La ruse de la rose
Réveil tardif de la justice internationale ? Un membre de l’entourage du président-dictateur rwandais Paul Kagamé vient d’être arrêté pour être livré à la France. Faut-il s’en réjouir ? Le doute est permis vu la conjoncture actuelle et la servilité de la justice française.
Vous l’avez sans doute appris par la presse : Rose Kabuyé, un proche collaborateur du président-dictateur rwandais Paul Kagamé, vient d’être arrêtée et mise à l’ombre à Francfort pour être extradée vers la France. Il s’agit d’exécuter un mandat d’arrêt émis il y a deux ans par le juge Bruguière, alors premier vice-président du Tribunal de grande instance de Paris chargé de la coordination antiterroriste, à la suite d’une enquête sur les responsables de l’attentat qui a coûté la vie aux présidents rwandais et burundais en avril 1994. On se souvient que cette tragédie fut le prétexte du génocide du Rwanda de triste mémoire (et plus tard celui du Kivu, en tout de quatre à six millions de victimes !).
Tandis que Kagamé vocifère, Kabuyé, qui est directeur du protocole présidentiel rwandais, elle, acquiesce. Elle aurait d’ores et déjà accepté son transfert vers la patrie des droits de l’Homme, ce qui devrait accélérer considérablement la procédure. Rappelons que l’ex-juge Bruguière, et donc la justice française, n’est pas le seul à poursuivre les dignitaires du régime de Kigali. Un juge espagnol, Fernando Andreu Merelles, a également lancé plus de quarante mandats d’arrêts internationaux à l’encontre de divers responsables rwandais membres du parti au pouvoir à Kigali, le FPR.
Dans un arrêt circonstancié de 181 pages remis le 6 février de cette année, le magistrat espagnol a estimé que, sur ordre du président Kagamé, les personnes visées ont commis des actes de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et terrorisme. Il accuse le FPR d’avoir mis en place une véritable "méthode criminelle", affirmant que depuis sa prise du pouvoir à Kigali, en juillet 1994, ce parti a instauré un véritable règne de la terreur. Le point culminant de la politique du pouvoir rwandais, poursuit-il, est la politique d’invasion et de conquête du Congo (RDC), politique qui devrait permettre le pillage des ressources naturelles précieuses de cet immense pays francophone, de manière à la fois à se consolider et à exercer une domination géostratégique sur la région, qui basculerait ainsi complètement dans la sphère d’influence anglo-américaine, au détriment de la France.
On sait que le Rwanda, grand allié de Washington et de Londres dans la région des Grands Lacs avec l’Ouganda — l’actuel tyran, Paul Kagamé, a été formé dans l’armée américaine —, a rompu toutes relations avec la France et vient d’interdire le français dans tout son enseignement, à la grande satisfaction, on s’en doute, du British Council.
L’arrestation de Rose Kabuyé ne doit pas être saluée comme une bonne nouvelle pour tous ceux qui réclament que la vérité, toute la vérité, soit faite sur les responsables du double génocide rwandais et congolais. En effet, on voit mal la justice française, malgré la relaxe récente de Pierre Péan, un détracteur des thèses tutsies (voir Noires fureurs, Blancs menteurs), sortir de ses cartons les preuves de l’implication de Paul Kagamé et de ses sbires dans l’attentat qui a été la cause directe des massacres au Rwanda.
Ce déballage — ô combien improbable vu la frilosité et la couardise de la justice française dans ce domaine et sa dépendance croissante vis-à-vis d’un exécutif à la botte de l’Anglo-Amérique — aurait en effet pour conséquence de démolir la version officielle des événements de 1994, crime de lèse-orthodoxie inouï qui, pour être louable aux yeux de la Justice, la vraie, couvrirait immanquablement la France d’opprobre et de ridicule aux yeux d’une opinion mondiale nourrie de bonne heure au lait frelaté des mamelles de Kigali. Et ne parlons pas de l’étrangeté de voir condamnée une femme politique noire au moment même où le monde entier célèbre l’arrivée d’un homme de couleur à la Maison-Blanche.
Un parallèle qui vient à l’esprit (et qui montre la quasi-impossibilité d’une attaque française contre les maîtres du Rwanda) serait un procès contre Bush, Cheney et Rumsfeld pour répondre des attentats du 11-Septembre. Ce serait la première fois que la version officielle d’un événement historique d’une énorme portée politique serait contredite officiellement. L’équivalent de la révision du procès contre Jeanne d’Arc. Mais nous ne sommes plus au XIVe siècle, lorsque la France avait la volonté de tenir son rang. Hélas...
Outre les accusations rituelles de "révisionnisme" et de "négationnisme", on reprocherait à la France de chercher à cacher sa prétendue responsabilité dans l’affaire de 1994 — seul pays à être intervenu, l’Amérique de Clinton bloquant les choses. Quant aux médias, ils passeraient d’une manière ou d’une autre sous silence les arguments qui accablent le régime criminel de Kigali, de sorte que l’opinion aurait l’impression qu’il s’agit en réalité d’une démarche "néo-colonialiste", "franco-impérialiste" et que sais-je encore.
Par ailleurs, si par souci de ménager la sensibilité du régime rwandais et donc celle de ses protecteurs anglo-saxons, les juges français sous pression n’abattent pas leurs cartes et ne montrent pas, preuves à l’appui, la culpabilité de Kagamé & compagnie, il en résultera une perte de crédibilité énorme pour la France, dont le peu de sérieux et la partialité s’étaleront au grand jour. Quant à la thèse des opposants au régime de Kigali et des juges Bruguière et Merelles, elle sera évidemment envoyée par le fond.
Bref, quoi que décident les magistrats français, l’image de la France, grâce à la rose Kabuyé, en réalité un cheval de Troie version 2008, va connaître une flétrissure sans précédent tandis que l’offensive contre la francophonie africaine, continent où se joue l’avenir de notre langue sur le plan international, va passer à la vitesse supérieure. On peut donc dire que le procureur allemand Becker-Toussaint, responsable des extraditions à la Cour d’appel de Francfort, vient de refiler à la France une rose noire dont les épines n’ont pas fini de la faire saigner...
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