La Thaïlande ou l’art de devenir une des dictatures les plus fermées au monde
La presse thaïlandaise se félicitait il y a quelques jours d’un record de touristes dans le pays pour 2015. Environ 29 millions de visiteurs auront eu la chance de fouler ce paradis asiatique cette année. Un paradis pour les étrangers, mais un enfer pour les 67 millions de Thaïlandais qui vivent difficilement depuis la confiscation du pouvoir par les militaires en mai 2014. Le pays se ferme peu à peu et laisse encore des espaces de liberté pour les seuls touristes, rentrée d’argent oblige…
La Thaïlande a tout pour être un pays florissant. Une situation géographique très bonne, un espace maritime exceptionnel, des entreprises innovantes et une population dynamique. Mais tout cela ne pèse rien face à la folie des militaires qui se sont emparés du pouvoir à la suite d’un énième coup d’Etat en mai 2014. Depuis, le pays vit en coupe réglée et tout ce qui dépasse est arraché sans la moindre hésitation alors que les raisons de couper les têtes (au sens figuré avant bientôt peut-être de passer au sens propre) sont légion. Début de critique de la monarchie, référence à l’âge du roi, remise en cause de la junte au pouvoir, correspondance privée pas au goût des miliciens… tout est prétexte à des jugements honteux qui poussent la population dans la plus grande servitude.
L’histoire de cette rapide décrépitude remonte au mois de mai 2014, lorsque les divisions du général Prayuth Chan-ocha délogent le pouvoir civil pour s’installer dans les ministères. A en croire les uniformes, le pays est en danger et seul un commandeur à poigne peut le sauver des menacent qui guettent. Quels dangers ? La question est subsidiaire voire carrément hors de propos. Il faut prendre le pouvoir et au fond peut importe les motifs avancés. Ce sont donc les militaires qui conduisent le pays droit dans le mur avec une politique économique ubuesque et une privation de libertés qui se renforce chaque semaine. Les premiers coups de semonce ont été entendus dès la prise du pouvoir. La presse a été cadenassée et officiellement, tout va bien dans le pays.
La censure est omniprésente et se transforme en auto-censure pour éviter de se retrouver dans les geôles du régime. Même les médias étrangers ne sont plus libres d’évoquer la réalité dès lors qu’ils sont susceptibles de toucher une infime frange de la population. Le premier décembre dernier, l’édition internationale du New York Times a subi les foudres de la censure avec un article remplacé par un grand rectangle blanc. L’article en question traitait justement de l’échec économique de la junte. Mais désormais en Thaïlande, les vérités ne sont pas bonnes à dire et le journal a été censuré en deux trois coups de pinceau. La même mésaventure était survenue en septembre dernier pour un article portant sur la santé du roi. Un sujet tabou dans le royaume.
Malade et dans un piètre état alors qu’il vient de fêter ses 88 ans, le roi de Thaïlande est un personnage vénéré qui a le quasi statut de demi-dieu. Une légende humaine qui n’est en fait que la marionnette de militaires bien trop heureux de se cacher derrière la figure royale pour assommer le pays à coups de bâton. Ainsi, si la Constitution a été abrogée, le crime de lèse-majesté a été sauvegardé et est désormais la pierre angulaire du système de répression du régime. Preuve que ce dernier prend une tournure stalinienne, un ouvrier de 27 ans risque aujourd’hui 32 longues années de prison pour avoir utilisé un ton « sarcastique » à l’encontre de la chienne chérie du roi. Tout est utilisé pour bâillonner la liberté d’expression. Même l’ambassade des Etats-Unis – pourtant allié depuis longtemps à la Thaïlande – est sous le coup d’une enquête policière pour crime de lèse-majesté. Rien ne va plus dans le royaume même si la junte réfléchira à deux fois avant de se fermer les portes vers l’extérieur.
En effet, si le régime se durcit, il ne peut survivre sans le soutien au moins modéré de l’étranger et des devises des millions de touristes. La junte n’ira certainement pas jusqu’au bout de son procès en sorcellerie contre l’ambassade américaine et tout sera fait pour promouvoir le pays comme une destination rêvée pour les touristes. Toutefois, à force de trop jouer avec le feu, les généraux pourraient finir par se brûler. Une première escarmouche diplomatique a eu lieu il y a quelques jours avec le refus de laisser l’ancienne Première ministre Yingluck Shinawatra se rendre à Bruxelles après avoir été invitée par le Parlement européen. La peur d’avoir à subir une mauvaise presse a convaincu le pouvoir illégitime thaïlandais de fermer les frontières à tous ceux dont la voix porte encore assez pour remettre en cause la junte.
Ce que n’a pas compris le régime de Bangkok, c’est que l’information ne peut plus être cloisonnée à moins d’instaurer une terreur à la sauce nord coréenne. Une hypothèse impossible à mettre en œuvre, l’entre-deux – totalitarisme et pseudo démocratie – a de beaux jours devant lui.
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