Langue et diplomatie
Un livre récent à fait grand bruit : écrit par un Américain, il reprend l’antienne bien connue d’un naufrage de la culture française. Mais, derrière la "culture", c’est surtout la langue qui sur le plan international voire européen a tendance à s’effacer bien qu’il existât un Comité de la francophonie dirigé par l’ancien président de la République sénégalaise, son excellence Abdou Diouf. C’est de la réalité et de la pratique du maintien de la langue française dans le monde dont nous voulons parler.
A l’heure où, sous la double pression conjointes et opposées de l’Europe qui limite et des régions qui grignotent, la France, comme Etat nation, ne sait plus où donner des ailes, il est un domaine où le discours ne cède pas aux nostalgies ambiantes, où le combat n’est pas encore abandonné, le champ de bataille déserté, où la fierté redresse la tête, et où l’ambition n’est pas morte, gangrenée ; c’est celui de l’importance de la langue française, de sa place et de son statut dans l’Europe et le monde.
Sous la triple tutelle de l’Education nationale, qui offre ses cadres, de la Culture, ses manifestations, et du ministère des Affaires étrangères, qui coordonne et dispose en chacune de ses ambassades d’un service compétent, la langue et la culture françaises, arc-boutées sur un passé prestigieux, n’entendent pas, face à l’anglais triomphant, baisser les bras et au contraire, sinon regagner le terrain perdu, du moins obtenir une médaille d’argent aux olympiades permanentes de la culture.
A cette fin, dans les années 70, il fut créé au sein de l’université une filière destinée à fournir les futurs cadres de l’action linguistique : le français langue étrangère. Bientôt pourvue d’une licence puis d’une maîtrise, elle obtint dans les années 90 un DESS. Plus de quinze universités aujourd’hui forment ainsi chaque année une cohorte d’une centaine de diplômés bac + 5 supposés ne rien ignorer de la pédagogie et des techniques éducatives, de la linguistique et de l’imparfait du subjonctif destinés non seulement aux malheureux qui ignorent la langue de Molière, aux étrangers soucieux de capter, autant que faire se peut, le marché français, aux étudiants curieux de l’excellence française, touristes et « cultureux », bref tous ceux qui pour diverses raisons n’entendent pas se limiter à l’anglais dans leurs échanges avec le monde.
Cependant et bien que la demande - et l’offre - aient changé, l’institution semble sourde : l’Education nationale continue à détacher ses cadres qui n’ont vis-à-vis des enjeux et des demandes aucune formation spécifique et une compétence n’ayant aucun rapport avec le FLE, la culture (AFAA) continue à envoyer ses expositions aussi surréalistes qu’un parapluie sur une table d’opéré, et le ministère des Affaires étrangères (MAE), continuant à coordonner l’ensemble, limite son action aux seuls lycées et collèges du pays, laisse aux Alliances françaises le champ libre pour répondre aux attentes et besoins nouveaux.
Or, les Alliances françaises, environ 500 dans le monde, sont des institutions de droit privé et local, libres de gérer leurs affaires comme bon leur semble bien qu’elles reçoivent du ministère des Affaires étrangères des dotations et surtout des affectations en personnel - le plus souvent issu de l’Education nationale - ne possédant aucun des diplômes ni compétences susceptibles de répondre aux demandes. Il est ainsi fréquent de voir un professeur d’allemand ou d’histoire chargé d’assurer la direction pédagogique d’une Alliance en Chine, au Mexique ou ailleurs alors qu’il ne sait un traître mot ni de gestion ni de pédagogie destinée aux adultes étrangers ni même souvent de la langue localement parlée.
Mais la participation française ne se limite pas au détachement de deux ou trois personnes destinées à assurer les tâches de direction, et dont l’incompétence, manifeste, est structurelle ; l’essentiel de la participation française, ignorée superbement par le rapport Dauge qui prétendit il y a quelques années parler de ce sujet et fit grand bruit, est assuré par le personnel français enseignant expatrié, ces « stagiaires » non payés, ces expatriés « sous contrat local », ces obscurs, ces sans-grades, surdiplômés, main-d’œuvre d’immigrés sortis des meilleures universités françaises, piétaille et petites mains, serfs corvéables à merci du dessein grandiose de la permanence de la langue française dans l’enceinte internationale, banas-banas colporteurs d’une culture dont ils se doivent d’être les hérauts et sans lesquels aucune Alliance ne peut fonctionner, aucun dessein exister, ces experts et spécialistes hautement qualifiés, que l’on attire en leur promettant un revenu permettant de vivre « décemment » dans un pays enchanteur, mais qui doivent, outre leur voyage, payer leur visa de travail, n’ont qu’une garantie très a minima de Sécurité sociale, aucune garantie d’emploi, peuvent être au moindre murmure expulsés sans autre forme de procès, n’ont aucune retraite, pas de congés payés dans les vacances de l’emploi et des revenus réels frôlant la misère, mais conformes à l’image que l’on se fait d’eux : des OS que l’on méprise. Logés, parfois, ils le sont toujours à plusieurs dans des locaux que refuserait, ailleurs, tout Turc de service technicien de surface.
La lecture des offres d’emploi FLE relèverait d’un autre monde, si elle n’était le fruit de ces mêmes expatriés de l’Education nationale, encoconnés dans leur statut diplomatique, aussi bien payés qu’incompétents qui n’hésitent cependant pas à réclamer des bac +5, parlant trois langues, possédant trois ans minimum d’expérience, le sens de la responsabilité, de l’énergie, de la diplomatie pour des emplois d’environ 50 heures par semaine, contre logement en groupe et un défraiement mensuel équivalent à une seule journée de leur non-travail.
Or, d’une part, ces professeurs « FLE » sont tous titulaires d’une maîtrise et pour certains d’entre eux d’un DESS dispensé par l’université française - donc cadre A -, les Alliances françaises, d’autre part, représentant à elles seules plus de 90 % des emplois offerts par cette filière, nous ne pouvons qu’être atterrés de voir que l’université française investit et continue à investir dans le FLE pour - in fine - n’offrir à ses diplômés qu’un sous-travail qui, bien que placé, soutenu, couvert par le MAE et entrant dans ses prérogatives et ambitions (la présence française dans le monde) contredit l’essentiel des droits du travail, mais aussi la considération qu’ils sont, en tant que diplômés, en droit d’attendre de la part d’un employeur - l’Alliance française - entretenant avec le ministère d’aussi étroites relations, mais relevant le plus souvent d’insignes mafias locales.
Nous estimons, pour conclure, que la France se paye, outre de beaux discours, le luxe d’une politique de maintien ou d’expansion de la langue au prix et mépris des diplômés qu’elle forme et de la négation de leurs droits élémentaires syndicaux, professionnels et plus simplement humains, se reposant sur une Alliance française, libre de toute tutelle bien qu’elle soit financée en partie par les deniers de l’Etat, souvent présidée par des mafieux et dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle n‘est plus qu’une coquille.
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