La mort de Ben Laden : info ou intox ?
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« Justice est faite. » C’est en ces termes que le président Barack Obama a officialisé la mort de Ben Laden, l’ennemi public numéro 1. Accusé par les États-Unis, d’être le commanditaire des attentats du 11 septembre, qui ont fait 3000 victimes et redessiné la carte du monde. 10 ans de traque pour se débarrasser du moudjahidine. Loin de faire l’apologie du terrorisme ou de regretter sa disparition, difficile de faire l’économie sur le traitement de l’affaire.
D’abord ces scènes de liesse dans les rues américaines, au cri de « USA, USA » qui ne sont pas sans rappeler les « youyous » des Palestiniens, dans les camps de réfugiés à Gaza en 2001. A l’époque, on pointait la cruauté de ces « gens-là », leur manque de pudeur que d’aucuns expliquaient par leur religion. Ou une « barbarie » inhérente à leur nature.
Force est de constater que l’histoire tourne et que les hommes restent les hommes, par delà les « déterminismes. »
Ensuite, les réactions maladroites des diplomaties occidentales qui n’ont pu s’empêcher d’entonner le refrain du choc des civilisations. L’Italie a parlé « de victoire du bien sur le mal », reprenant le messianisme de George.W Bush. L’Allemagne de « Bonne nouvelle. » Une façon Outre-Rhin, dans la confusion des mots, de jouer sur les registres culturels. Où politique et théologie s’unissent pour le meilleur… et pour le pire.
On peut comprendre le soulagement des décideurs, leur soif d’en finir avec la violence. Mais faire de l’euphorie le maître mot pour résumer ses sentiments, relève de l’indécence, laissant augurer le pire pour l’avenir. Les erreurs de communication de la Maison Blanche sont terrifiantes. Elles risquent de radicaliser des groupuscules, contrairement aux oraisons de quelques « experts » qui prédisent la fin de l’islamisme politique.
Ce qui frappe le plus, c’est le double langage porté au plus haut sommet de l’État. Au départ, le pouvoir parle de « capturer » Ben Laden et « le présenter devant la justice » pour que celui-ci réponde de ses crimes. La suite : on la connaît. Les commandos reçoivent le feu vert de Washington pour éliminer l’activiste. On voit bien les limites du légalisme, son détournement à des fins électoralistes.
L’expression « justice est faite » glace tout démocrate, digne de ce nom. Les actes imputés à son organisation ou les propos tenus par le chef d’al-Qaïda ne doivent pas servir de prétexte pour justifier un assassinat. Cette opération que le pouvoir présente comme « une réussite », consacre la mise en parenthèse de l’État de droit, son ajournement… Son mépris. Le pays « le plus puissant du monde », symbole du droit positif et des libertés, recourt au « crime » pour honorer ses morts. A la liquidation extra-judicaire pour venger une nation, restaurer un honneur. Effaçant l’affront perpétré sur son sol et à ses ambassades.
On ne peut faire justice soi-même. Encore moins se substituer à des organes spécialisés. Étrange retour à un État théocratique. Des pratiques qui s’accommodent mal avec l’esprit des lois, les textes… gages de modernité, de civilisation, répète-t-on aux kamikazes.
Des zones d’ombre inondent l’intervention américaine, au plus grand malheur de la « raison. » Pour expliquer la mort de Ben Laden, on parle « d’échanges de tirs. » Des dépêches avancent le fait qu’il était armé. Quelques heures plus tard, on apprend qu’il ne l’était pas.
On croit les services de renseignements pakistanais impliqués dans l’opération. Barack Obama salue la « coopération » entre les deux pays… Puis, on découvre au fil de la chronologie et de la danse de l’information, qu’il n’en est rien. Pire : le Pakistan déplore une « atteinte à sa souveraineté ». Des voix s’élèvent, ici et là, pour condamner les méthodes employées. Aucune image de l’assaut pour étayer la version officielle.
Et comme si la confusion ne régnait pas assez, des journalistes après vérification, expliquent que « la photo », preuve de la mort du commandeur, s’avère être… en définitif un montage ! Forte de sa capacité à produire du trouble, l’administration américaine donne du grain à moudre aux « conspirationnistes » en déclarant avoir jeté le corps de Ben Laden à la mer, selon « les rites de sa religion » (sic). Mais ne précise pas le lieu de l’immersion tenu « secret. »
En l’espace de quelques heures, Washington a tout fait pour que le monde doute du récit. Ces faits, loin d’être anecdotiques, en disent long sur les liens « particuliers » qui unissaient la CIA et l’homme le plus recherché de la planète.
Ben Laden meurt et avec lui tous ses secrets… La Maison Blanche n’avait pas intérêt à instruire son procès, en faire la publicité. Il en savait beaucoup trop sur les coulisses de la diplomatie, sa géopolitique, ses réseaux, ses entrelacs. Il était trop gênant pour le pouvoir… l’équilibre des forces. Le faire parler, c’était ouvrir la boîte de pandore, s’aliéner l’opinion internationale, la confiance des Américains. Alors qu’il eut été plus pertinent de l’interroger pour démanteler l’organisation et en finir avec l’idéologie de l’insécurité. Tant utilisée par les gouvernements pour entériner des lois liberticides.
Comment ne pas être choqué par des responsables politiques qui dénient à Ben Laden le droit d’avoir un procès équitable ? Une « démocratie » qui piétine ses principes pour préserver ses intérêts, ses dossiers, ses sources. On ne répond pas au crime… par le crime. Tout homme, aussi immonde qu’il soit, n’en déplaise aux idéologues de la loi du talion, a le droit de mourir dans la dignité. Jeter « la dépouille » de Ben Laden à la mer ressemble, à s’y méprendre, à une mauvaise production hollywoodienne.
Étrange aussi de voir des Pro-life remercier Dieu d’avoir tué « la bête. » Si la civilisation espère triompher du « mal », elle doit se démarquer des méthodes qu’elle condamne chez les autres. Ne pas offrir le spectacle d’une culture tiraillée entre le monopole de « la violence légitime » et le tribalisme dérogatoire. Jamais les frontières entre une puissance exorbitante de droit commun et une organisation criminelle n’ont été autant perméables…indifférenciées.
Singulier d’entendre des élus, des journalistes, nourris au lait de la démocratie, laudateurs devant l’éternel, soutenir des raids hors frontière, cautionner des carnages, s’exonérant au passage des valeurs qu’ils imposent ailleurs, sans état d’âme.
Rien ne justifie l’imitation. Encore moins lorsqu’on se prévaut d’incarner « le bien », la liberté. On ne doit pas agir en cow-boy. Faire le procès du terrorisme, c’est s’imposer des règles strictes de conduite. S’y tenir, malgré les pressions. Et ne pas instrumentaliser des victimes à des fins de politique étrangère…intérieure. Le droit est incompatible avec la compassion, la rancune, la vendetta.
On croyait Obama légaliste, procédurier. On découvre un calculateur, adoubé par des Républicains qui, désormais, font l’éloge de ses « tripes » au Congrès.
En attendant, on ne sait toujours pas si Ben Laden est mort.
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