La surenchère compassionnelle
De typhon en Birmanie en séisme en Chine, on a parfois le sentiment que les médias attendent avec la même impatience la catastrophe naturelle que le citoyen ordinaire l’éclaircie après les jours de pluie.
Plus d’élections en vue, marre des mouvements sociaux qui emmouscaillent le client et par conséquent ne font vendre ni papier ni images, le marronnier des vacances d’été pas encore fleuri, que reste-t-il comme tremplin à communication sinon le fait-divers sanglant ou le bon vieux drame de masse ?
Et d’y aller à la truelle ! Pas une édition sans son bilan provisoire, son triste record du nombre de victimes, qui n’est pas sans évoquer celui du prix du baril de pétrole qui le précède ou le suit dans la hiérarchie des titres.
Quand les fureurs de la nature ravagent un coin de la planète, on approuve vigoureusement le fait d’en être tenu informé, mais ne pourrait-on attendre quelques jours avant de dresser le sinistre décompte des morts, la cruelle statistique des dégâts ? Quel besoin pressant a-t-on de connaître heure par heure le nombre des cadavres et des blessés ? Aucun. Qu’est-ce que notre information pourra bien changer à l’événement passé ? Rien. Que peut-on opposer à la brutalité des faits naturels ? Notre impuissance.
Evidemment, puisque ces cataclysmes se sont produits dans une dictature bureaucratique comme la chinoise ou stalinienne comme la Birmane, on a beau voir, on soupçonne qu’on nous cache tout, depuis l’état des centrales nucléaires jusqu’à celui des barrages artificiels.
Ce n’est pas dans une France qu’évite soigneusement de traverser le nuage mortel en provenance de Tchernobyl qu’on risquerait ce genre de rétention d’information.
C’est que le drame sanitaire est leur raison de vivre ; quand tout va trop bien, ils s’ennuient. Et rien ne les exaspère davantage que les gouvernements réticents à les accueillir à bras ouverts. Vous n’imaginez tout de même pas ces arriérés asiatiques capables de gérer eux-mêmes une telle crise ?
Les Chinois ont raté il y a bientôt trois ans l’occasion d’expédier des tonnes de vivres et des équipes de secours à la Nouvelle-Orléans après le passage dévastateur de Katrina, nous aurions pu alors nous délecter de la réaction forcément positive de White House.
La relative froideur d’un Rony Brauman, le soin qu’il met à peser la gravité d’un événement avant d’envisager l’action me paraissent, éthiquement parlant, infiniment plus respectables que la duplicité mélodramatique d’un Bernard Kouchner, toujours prêt à utiliser son « droit d’ingérence » là où il sait pourtant fort bien qu’on lui refusera fermement de l’exercer.
En dépit de cette situation de nature quasi schizophrénique, l’injonction fonctionne plutôt bien : quand les faiseurs d’opinion appuient sur le bouton compassion, l’Occidental moyen qui n’a jamais un euro sur lui pour offrir un café à ses collègues de travail inonde de devises les rescapés d’un tsunami avant même de connaître l’importance de leurs besoins.
Aujourd’hui, il va falloir cotiser pour offrir des couvertures et des tentes aux victimes du tremblement de terre dans le pays qui produit précisément les couvertures et les tentes pour le reste du monde, ce qu’aucun commentateur ne semble avoir remarqué, comme personne ne paraît avoir proposé de mettre à contribution les millions de nouveaux riches que comptent Pékin, Hong Kong ou Shanghai. En effet, il vaut mieux qu’ils continuent d’acheter nos limousines plutôt que des médicaments pour leurs concitoyens, sinon que deviendrions-nous ?
Il s’agit de se donner en bons chrétiens bonne conscience et pour cela on fournirait de la glace aux Inuits ou du sable aux Sahraouis si un malheur leur arrivait.
C’est plus simple et finalement beaucoup moins généreux que d’octroyer un permis de séjour à des travailleurs clandestins.
MD
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