la vente des vêtements en hypermarché ou dans des grandes enseignes spécialisées. Même dans une industrie susceptible d'utiliser une matière première disponible en France - le cuir - la part des importations s'approche désormais du seuil symbolique des 50 % [source]. Plus on s'habille bon marché au nord, plus on contraint les coûts de main d'oeuvre au sud. Cet enrichissement 'sans rien faire', les consommateurs du nord l'ont considéré comme acquis. Beaucoup de Français disent même subir une érosion de leur pouvoir d'achat sans distinguer dépenses constantes et dépenses contraintes [source]. La BCE pourchasse une inflation bien faible [source], tandis qu'elle semble sous-estimer les tendances déflationnistes du moment, en partie sous la pression des dirigeants allemands [source]. Celles-ci se manifestent durement en France [source].

Entre les angoisses de riches et les inquiétudes de pauvres, il y a visiblement un profond Daccalage...

Incrustation : Dacca.


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13 réactions à cet article    


  • LE CHAT LE CHAT 14 décembre 2010 12:59

    le prix de revient ne constitue qu’une faible part du prix d’un vêtement , les coûts logistiques et les marges commerciales sont bien plus importants ....


    • asterix asterix 15 décembre 2010 10:43

      Entièrement d’accord avec toi, cela ne m’arrive pas souvent !


    • kéké02360 14 décembre 2010 15:06

      Les peuples qui se révoltent un peu partout dans le monde accompagnent la fin de l’ultra libéralisme !!!!

      Le Bank run une façon comme une autre de dire aux << spéculateurs >> d’aller se rhabiller à petits prix smiley


      • Stupeur Stupeur 14 décembre 2010 17:08

        Merci Bruno, pour ces informations très intéressantes. 

        Les marques à succès font leur beurre sur le dos de femmes exploitées...
        Nous sommes un peu responsables si nous achetons leurs vêtements, et d’un autre côté, ces femmes ont besoin de ce travail pour survivre. 
        Il y a quelque chose de pourri au royaume de la mondialisation... * smiley
         
         

        • ddacoudre ddacoudre 14 décembre 2010 17:16

          bonjour bruno

          pas grand chose à rajouter, autant la gouvernance mondiale est une absurdité, autant le libéralisme capitalistique sans régulation creuse les fractures qui se colmatent un jour ou l’autre. et pour les réduire nous nous voulons par la gouvernance mondiale assoir le « libéralisme capitalistique »comme solution aux maux qu’il génére.

          cordialement.


          • clostra 14 décembre 2010 19:09

            Bel exemple de la société de consommation qui a fait long feu.

            On va revenir à ces bonnes vieilles affaires (ces bons vieux vêtements) qui se bonifient en vieillissant, celles qu’on rentre en fin d’hiver ou qu’on ressort au printemps...

            Avant, il va falloir expliquer aux générations qui n’ont pas connu les ourlets aux manteaux qu’il n’y a de décroissance que parce qu’il y a eu croissance et stupidité (stupeur et tremblement).

            Lille Roubaix et Tourcoing vont renaître de leurs cendres, la « toile d’avion », Boussac (heum, enterré) et tous ces chemisiers increvables ! Le tweed, les deufelcôtes ... On va enfin pouvoir parler chiffon avec nos petits enfants !

            Dommage ! dans cette affaire, le Bangladesh aura disparu sous les flots...Faute d’avoir su devenir capitale mondiale des feux de Bengal, sa véritable destinée...un marché colossal !


            • Marc Bruxman 14 décembre 2010 20:08

              Bel article, mais ce qui est fini n’est pas la mode à petit prix. On sait automatiser le textile depuis longtemps et produire à pas cher. Seulement délocaliser c’était encore moins cher (encore que c’est discutable) et surtout ca ne nécéssitait que très peu d’investissement. Finalement si tu places les 3M€ de CAPEX que tu aurais du investir dans des bécannes, tu fais plus de fric qu’avec tes ouvriers du Bengladesh). 


              Dans tous ces pays de délocalisations, le niveau de vie est monté malgrès tout et effectivement, ils ne pourront plus payer 30$ par mois un ouvrier. Sauf que, il existe un stade qui sera rapidement atteint ou de telles usines à sueurs ne peuvent plus subsiter. Elles fermeront. Et alors soit une usine automatisée ouvrira ailleurs, soit une autre usine à sueure ouvrira encore ailleurs. 

              En Chine déja, dans le Guangdong, bcp d’usines ne parviennent plus à recruter. Elles ne peuvent pas monter les salaires sinon elles ne sont plus rentables. Et les mingong ne veulent plus venir y travailler car les salaires ne leur permettent plus de vivre en ville. Alors les usines ferment à l’est et ouvrent à l’ouest, la ou la pression des prix reste supportable. Mais au rythme ou ca va dans dix ans, le même problème épineux se posera plus loin dans le pays. Au moins chez eux, le niveau d’éducation est globalement convenable et il sera possible de recycler une partie des travailleurs pour quils fassent un meilleur boulot qui payera mieux (et justifiera son salaire). Mais il restera la masse de gens sans formation dont on ne saura que faire et qui va poser la bas comme ici de plus en plus de problèmes. 

              La société de consommation en va pas crever loin de la. Avant, elle pouvait donner quelques miettes à des gens non formés et les sortir de leur misère. Elle risque pourtant bientôt de rejeter au loin tout ceux qui n’auront pas pris le train à temps. 


              • Marc Bruxman 14 décembre 2010 20:12

                Et pour ceux qui me prendraient pour un fou : 

                http://www.cultofmac.com/foxconn-stops-suicide-compensation-payments-plans-automated-facilities-in-taiwan-or-vietna/46298

                Les salariés de Foxconn ont été augmentés. Foxconn va se lancer dans l’automatisation (ce qu’ils n’ont jamais vraiment fait). Il y a un million de salariés chez Foxconn aujourd’hui, combien y en aura t’il demain ? Probablement une fraction et certainement pas des petites mains. 

                Remarquez que Foxconn ne prend pas l’option d’aller à l’ouest, ils savent que cela ne sert à rien. L’heure du cheap labor est finie. Et il n’est pas dit que cela arrange la situation des pays en développement. 

                Question 2 : Il reste plus de 500 millions de paysans à urbaniser en Chine, comment cela va t’il être possible sans ce genre de boulots sous payés ? 


                • Bruno de Larivière Bruno de Larivière 14 décembre 2010 23:05

                  A priori, la remarque du ’Chat’ est la plus crédible... En gros, la part du producteur dans le prix final d’un vêtement est bien moindre que celle des intermédiaires. A ce titre, il n’y a pas d’effet spectaculaire à attendre sur les étiquettes. Quant à l’avenir, il n’est écrit nulle part. La fin de la société de consommation ? La révolution des paysans chinois ?
                  La déflation me semble représenter une menace plus immédiate en Europe et en Amérique du nord. Mais je le répète, c’est un problème de riches...
                  Bonne soirée !


                  • clostra 15 décembre 2010 09:56

                    Pas d’accord ! ce n’est pas qu’un problème de riches !
                    On détourne un pays de ce qu’il sait le mieux faire au risque de lui faire perdre son originalité et sa culture, ce qui en définitive - c’est ce que vous dites - ne l’enrichit pas et ensuite on le laisse choir.


                  • Marc Bruxman 19 décembre 2010 02:47

                    Effectivement le coût de production est quasi insignifiant dans le prix de vente de la plupart des produits. Autant une hausse des matiéres premiéres se ressent, autant même si il fallait doubler la paie des ouvriers chinois, vous ne le sentiriez quasiment pas. Le cout de production pur (hors achat des matières premiéres) ne dépassent souvent pas 3% du prix de vente total.

                    Par contre si ces ouvriers nombreux se mettent à plus consommer car ils sont mieux payés, vous allez le sentir sur le prix des matiéres premiéres et cela va faire mal.

                    Pour qu’il y ait déflation par contre, il faudrait que la masse monétaire en circulation diminue et c’est assez peu probable.


                  • Le Vieux 19 décembre 2010 09:15

                    alors , si un gouvernement en France exigeait que tous les produits importés soit en double étiquetage :

                    1 Le prix d’achat du commercant au producteur étranger

                    2 le prix de re vente pour nous consomateurs.

                     Imaginez les cris dans les galeries marchandes !!!
                    Sans parler des magasins de « marques » ou les gens friqués demanderaient la tete des commerçants.

                    Rajoutez à cela le retour au Franc , les artisans et professions libérales qui depuis l’euros se gavent auront du mal à fourguer leur prestations surévaluées.


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