La Paix de l’Europe dépend de la Biélorussie
C'est un petit pays que l'on oublie facilement, à l'ombre de sa grand-soeur russe. La Biélorussie est un pays nostalgique de l'Union soviétique, caricatural par certains aspects. Pourtant, une connaissance approfondie de son histoire permet d'apprécier l'habileté avec laquelle ses dirigeants s'efforcent de conserver leur souveraineté, et la paix de l'Europe.
On plaisante souvent sur la Biélorussie, le « dernier parc à thème soviétique », comme d'un pays gelé à l'époque de Brejnev. Il est vrai que le pays est membre-fondateur de l'Union Économique Eurasiatique (UEEA), qui regroupe les fidèles de Moscou ; son dirigeant, nostalgique déclaré de l'URSS, exerce un pouvoir autoritaire et l'économie du pays est encore dirigée par l'État.
Il est vrai également que la Biélorussie, fleuron de l'industrie lourde soviétique d'après-guerre, a été relativement épargnée par le chaos « capitaliste » qui a secoué la Russie à la chute de l'URSS. Au référendum de mars 1991, plus de 80 % des Biélorusses voulaient conserver l'Union soviétique. Un autre référendum, en 1995, autorisait le président à restaurer l'ancien drapeau de l'ère soviétique et imposer le russe comme langue officielle du pays.
Minsk n'a jamais autorisé une perestroïka. Les quelques opposants, réduits au silence, discrètement éliminés parfois, n'ont pas convaincu la rue. En 2010 et en 2017, des manifestations importantes ont tout de même eu lieu, protestant contre les fraudes électorales du président Loukashenko ou les difficultés économiques croissantes. Mais l'opposition a été aisément muselée. La Biélorussie peut bien être considérée comme une relique du passé soviétique, les Biélorusses, libres de sortir du pays à leur guise ou d'accéder à internet, n'en ont cure.
Le manque de réforme de l'économie biélorusse, précisément, lui a permis de survivre plutôt bien au chaos des premières années post-soviétiques. Sa généreuse grande soeur russe, reconnaissante, lui a livré du pétrole et du gaz à des prix imbattables. Cette énergie a été habilement réexportée, avec d'énormes plus-values, sur les marchés en Europe. Ainsi, en 2015 encore, les produits pétroliers raffinés représentaient 26 % des exportations de la Biélorussie, alors que le pays est non producteur.
Le secteur privé biélorusse (25 % du PIB) est, étonnamment, assez compétitif ; en particulier les technologies de l'information, grâce à l'excellent niveau scientifique et technique dispensé dans les universités pendant la période soviétique.
Le gouvernement de Minsk a tout de même des dossiers difficiles à régler. Tout d'abord, les prix du pétrole baissent, faisant entrer moins d'argent dans les caisses de l'état et Moscou exige, désormais, le remboursement de la dette biélorusse sur le gaz.
Le gouvernement pourrait privatiser ses grandes entreprises d'état pour libérer son économie. Mais, outre que cela ferait perdre la sécurité de l'emploi à des milliers de Biélorusses, avec des conséquences sur la paix sociale, les repreneurs seraient probablement russes. Or, la Biélorussie a un besoin vital de garder ses distances avec Moscou.
L'opinion biélorusse est très attachée à la Russie, considérée comme le partenaire le plus fiable pour résoudre les problèmes économiques du pays. Mais les dirigeants, eux, savent qu'ils doivent maintenir une relation équilibrée entre leurs voisins à l'est et à l'ouest.
Les forces armées biélorusses, par exemple, ont pu être considérées comme une armée supplétive de l'armée russe, beaucoup d'officiers biélorusses ayant été formés en Russie. Pourtant, la nouvelle doctrine militaire, en 2016, soulignait la nature strictement défensive de l'armée biélorusse. Le document affirme explicitement que l'OTAN, comme la Russie, représentent des menaces majeures pour la sécurité, la souveraineté et l'intégrité territoriale de la Biélorussie. Pour Moscou, le message est clair : Minsk n'est plus un allié militaire obligatoire.
Le président Loukashenko, après la guerre russo-géorgienne de 2008, a critiqué l'annexion de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud par Moscou, comme l'annexion de la Crimée en 2014. Il a refusé, à plusieurs reprises, de laisser les Russes installer une base aérienne dans l'ouest de son pays. Il doit être prudent, la guerre à l'est de l'Ukraine, les pressions russes sur l'Arménie pour l'empêcher de signer un accord avec l'Union européenne, sont des avertissements clairs : Moscou empêchera ses États satellites de se soustraire à son influence, par la force des armes si nécessaire.
La Biélorussie est un territoire stratégique pour la Russie et l'OTAN. Le contrôle de son territoire permet de fermer le seul lien terrestre entre les États baltes et le reste des forces de l'OTAN. Si la Russie et l'OTAN s'affrontaient, la Biélorussie serait, obligatoirement, leur champ de bataille.
Or, aucun pays d'Europe n'a autant souffert que la Biélorussie dans les précédentes guerres européennes. En raison de son emplacement critique entre l'Europe et la Russie, la Biélorussie a été l'une des principales voies de l'invasion hitlérienne de l'Union soviétique en 1941, comme de l'invasion napoléonienne en 1812. Il est compréhensible que les Biélorusses n'aient pas envie de revivre ces heures tragiques. Ils procèdent donc, avec habileté, à une politique ambiguë afin de ne donner aucune chance à aucun des deux camps de faire la guerre malgré elle. Nous avons tous intérêt à ce que la Biélorussie reste comme elle est.
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