La nouvelle guerre des Malouines
Il y a presque 28 ans se jouait dans l’Atlantique Sud la dernière guerre navale du XXe siècle. La guerre des Malouines ainsi qu’on la nomme en France voyait s’affronter deux puissances en mal de reconnaissance, d’un côté l’Argentine de la junte et de l’autre le Royaume-Uni alors dirigé par la Dame de Fer. L’envahissement du petit archipel par les forces argentines au début de l’année 1982 allait marquer le début de la dernière grande démonstration de force navale entreprise unilatéralement par un pays européen : l’Operation Corporate, rebaptisée par les médias britanniques l’Empire Contre-attaque.
Même si Borges a par la suite décrit ce conflit comme « deux chauves se battant pour un peigne », les Malouines, hors de tout contexte de politique intérieure argentine ou britannique, revêtaient un intérêt stratégique certain. Militairement d’abord, pour une nation qui se rêvait alors encore empire, la possession des Malouines affirmait l’autorité chancelante de sa gracieuse majesté dans l’Atlantique sud, à proximité de l’Antarctique riche en ressources naturelles. De plus les Malouines elles-mêmes se révèlent maintenant être riches en matières premières énergétiques et plus spécialement en pétrole.
Aujourd’hui, alors que les Argentins n’ont jamais accepté la perte de l’archipel, un nouvel acte est en train de se jouer pour la possession de ces stratégiques rochers couverts d’une lande clairsemée. En effet, la Geological Society of London annonce qu’il y aurait sous les eaux bordant l’archipel un « trésor » de 60 milliards de barils de brut attendant d’être exploité. Aux vues des cours actuels du pétrole et des difficultés que rencontre le Royaume-Uni dans ses exploitations d’hydrocarbures de Mer du Nord, la mise en service, bien que coûteuse, de ces nouveaux champs pétrolifères redonnerait de l’air à une économie particulièrement impactée par la crise. Le gouvernement Brown, critiqué pour sa gestion de la crise financière, pourrait trouver ici une nouvelle source de liquidités qui seraient forcément les bienvenues.
Toutefois ce serait sans compter sur l’Argentine, elle aussi alléchée par la promesse de ce pactole. Certes nous ne sommes plus aux temps d’une junte militaire conquérante désireuse de redorer son blason par une action d’éclat extérieure, néanmoins la situation du pays n’est pas très brillante. L’Argentine reste dirigée par une classe oligarchique qui, cachant sous le vocable de péronisme ce qu’on nommerait partout ailleurs du clientélisme forcené, fait fuir tous les investisseurs étrangers par la corruption galopante qu’elle instaure dans le pays. Les Kirchner sont ainsi de plus en plus contestés par une population qui prend conscience des ravages qu’à fait la crise dans un pays qui souffre de très graves difficultés économique depuis près d’une décennie.
Ainsi le gouvernement argentin, aiguillonné par Hugo Chavez, spécialiste sud-américain ès pétrole et déclarations provocantes, veut à tout prix empêcher une exploitation britannique du pétrole sous-marin des Malouines. La tension monte entre Londres et Buenos Aires et, même si l’on est très loin d’une réédition de la guerre des Malouines, les gouvernements européens et sud-américains commencent à regarder avec attention et appréhension les mouvements des deux protagonistes, surtout qu’un premier navire d’exploration-production doit bientôt arriver à Port Stanley.
Ce conflit, géoéconomique à l’heure actuelle, n’est pas sans rappeler d’autres situations comme celle de la dispute autour des îles Spratly. Les archipels des îles Spratly et Paracel se situent en mer de Chine méridionale et, potentiellement très riches en hydrocarbures, font aussi l’objet d’une compétition acharnée entre la Chine, le Vietnam (soutenu par la Russie), les Philippines (soutenues par les USA), la Malaisie, Taiwan et Brunei. Les déploiements de navires de guerre, manœuvres conjointes et autres occupations militaires d’îlots sont ainsi le quotidien de la Mer de Chine depuis quelques années, en espérant que l’escalade s’arrête à ce stade.
Alors que le marché des hydrocarbures devient de plus en plus tendu, la recherche de nouvelles sources d’approvisionnement prend l’aspect d’une véritable lutte pour l’indépendance énergétique voire pour la survie économique. Dans un tel contexte deux options se profilent : l’exploitation des abondantes ressources non-conventionnelles, citons pour le gaz les shale gas, thight gas ou coalbed methane (1), ou l’affrontement pour les nouveaux gisements. Comme ces derniers se trouvent la plupart du temps offshore, c’est aussi une question de souveraineté territoriale qui est soulevée. Beaucoup d’Etats n’ayant pas ratifié ou remettant en question la convention de Montego Bay de 1982 définissant les zones économiques exclusives, les contestations sur la propriété de ces gisements sont de plus en plus courantes.
Pour l’instant aucun de ces affrontements géoéconomiques ne s’est transformé en guerre chaude. Toutefois il n’est pas à exclure que dans un contexte de tension grandissante sur le marché des énergies fossiles, on assiste à nouveau au déploiement d’une escadre navale de taille conséquente. La guerre des Malouines de 1982 avait fait près de 1000 morts ; étant donnés les progrès de l’armement, une nouvelle guerre pourrait être bien plus dévastatrice.
(1) International Energy Agency, World Energy Outlook 2009, Paris, 2009, p.390 et suivantes.
Auteur : Nicolas Mazzucchi, Equipe unasur.Fr
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