La Syrie, au cœur du changement du rapport de forces politique mondial
Depuis le début de l'opération Anonymous #OpSyria, je n'ai de cesse de m'interroger sur le degré de connaissance des acteurs de ce "mouvement", sur la qualité de leur conscience du tropisme géopolitique autour de ce pays à l'heure actuelle.
Quelques commentaires sur Reflets.info, quelques tweets de-ci, de-là, m'ont convaincu de préciser quelques notions à ce sujet, à mon niveau, et de mon point de vue.
Sur le traitement médiatique des évènements en Syrie
A l'instar de Gérard Chaliand, dont le travail a déjà fait l'objet d'un article ici, le traitement médiatique de la guerre civile syrienne me paraît volontairement biaisé (voir cette video). Sans trop s'avancer sur les responsables de cette prise d'angle, on peut raisonnablement penser que les media occidentaux soutiennent de fait l'insurrection car tel est l'intérêt de l'alliance stratégique à laquelle nous appartenons.
Le stratagème paraît d'autant plus décelable qu'il a été utilisé il y a un an en Lybie. Les motifs de l'intervention de l'OTAN en Afrique du Nord ont été révélés par la suite des évènements dans ce pays, "découverte" de gisements pétroliers, abandon de la convertibilité en or de la monnaie lybienne, divisions politiques allant parfois jusqu'au pire. On pourrait aussi évoquer l'Égypte ou la Tunisie, où l'"après" est à de nombreux égards pire que l'"avant" pour les citoyens lambda. Mais quel est donc l'intérêt de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord dans le conflit syrien ?
Les interventions de l'OTAN ces dix dernières années
Le 11 septembre 2001 aura été un évènement chargé de symboles, mais plus de dix ans après le choc des images, ce qui ressort entre autres, c'est que pour la première fois depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale, les États-Unis ont été attaqués sur leur sol. On peut porter du crédit aux théories du false-flag sur cet évènement, toujours est-il que le leader du monde unipolaire issu de la chute de l'URSS n'apparaissait plus comme intouchable.
L'intervention en Irak visait à mon sens, et ç'a été le sentiment de beaucoup de citoyens du monde à ce moment-là, essentiellement un moyen pour les États-Unis de s'assurer un accès peu onéreux à de vastes ressources pétrolières.
L'intervention en Afghanistan, quant à elle, relevait plus de la manœuvre géostratégique selon moi. Regardons de plus près la carte de la région :
L'Afghanistan est frontalier de l'Iran, du Pakistan, et de la Chine de manière plus anecdotique. Nous avons ici une région frontalière avec un pays qui fait les gros titres depuis bien longtemps, je veux bien sûr parler de l'Iran. La ligne Irak-Iran-Afghanistan fait donc à nouveau l'objet de toute l'attention des alliés de l'OTAN depuis 2001-2003. L'Iran est sous le feu des projecteurs depuis quelques années aussi, la Syrie, quant à elle, subit depuis un an le feu tout court. Quel est donc l'intérêt de cet axe en plein continent asiatique ?
Le glissement du centre de gravité du pouvoir mondial
Son intérêt, c'est d'assurer aux membres de l'OTAN, et aux États-Unis en particulier, le contrôle politique des pays de cette ligne Syrie-Irak-Iran-Afghanistan, justement parce qu'elle est au cœur d'un éventuel dispositif russo-chinois. Et de fait, si d'alliance militaire connue il n'y a pas, le rapprochement de la Russie et de la Chine fait peur à Washington.
En effet, depuis 2001, les américains n'ont plus l'immunité que leur conférait le titre de super-puissance militaire : toute stratégie frontale pouvant être déjouée par contournement (voir ici), l'acte de guérilla du 11 septembre (réel ou supposé) a agi comme acte de guerre ouvrant les hostilités.
La crise économique de 2008 ayant mis à jour les défaillances structurelles de l'économie américaine, toute intervention armée des États-Unis est perçue depuis comme un moyen basique de maintenir l'autorité dans "les provinces de l'Empire". La Syrie aurait complété idéalement le dispositif de l'OTAN au Proche et Moyen Orient, avec l'allié velléitaire qu'est Israël.
Or, la Russie, de manière très officielle, s'est opposée à toute intervention militaire en Syrie. Ce "non" russe doit être perçu pour ce qu'il est, un signal d'arrêt aux ambitions américaines dans la région. Nous assistons donc bien au glissement du centre de gravité des pouvoirs dans le monde, du bloc Amérique du Nord-Europe de l'Ouest, vers la zone Russie-Chine. Je vous renvoie à ce sujet vers l'analyse plus détaillée de Imad Fawzi Shueibi.
Va-t'on vers une Troisième guerre mondiale ?
Au niveau politique, un conflit global n'arrangerait personne : ni les États-Unis, qui y perdraient tout, ni le bloc russo-chinois, qui a des contrats ou des actifs à faire honorer par les membres de l'OTAN.
L'Europe non plus n'y trouverait pas son compte, et est d'autant plus en danger qu'elle serait exposée à la différence de l'Amérique du Nord, à des déploiement terrestres aisés.
La seule issue possible pour l'Union européenne serait de se doter d'une véritable politique étrangère commune, de se positionner sur un non-alignement du type NAM, voire de type suisse, sans négliger d'entretenir, toujours de manière commune, des forces défensives suffisantes sous commandement européen.
Et nos Anonymous dans tout ça ?
Les hackers qui participent à l'#OpSyria doivent bien comprendre qu'en aidant les rebelles (armés par la CIA), ils aident le pays qui a appréhendé dans la plus parfaite illégalité Kim Dotcom, le pays qui veut extrader des non-ressortissants pour mise à disposition de contenus sous copyright, le pays en bref qui n'est pas le meilleur défenseur des libertés sur Internet.
Alors à mes yeux, dans le meilleur des cas, ils sont inconséquents, naïvement exposés au feu médiatique - et c'est pardonnable, sauf en cas de guerre civile : directement impliqués en tant que belligérants, leur cas relève du droit Pénal (De la participation à une activité mercenaire, soit au maximum sept ans d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende). Deuxième option, ils sont impliqués contractuellement, mais alors ils ne sont plus les gentils hackers dont on nous parle ici et là.
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