Le 24 avril, nos pensées sont allées à...
Il y a aujourd’hui 92 ans, l’Europe vivait une des périodes les plus noires de son histoire. Gangrénés par le virus du nationalisme exacerbé et celui de la religion, les peuples s’affrontaient dans une horreur sans nom et sans précédent. En Turquie, en ce 24 avril 1915, commença pour le peuple arménien une longue marche de déportation qui mènera hommes, femmes et enfants à une mort qu’aucun regard humain ne saurait souffrir. Ce jour marque le début de l’épuration ethnique du peuple arménien qui vivait en harmonie avec les autres peuples sur les terres d’Anatolie depuis des centaines d’années.
Ce jour est un jour noir qui nous remplit d’une grande colère et d’une tristesse immense. Depuis ce jour où les Arméniens de Turquie ont été arrachés à leurs foyers, à leur culture, à leurs racines, et à leurs frères... ces deux peuples, turcs et arméniens que l’on a séparés l’un de l’autre sont malades. Malades de leur culture commune, malades de leur histoire commune, de leur terre commune. Ils sont malades l’un de l’autre.
Bien sûr, c’était il y a 92 ans, et peu nombreux sont les rescapés ayant vécu ce génocide et étant encore en âge de s’en rappeller. Bien sûr, la Turquie républicaine, moderne, démocratique et laïque d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec l’Empire ottoman d’alors, au même titre que la France d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec la France de l’Inquisition ou même plus récemment, de la France du régime de Vichy qui prit part à la déportation des Juifs. Bien sûr les Turcs d’aujourd’hui, dont 70% ont moins de 25 ans, n’ont en aucun cas à se sentir responsables des horreurs commises il y a un siècle. Il n’en demeure pas moins que chaque Arménien porte jusqu’à aujourd’hui l’épuration ethnique, la déportation, l’exil, dans sa chair. Il n’en demeure pas moins que ce tabou gangrène jusqu’à aujourd’hui la société turque et y alimente le racisme. Il n’en demeure pas moins que Turcs et Arméniens sont malades l’un de l’autre. Qu’il existe même en France, un froid entre les deux communautés. Que Turcs et Arméniens ne se parlent toujours pas.
C’est pourquoi aujourd’hui nous aimerions adresser nos pensées timides au peuple arménien et leur témoigner notre affection et notre profond désarroi. Que dire sur les horreurs que ce peuple a pu subir à ce moment sombre de l’Histoire ? Et si nul mot ne peut nous venir, peut-être est-ce tout simplement qu’humainement, il n’en existe aucun...
C’est pourquoi nous désirons que ce 24 avril devienne pour nous une journée de réconcilliation, une journée contre ce communautarisme qui nous enferme tous. Pas une journée de commémoration, mais une journée de reconnaissance. Pas une journée d’excuses, ni de pardon, mais une journée de cicatrisation, de guérison. Pas une journée sous les drapeaux, mais une journée à passer au milieu des fleurs. A manger à la même table. A dialoguer, à nous souvenir de ce qui nous unit plutôt que sur ce qui nous oppose. Pas une journée de culpabilisation, ni de renfermements, pas une journée de lamantations... mais une journée d’enseignements, de dignité et de raison. Pas une journée pour le génocide passé, mais contre ceux à venir si nous n’y prenons garde, dans une europe frappée par le retour aux "idées" ultranationalistes... Pas seulement pour les Turcs et les Arméniens, mais aussi pour tous les peuples qui ont souffert et souffrent encore des mêmes symptômes. Une journée de fraternité pour l’humanité toute entière.
Méfions-nous, et puissions-nous toujours combattre ensemble ces "idées" génocidaires qui, pour quelle que soit la raison dogmatique, montent les peuples entre eux, les voisins entre eux, les frères entre eux... anéantissant des peuples entiers... et gardons-nous de notre orgeuil ! Car si nous ne sommes pas responsables de notre passé, nous le sommes en revanche de notre avenir...
Nous ne pouvons supporter qu’aucune idée politique ou religieuse légitimise un génocide.
Notre voeu le plus cher est que le peuple turc et le peuple arménien redeviennent frères à nouveau. Cela passe d’abord par la supression pure et simple de l’article 301 du code pénal relatif au dénigrement de l’identité turque, de la République et des fondements et institutions de l’État. Cet article a permis de poursuivre (1) des intellectuels (Orhan Pamuk), des journalistes (Hrant Dink, Birol Duru ), des militaires (Murat Pabuc), des étudiants (Fatih Tas).
En ce 24 avril donc, nos pensées les plus chaleureuses vont donc naturellement au peuple arménien.
Interview de Hrant Dink par Frédéric Mitterrand pour TV5 en 2005.
Sources :
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