La Russie sans Poutine
Cette année, le discours annuel du président devant l’Assemblée Fédérale était consacré à la politique intérieure russe. Dans une première partie, Vladimir Poutine a présenté un ensemble très important de mesures destinées à soutenir l’évolution démographique de la Russie.
Augmentation du « capital maternel » reçu par les familles. Cet argent versé jusqu’ici à la naissance du deuxième enfant le sera maintenant à la naissance du premier enfant. Le montant de ce capital est aujourd’hui de 466.617 roubles (environ 6.800 €). Va s’y ajouter une somme de 150,000 roubles à la naissance du deuxième enfant. Enfin, à la naissance du troisième enfant, l’état va verser 450.000 roubles supplémentaires en diminution de la dette hypothécaire de la famille. L’ensemble de ces sommes représentent environ la moitié du prix d’un appartement ou d’une maison dans la plupart des régions russes.
L’Etat russe a également lancé un système de bonification des taux des emprunts hypothécaires pour les familles. Le taux bonifié est aujourd’hui de 6% et il est même porté à 2% seulement pour les familles qui s’installent en extrême-orient russe.
Vladimir Poutine est ensuite passé au sujet de la santé publique. La Russie y a fait de gros progrès. L’espérance de vie moyenne est aujourd’hui supérieure à 73 ans, soit huit ans de plus qu’en 2000. Le taux de mortalité infantile a touché un plus bas historique, plus bas que dans certains pays européens. Mais, pour citer Vladimir Poutine, « une personne qui a fait une douzaine de kilomètres pour aller dans une clinique ou une personne qui a passé toute une journée à attendre un rendez-vous avec un spécialiste se moque bien de l’espérance de vie moyenne ».
Cette année, verra donc la dernière phase du développement du réseau de centres paramédicaux prévu dans le Projet national pour la santé. Il faudra également améliorer l’équipement de ces centres et des hôpitaux.
Pour financer toutes ces mesures, la Russie va pouvoir tirer profit des réserves accumulées ces dernières années. Les réserves du gouvernement couvrent largement la dette extérieure brute. En 2019, le budget était de nouveau excédentaire et dès cet été, le Fond de Réserve Nationales va atteindre les 7% du PIB. Il est temps d’utiliser les excédents de ressources pour financer le développement de l’économie nationale.
Mais il faut aussi stimuler les investissements. Un certain nombre de mesures seront prises dans ce but. La Banque Centrale devra également faire preuve de plus de souplesse dans l’attribution de prêts à long terme.
En contrepartie, les entreprises et en particulier les plus grosses devront faire preuve de responsabilité sociale et environnementale. Dans ce dernier domaine, ces entreprises devront prendre toutes les mesures nécessaires pour cesser la pollution de l’environnement de toutes les manières. Le principe sera simple, les pollueurs seront les payeurs.
Mais c’est surtout la dernière partie du discours qui a attiré l’attention des commentateurs hors de Russie. Il s’agit des amendements à la Constitution. Comme l’a fait remarquer Poutine, la Constitution russe a été promulguée il y a plus de 25 ans, pendant une période particulièrement chaotique pour la Russie, aussi bien dans le domaine politique qu’économique ou social. Les choses ont beaucoup changé depuis. Bien qu’il subsiste de graves problèmes, comme ceux évoqués par le président dans son discours, la situation politico-économique de la Russie s’est largement stabilisée et certains suggèrent qu’il serait temps de changer de Constitution.
Vladimir Poutine ne partage pas ce point de vue. Pour lui, le potentiel de la Constitution de 1993 est loin d’avoir été épuisé. En revanche, il est temps de procéder à des changements.
La mesure la plus commentée concerne le rééquilibrage des pouvoirs entre le président et le parlement. Vladimir Poutine propose que le Premier ministre soit désigné par le Parlement qui désignera ensuite également l’ensemble des ministres sur proposition du Premier ministre. Le gouvernement sera ensuite nommé par le Président mais ce dernier ne pourra pas refuser les désignations du Parlement.
Toutefois, il n’envisage pas d’aller jusqu’à un régime parlementaire. Le Président conservera la possibilité, dans certaines circonstances, de renvoyer un ministre ou le Premier ministre. Il restera le chef des armées et de tout le système de sécurité du pays.
La Constitution devra également garantir l’indépendance des juges qui ne seront soumis qu’aux lois fédérales et à la Constitution.
Enfin, le rôle de la Cour constitutionnelle sera renforcé. Elle pourra, à la demande du Président, vérifier la constitutionnalité des lois votés par le Parlement avant qu’elles ne soient signées par le Président.
La liste des amendements proposés par Vladimir Poutine n’est pas exclusive et une commission a été désignée pour réfléchir aux amendements possibles. La Douma discute actuellement de ces amendements en première lecture. La deuxième lecture devrait avoir lieu le 11 février si les délais sont respectés, puis le projet ira devant le Sénat avant de revenir à la Douma, puis d’être signé par le Président. Ensuite la population votera sur ce texte.
La grande question que se posent les Russes concerne l’avenir politique de Vladimir Poutine. Beaucoup ont du mal à se faire à l’idée qu’il puisse ne plus être Président après 2024. Les Russes ont confiance en leur Président et cette confiance ne se dément pas à plus de 71% en fin de semaine dernière selon le sondage de Vtsiom. Il faut dire que le Président est l’incarnation du chef dans la culture russe, celui qui donne les ordres, récompense, punit et surtout prend ses responsabilités. Ceux qui, à l’étranger, pensent que leur pays aurait besoin d’un tel chef se trompent sans doute, mais pour la Russie c’est un bon président.
D’autre part, après avoir pris la tête d’un pays en plein chaos en 2000, il est parvenu à le redresser, puis à le stabiliser. Sur le plan économique, la Russie tire largement son épingle du jeu, malgré les sanctions imposées par les Etats-Unis suivis par l’Union européenne. D’après Jamie Rush, économiste de Bloomberg, la croissance allemande devrait être de 0,7% en 2020, alors que, de son côté, la Banque mondiale prévoit une croissance de 1,6% en Russie la même année.
On constate donc une certaine inquiétude dans la population et ses dirigeants et certains aimeraient que les modifications de constitution puissent permettre à Vladimir Poutine de rester au pouvoir. On avait vu un tel mouvement en 2008 quand une pétition avait circulé parmi les élites demandant justement ce type de changement qui aurait permis à Poutine de se présenter pour une troisième fois consécutive aux élections présidentielles. Il l’avait refusé à l’époque, expliquant que la Russie ne faisait pas partie de ces pays qui peuvent manipuler leur constitution pour le bon plaisir d’un dirigeant.
La semaine dernière, Vladimir Poutine a été questionné à trois reprises à ce sujet.
Lors d’une rencontre avec des vétérans de la Deuxième Guerre mondiale, à Saint-Pétersbourg, on lui a demandé si le changement de constitution allait permettre à une même personne de se présenter plus de deux fois aux élections présidentielles. Il a répondu : « Je comprends parfaitement le sens de votre question. Les changements produisent une inquiétude dans l’esprit des personnes soucieuses de stabilité politique. Je le comprends très bien, mais à mon avis il serait plus inquiétant de revenir à ce qui se passait au milieu des années 80, quand les dirigeants du pays, les uns après les autres occupaient leur poste jusqu’à la fin de leurs jours, et s’en allaient sans se soucier de la transmission du pouvoir. Je vous remercie, mais il ne faut pas retourner à ce qui se passait alors… »
Quelques jours plus tard, lors d’une réunion à Ousman, dans la région de Lipetzk, la question lui était posée différemment. Peut-on envisager d’aller vers un régime parlementaire qui vous permettre de conserver un rôle important sur la scène politique ? Réponse : « En théorie, c’est possible, mais ma réponse est non… ». Poutine expliquait ensuite que le système de partis russe n’avait pas encore la maturité des partis des démocraties plus anciennes et qu’il s’agissait trop souvent de partis réunis autour d’un homme (il citait le LDPR de Vladimir Jirinovski en exemple), tout en ajoutant que dans certains pays, des partis ayant une longue expérience de la démocratie (certains ont plus de cent ans) parfois ne pouvaient pas s’entendre sur la composition d’un gouvernement et laissaient le pays sans gouvernement pour des périodes pouvant aller jusqu’à six mois. Une telle situation serait désastreuse pour un pays de la taille de la Russie. Des experts étrangers, d’ailleurs, estime que le système parlementaire de leur pays est en crise.
Le même jour, dans la soirée, le Président rencontrait des étudiants à Sochi, la question revenait et une étudiante demandait à Poutine s’il n’envisageait pas de devenir une sorte de tuteur du nouveau Président pendant une période de transition elle faisait allusion à ce qui s’est passé à Singapour ou au Kazakhstan. Réponse de Vladimir Poutine : « Un pays comme la Russie a besoin d’un président fort. Ce que vous proposez affaiblirait le Président. Chaque pays a ses habitudes politiques, sa culture, mais chez nous, cela équivaudrait à instaurer un double pouvoir. Cela ne conviendrait pas à la Russie ».
Trois fois non, donc… En 2024, Vladimir Poutine s’en ira et c’est pourquoi dès aujourd’hui il s’occupe de la transmission du pouvoir.
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