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La pègre brésilienne lutte pour plus de liberté... dans les prisons

La crise de violence urbaine à Sao Paulo vise à restaurer la liberté de contrôle des chefs de gang à partir des prisons.

La crise de violence urbaine à Sao Paulo vise à restaurer la liberté de contrôle des chefs de gang à partir des prisons.

Une nouvelle explosion de violence urbaine a éclaté depuis le 11 juillet au Brésil, principalement dans l’Etat de Sao Paulo.

Il y a deux mois déjà, une première action avait été parfaitement organisée par le PCC (Primeiro comando da capital), organisation mafieuse représentant un "syndicat" des prisonniers, occasionnant près de 300 attentats divers à Sao Paulo : attaque de commissariats de police, divers incendies de supermarchés, de banques et surtout d’omnibus. Le prétexte : le chef du PCC, incarcéré dans une prison commune, devait être transféré dans des quartiers de haute sécurité, pour tenter d’empêcher tout contact avec son organisation.

Le but de ces actions est simple : faire pression sur le gouvernement local afin de récupérer le droit de communiquer facilement à leurs organisations, à partir des prisons, les ordres des chefs de gangs incarcérés. Il est notoire que ceux-ci continuent impunément à diriger leurs "affaires" à l’aide de téléphones portables depuis leur cellule.

Depuis cet épisode sanglant, de nouveaux facteurs sont venus s’ajouter aux prétextes "officiels" pour de nouvelles attaques :

- Après une révolte ayant abouti à la quasi-destruction des infrastructure de leur prison, près de 800 prisonniers ont été laissés à l’air libre dans une des quatre cours de cette prison, sans aucun confort, dormant sur le sol, la nourriture leur étant jetée par-dessus les murs par leurs gardiens, sans assistance sanitaire pour les malades et avec un seul WC dans la cour pour toute "hygiène".

- Des dispositifs bloquant les téléphones portables sont en train d’être installés dans toutes les prisons, sur ordre de la Justice fédérale.

- Une liste secrète de 40 leaders du PCC et d’autres organisations mafieuses devant être transférés dans des quartiers de haute sécurité a été malheureusement dévoilée.

- L’arrestation d’un des hommes forts du PCC, Emivaldo Silva Campos, organisateur des actions du PCC dans la banlieue industrielle de Sao Paulo.

La réaction du PCC ne s’est pas fait attendre.

- En dix jours, 15 gardiens de prison ont été sommairement exécutés à leur domicile ou sur le chemin de leur travail. Ceux-ci sont, depuis hier, officiellement autorisés à être armés en permanence, même en dehors des prisons.

- De même, certains policiers ont été pris pour cible, le cas le plus bouleversant étant l’assassinat de sang-froid du jeune fils d’un enquêteur à Sao Vicente.

- Enfin, depuis hier, près d’une centaine de nouveaux attentats, la plupart perpétrés de nuit, ont visé des commissariats, des supermarchés et des banques. Près d’une trentaine d’omnibus ont été incendiés, dont certains avec les passagers à l’intérieur, sans faire de victime heureusement (un bébé a été néanmoins grièvement brûlé).

Ces attaques ont provoqué la mort de six personnes (un policier et sa sœur, trois gardes privés et un garde municipal).

Elles ont également occasionné une paralysie presque totale des transports en commun, les compagnies privées (gérant la flotte d’omnibus) préférant laisser ceux-ci dans leur garage, ce qui a mis près de 5 millions d’utilisateurs à pied.

Il faut savoir que l’essentiel des transports à Sao Paulo passe par ces omnibus, le métro ne couvrant pas toute la ville et le réseau ferroviaire étant inexistant. Donc le blocage de ces transports provoque de facto le blocage économique de la capitale tout entière !

Les répercussions politiques sont importantes, en cette année d’élection présidentielle. L’ex-gouverneur de Sao Paulo, Geraldo Alkmin, du PSDB (centre droit), candidat à la présidentielle, est mis évidemment en cause par le PT (Parti des travailleurs du président Luiz Inácio Lula da Silva). Le gouvernement fédéral a proposé la mise à disposition de ses forces d’intervention nationale pour aider la police civile et militaire de Sao Paulo, mais le secrétaire de la Sécurité publique refuse, alléguant que les 5000 policiers non entraînés de ces forces spéciales n’ajouteraient pas grand chose aux 130 000 policiers déjà actifs dans la capitale.

Comme le gouverneur intérimaire de Sao Paulo a eu le malheur de déclarer, il y a quelques jours, que "le PCC ne domine plus dorénavant les prisons de l’Etat", le PT a beau jeu de railler la gestion de la crise par le PSDB, et de critiquer le refus du gouverneur d’accepter l’aide fédérale.

Devant un tel courant de terrorisme, les solutions à courte échéance sont quasiment inexistantes. Grâce au trafic de drogues, appuyé sur une forte corruption des policiers et de l’administration en général, les mafias de Rio et Sao Paulo - n’ayant pas grand-chose à perdre et prêtes à mourir pour leur combat - disposent de moyens importants, tant en hommes qu’en armes et argent.

De plus, dans une mégalopole comme Sao Paulo, où vivent près de 20 millions d’habitants dont les deux tiers au seuil de la pauvreté (salaire moyen de 100 dollars par mois), il est aussi facile, pour la pègre, de recruter de nouveaux trafiquants attirés par le gain d’argent facile, que difficile pour la police de contrôler cette immense population.

Fait aggravant, l’image de la police est très mauvaise au Brésil  : les policiers, mal payés, sont massivement corrompus, peu enclins à respecter les droits de l’homme (ils tirent d’abord et discutent après). Une grande partie de la population pauvre préfère souvent avoir affaire au trafic organisé, très proche de leur vie quotidienne et qui leur apporte au moins de quoi vivre, plutôt qu’à la police, qui n’a pas su s’intégrer à la population.

De même, la Justice fonctionne mal, de nombreux riches criminels se retrouvant libres grâce à des « habeas corpus » subtilement distillés par des juges dont l’intégrité est mise en cause, mais c’est difficile à contrôler. Les différentes organisations judiciaires (municipales, des Etats et du gouvernement fédéral, la Cour suprême, sans oublier la justice du travail et la justice électorale) se battent en duel à coup de « liminaires », chaque décision d’un juge ou d’un tribunal étant modifiée ou annulée par un autre juge ou une autre cour.

Egalement, les derniers scandales financiers mettant en cause les politiques à des échelles diverses (depuis les élus municipaux jusqu’aux députés et sénateurs) font perdre confiance aux Brésiliens sur une résolution politique ferme de la crise. Le langage contradictoire et les mensonges des responsables politiques de cette crise, liés au refus désespéré d’admettre leurs vrais raisons de fond (mauvaise gestion, corruption), sont mis en valeur par la presse, et les Brésiliens ne savent plus sur qui compter, se positionnant de plus en plus dans un état de résignation où le « chacun pour soi » prend chaque jour plus d’importance. Certains responsables sont même suspectés de négocier directement avec le PCC pour étouffer la crise, au moins avant les élections (et c’est d’ailleurs le but principal du PCC).

Ainsi, on peut donc s’attendre à de nouvelles ondes de violence dans les mois qui viennent, les seules solutions restant à très longue échéance, et passant par un enrichissement de l’économie permettant la mise en place d’une police plus efficace, l’infiltration des groupes terroristes et des diverses mafias de la drogue, une éducation gratuite et fonctionnelle (certaines écoles reçoivent des ordinateurs alors qu’elles n’ont plus de toit et sont sans électricité) et surtout une lutte très sévère contre la corruption active et passive.


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3 réactions à cet article    


  • Alain Rojo Alain Rojo 18 juillet 2006 00:31

    En effet, mon article n’est pas très clair à ce propos. Je voulais dire que le prétexte invoqué par le gouverneur de Sao Paulo pour ne pas utiliser ces forces spéciales est qu’elle ne sont pas entrainées pour les actions de police urbaine, et n’ont pas l’expérience de la police municipale de Sao Paulo. Je ne peux me prononcer sur cet opinion, ne connaissant pas la qualification exacte de ces « Forces Spéciales ».


  • D.Durand (---.---.114.103) 20 juillet 2006 21:33

    Excellent article. Mais terrifiant.


    • alain rojo (---.---.115.115) 20 juillet 2006 23:04

      Merci M. Durand.

      Terrifiant oui, car une fois de plus il est prouvé qu’un terrorisme bien organisé arrive à paralyser des économies entières, et que les démocraties restent impuissantes face à ce phénomène.

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