La politique étrangère du couple Obama-Clinton restaurera-t-elle le multilatéralisme ?
Alors que Barack Obama entrera officiellement en fonction mardi prochain, sa future secrétaire d’Etat, Hillary Clinton, s’est exprimée mardi dernier à propos des orientations de la future politique étrangère des Etats-Unis ; une politique qui suscite une immense attente dans le monde entier. Elle se veut en rupture avec celle des néo-conservateurs menée par Bush et verrait donc le retour au multilatéralisme. Faut-il croire à une révolution dans la diplomatie américaine ? Et que pouvons-nous réellement attendre de la prochaine politique étrangère d’Obama et Clinton ?
Comme le veut l’article 2 de la Constitution américaine, « Il (le président) nomme les hauts fonctionnaires et les juges fédéraux, avec l’approbation du sénat. », Hillary Rodham Clinton s’est présentée mardi 13 janvier devant le Sénat afin que sa nomination en tant que Secrétaire d’Etat (ministre des affaires étrangères) par le président élu Obama soit confirmée. La déposition de madame Clinton devant ses collègues était l’évènement le plus attendu de la semaine des confirmations par le Sénat des nominations faites par Obama.
L’épouse de l’ancien président démocrate Bill Clinton (1993-2001) n’aura pas le premier rôle comme elle le rêvait lors de sa campagne, néanmoins elle a su rebondir : elle sera la numéro 3 de l’administration Obama et son champ d’action sera mondial. Un rôle inespéré et extrêmement prestigieux quant on sait l’importance de ce poste aux Etats-Unis, et qui le devient encore plus au vu des attentes internationales que suscite le nouveau président et ses ambitions de rupture après les huit années de Georges W. Bush (2001-2009). Hillary Clinton est crédible et qualifiée pour ce poste : en tant que première dame pendant huit ans, puis au titre de sénateur membre du Comité sur les forces armées pendant huit autres années, elle s’est rendue dans plus de quatre-vingts pays étrangers. Ses réseaux sont donc puissants.
Première ex First Lady à accéder à d’aussi hautes fonctions, Hillary Clinton a donc présenté mardi les grands axes de sa future politique étrangère. Elle a plaidé pour une nouvelle diplomatie « pragmatique », « intelligente » et consciente de ses « immenses responsabilités ». Cette diplomatie a désormais un nom : "la puissance intelligente", le "smart power".
Se déclarant « humble et profondément honorée » d’avoir été choisie, elle a brossé un tableau des défis qui attendent l’Amérique d’Obama : Irak, Afghanistan, Gaza, Iran...
Un des premiers défis sera d’abord de changer la forme : c’est-à-dire en écoutant davantage ses partenaires et en favorisant la diplomatie, bafouée par Bush qui préféra l’unilatéralisme, notamment au moment de la guerre en Irak en 2003. Souhaitant donc une diplomatie réconciliée avec le monde, Clinton a dit : « L’Amérique ne peut résoudre seule les problèmes du monde et le monde ne peut pas les résoudre sans l’Amérique ». Obama et elle mettront donc de nouveau l’accent sur le dialogue, la recherche et le développement d’alliances. Elle a ajouté que l’Amérique "doit montrer l’exemple plutôt que donner des ordres", et utiliser la force de la persuasion diplomatique avant de tenter de persuader par l’usage de ses forces armées. Ainsi la future secrétaire d’Etat, a promis que grâce à cette nouvelle vision de la diplomatie, les Etats-Unis auraient "davantage de partenaires et moins d’adversaires".
Est-ce donc le grand retour du multilatéralisme en Amérique ?
Tout d’abord, il convient de revenir sur la signification et l’origine du multilatéralisme.
Le multilatéralisme est une pratique consistant à négocier entre Etat à plus de trois pour définir des règles et actions communes.
La tendance multilatéraliste témoigne d’une capacité à prendre en compte les intérêts des autres pays, et maintient ouvert un terrain de négociation internationale.
On la retrouve dès la période moderne lors de la négociation des grands traités internationaux qui vont fonder les ordres européens successifs, de la paix de Westphalie (1648) au Congrès de Vienne (1814). Le multilatéralisme contemporain nous vient des Etats-Unis : il puise son origine dans l’idéalisme du président démocrate Thomas Woodrow Wilson (1913-1921) qui est à l’origine du projet de Société des Nations (SDN). Pourtant il ne sera pas suivi dans son propre pays puisque la ratification en sera refusée par le Congrès des États-Unis. De même l’Organisation des Nations unies (ONU), fondée en 1945, l’a été largement grâce à l’initiative américaine du président Franklin Roosevelt (1933-1945), encore un démocrate. La reconnaissance de règles communes, l’institutionnalisation croissante des relations internationales avait pour but de rendre le recours à la force moins automatique. La Charte de l’ONU annonce dans son Préambule qu’il faut éviter aux générations futures le fléau de la guerre. Par cette charte, l’ONU est donc au service de la paix dans le monde, mais aussi de la démocratie, et des droits de l’homme. En somme, nous pourrions dire qu’elle sert la politique étrangère des Etats-Unis. En effet, la priorité historique des Etats-Unis a toujours été de préserver son territoire de la guerre et cela passait par la diffusion des idées de liberté et démocratie dans le monde ; cette volonté avait déjà été à l’origine de la guerre froide. Le multilatéralisme n’est donc plus seulement une technique diplomatique, il devient un projet politique visant à favoriser la coopération en encourageant les liens d’interdépendance entre les Etats. Les Etats-Unis ont aussi clairement contribué et participé à de multiples organisations internationales sectorielles dans les domaines économique (FMI), commercial (OMC), social (UNICEF) et militaire (OTAN).
Mais de par leur statut de superpuissance, les Etats-Unis sont en grande partie responsables des réussites ou des échecs de la coopération multilatérale.
Justement, et cela peut apparaître contradictoire, les Etats-Unis n’ont pas ménagé dans l’Histoire leur défiance et leurs critiques à l’égard de la coopération multilatérale. Après avoir été voulue par le président Wilson, nous avons vu que le Congrès avait refusé de ratifier la SDN ; par ailleurs, la politique étrangère des huit dernières années des États-Unis a été marquée par une méfiance profonde à l’égard des institutions internationales, et ce sous l’influence des néo-conservateurs.
Suite aux attentats du 11 septembre 2001, un courant jusque là discret et très minoritaire a pris de l’ascendant sur le Parti républicain. Le courant néo-conservateur a imposé une politique étrangère unilatéraliste et idéaliste concrétisée par une hostilité renforcée au multilatéralisme et à l’ONU, la volonté d’employer rapidement la force militaire pour arriver à ses fins, à l’image de la guerre en Irak à partir de 2003, le but étant d’apporter la paix et la démocratie au Moyen-Orient. Cette pensée est marquée aussi par une tendance à percevoir le monde en termes binaires (bon/mauvais). D’ailleurs, Georges W. Bush déclarait encore jeudi 15 janvier ceci : "Le Bien et le Mal sont présents en ce monde et entre les deux, il ne peut pas y avoir de compromis." Déjà, sous Ronald Reagan (1981-1989), un autre républicain, il y avait cette vision manichéenne du monde : l’URSS était l’« Empire du mal » selon lui.
Mais après les échecs dans la volonté de Bush d’apporter la démocratie par la force et la guerre, l’administration Obama tentera donc une nouvelle approche.
Pourtant, en Europe on craint d’être déçu. En effet, de par son histoire et ses origines et les points chauds actuels, les capitales européennes craignent qu’Obama ne s’attardent pas trop sur le Vieux Continent et que son regard se tourne surtout vers l’Asie. Ou alors quand il se tournerait vers l’Europe, ce serait pour leur demander d’accueillir des criminels de Guantanamo, puisqu’Obama veut fermer cette prison de la honte, ou leur demander d’envoyer plus d’homme en Afghanistan...
Cela nous amène à ces points chauds, et donc au fond de la politique étrangère américaine.
Engagé dans deux guerres, Barack Obama récupère un pays qui a beaucoup d’ennemis auxquels il faut donc envoyer des signes d’ouverture.
A propos de l’Irak, interrogée sur les projets de retrait de toutes les unités combattantes américaines d’ici seize mois, Hillary Clinton a semblé vouloir ménager ses arrières. Elle a déclaré qu’Obama souhaitait procéder à ce retrait "de façon sûre et responsable, dès que possible". D’après elle, les troupes seraient retirées des villes et des agglomérations "d’ici à juin, peut-on espérer". Ces troupes seront redéployées en Afghanistan, l’autre théâtre des opérations militaires américaines, pour supprimer une bonne fois pour toute les Talibans. Elle a caractérisé l’approche de M. Obama par l’expression : "More for more" ("plus pour plus"). Si les Etats-Unis s’engagent davantage, alors il doit en aller de même pour leurs alliés de l’OTAN, que ce soit sur le plan militaire ou civil. Cela fait déjà peur à l’Europe comme nous l’avons dit plus haut. Mais elle a fait clairement comprendre que M. Obama est conscient qu’une solution militaire ne suffit pas, faisant certainement allusion à la construction d’école, d’hôpitaux...
Frontalier de l’Afghanistan, l’Iran : la secrétaire d’Etat désignée a déclaré que la nouvelle administration américaine tenterait d’ouvrir le dialogue avec la république islamique. « Nous allons tenter une nouvelle approche, peut-être différente », a-t-elle déclaré. « Nous n’avons aucune illusion : nous savons que, même avec une nouvelle administration cherchant à ouvrir le dialogue pour tenter d’influencer son comportement, il est difficile de prédire le résultat ». Néanmoins, nous pouvons penser que l’Iran réagira de manière positive à un changement de comportement des Etats-Unis et qu’il est prêt à dialoguer. Au soir de l’élection d’Obama, le conseiller pour la presse du président Mahmoud Ahmadinejad, Ali-Akbar Javanfekr, disait : "Obama a besoin d’opter pour une voie pacifique pour remplacer la voie militariste de Bush et faire de l’amitié, la justice et la coopération la base de la politique étrangère des Etats-Unis". Le mot « amitié » montre une volonté d’apaisement des relations entre les deux pays, rappelons que Bush avait mis l’Iran sur sa liste de pays composant « l’Axe du mal ».
Mme Clinton a veillé à maintenir l’équilibre voulu par Barack Obama entre proposition de dialogue et menace de sanctions. Au sénateur Kerry, qui voulait savoir si un Iran nucléaire est toujours "inacceptable" pour les Etats-Unis, elle a répondu par l’affirmative. Elle a aussi laissé entendre que l’initiative que prépare M. Obama doit d’abord être évoquée avec les alliés des Etats-Unis. Cela est un bon signe de multilatéralisme.
Pendant la campagne des primaires, elle avait vivement critiqué son rival démocrate pour cette volonté de dialogue avec Téhéran. « Mais le président élu a promis de suivre cette politique et nous le ferons », a-t-elle conclu ; une manière ici de montrer son soutien sans faille au futur président, et qu’ainsi les querelles de la campagne étaient oubliées. Mettant donc surtout en avant la diplomatie, et le "respect" dû au peuple iranien, elle a néanmoins refusé d’écarter l’option militaire pour s’assurer que l’Iran ne dispose pas de l’arme nucléaire. Toutes les options restent envisageables selon elle, comme le "hard power", la force armée. Nous pouvons nous demander si cela est judicieux de brandir ainsi la menace militaire même si elle a insisté sur la diplomatie. Les Etats-Unis, première puissance militaire du monde ne semblent donc pas décidé à laisser de côté la menace du bâton. Ce n’est pas en menaçant d’attaquer qu’ils arriveront à restaurer l’image des Etats-Unis, à apaiser les tensions, et sortiront le pays de l’isolement hostile dans lequel l’a mené la politique de Bush.
Mais au contraire de celui-ci, elle a ajouté que la politique étrangère ne devrait pas être guidée par une "idéologie rigide", référence ici aux néo-conservateurs.
Pour preuve, Clinton a aussi parlé d’établir de nouveaux contacts avec la Syrie, accusée par Bush de soutenir le terrorisme.
Le dossier auquel n’avait pas prévu de devoir faire face si vite Clinton est le conflit entre Israël et le Hamas à Gaza. Par son intermédiaire, l’administration Obama en a parlé pour la première fois. D’ailleurs, dans le fond de la salle du Sénat, des militantes de Code Pink, l’organisation pacifiste, brandissaient des pancartes réclamant un "Cessez-le-feu à Gaza".
Elle a reconnu que les difficultés au Proche-Orient pouvaient paraître insolubles, mais elle a précisé : "Nous ne pouvons pas renoncer à la paix". "Le président élu et moi comprenons le désir d’Israël de se défendre dans les conditions actuelles, d’être débarrassé de la menace des roquettes du Hamas, et nous en sommes profondément solidaires", a-t-elle déclaré. "Toutefois, nous avons également pris conscience du prix terrible à payer sur le plan humanitaire, et nous sommes peinés pour les souffrances des civils palestiniens et israéliens." Bref, aucune condamnation envers Israël : nous sommes ici sur la ligne américaine habituelle et cela ne laisse pas augurer de grands changements dans la politique américaine par rapport au Proche-Orient. De plus, elle a exclu « catégoriquement » tout dialogue avec le groupe radical palestinien « tant qu’il n’aura pas renoncé à la violence, reconnu Israël et accepté les accords passés ». Cette position non plus ne change pas. Néanmoins, cela peut nous apparaître compréhensible : en effet, le Hamas, fondé à Gaza en 1987, prône l’élimination de l’État d’Israël par la lutte armée en vue de la libération de la Palestine. Comment donc discuter avec un mouvement militariste qui ne reconnaît pas l’autre partie avec laquelle on souhaiterait qu’il fasse la paix ? Alors on passe par des intermédiaires comme la Syrie ou l’Egypte, mais pour l’instant sans résultat, même si Israël semble vouloir une trêve que le Hamas refuse.
Il est peu probable que le Hamas reconnaisse Israël bientôt. Tout cela nous laisse donc malheureusement pessimiste quant au fait de voir le bout du tunnel dans ce conflit...
Hillary Clinton a aussi appelé à un renouveau des relations avec la Chine et avec la Russie, celles-ci s’étant refroidies dernièrement au point qu’on a pu parler de relan de guerre froide après la crise du bouclier anti-missile américain en Pologne et le gros désaccord au moment de l’invasion de la Géorgie par les troupes de Medvedev. Mais ce sont deux pays que l’Amérique veut inclure dans des discussions générales sur les questions de non-prolifération, de réforme du système financier et de changement climatique.
Clinton a aussi insisté sur le renforcement des relations transatlantiques et l’importance de puissances comme l’Inde ou le Brésil. Ces deux pays seraient-ils les nouveaux alliés que recherchent les Etats-Unis ? En insistant sur ces puissances émergeantes, nous pouvons penser que les Etats-Unis souhaitent se faire de nouveaux alliés importants dans des zones stratégiques : l’Amérique du sud dont on sait qu’elle est davantage hostile aux américains, et l’Inde qui est, avec son milliard d’habitants, la plus grande démocratie du monde, et qui est proche des théâtres d’opérations comme le Pakistan et l’Afghanistan.
Par ailleurs, Clinton a proclamée la volonté d’investir beaucoup plus que par le passé dans "l’humanité commune" pour aider les pays du tiers-monde à sortir de la misère et de la violence qui nourrissent l’instabilité. Mais à part cette déclaration de bonnes intentions, nous pouvons nous étonner qu’aucune mesure ou plan concret n’aient été affichés concernant l’Afrique ! Que faire au Soudan ? Au Zimbabwe ? En République Démocratique du Congo ? A propos de la piraterie en Somalie ? Quelle est la position d’Obama sur la Guinée suite au récent coup d’Etat ?
C’est d’autant plus étonnant compte tenu des drames humains qui se déroulent dans au moins les trois premiers pays cités, et des origines kenyanes d’Obama.
Maintenant la question est de savoir si Hillary Clinton trouvera les ressources pour redonner à la diplomatie américaine les moyens des ambitions affichées. En effet, elle a souligné la nécessité de s’appuyer sur un département d’État mieux financé et mieux traité par l’État. Le nouveau président devra décider en particulier s’ils doivent être pris sur les budgets du Pentagone, car sous l’Administration Bush, le secrétariat à la Défense et la Maison Blanche (en particulier avec le vice-président Cheney) avaient nettement pris le pas sur les Affaires étrangères. En effet, Condoleezza Rice sembla souvent impuissante à agir lors de ses déplacement : a-t-on un seul souvenir d’une action de Rice qui resterait dans l’Histoire ?
Mais la Secrétaire d’État Clinton a de meilleures chances d’y parvenir du fait de la légitimité et du pouvoir naturels qu’elle a de par son expérience et ses compétences certaines. Avec l’appui du président Obama, elle entend donc en refaire "le visage de l’Amérique dans le monde", en récupérant les moyens perdus, financiers et humains, et en redonnant une place beaucoup plus importante à l’aide au développement (ou à la reconstruction des pays ravagés par la guerre), à travers notamment l’USAID (United States Agency for International Development), l’Agence des États-Unis pour le développement international qui est l’agence fédérale principale de l’administration américaine chargée de développement économique et de l’assistance humanitaire dans le monde.
Les mots d’ouverture et de coopération ont donc largement dominé le discours d’Hillary Clinton devant le Sénat. Tout cela visait à brosser le portrait d’une Administration voulant réconcilier l’Amérique avec le reste du monde par une approche résolument multilatérale. Or quand l’Amérique agissait de façon multilatérale, c’était souvent avec un président démocrate à sa tête, donc nous pouvons être véritablement optimiste de ce côté-là.
Mais Clinton a rappelé que le recours à la force serait parfois « nécessaire » pour défendre les « intérêts et les valeurs des États-Unis ». « On nous dit que nous assistons à la fin du pouvoir américain, je ne suis pas d’accord. La puissance américaine a laissé à désirer, mais reste désirée », a insisté Hillary Clinton, voulant voir là une source d’optimisme et d’opportunités.
Par ce double langage, Hillary Clinton n’a globalement quand même pas pris trop de risque et ne s’est encore pas trop avancé sur la politique américaine. L’exercice du pouvoir à partir du 21 janvier, nous en dira un peu plus le changement dans les relations internationales que le monde attend. « Change, we can believe in ».
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